Dans cette affaire rocambolesque, la détermination du droit applicable était probablement la seule question qui semblait simple. Non seulement une disposition contractuelle soumettait le contrat au droit de l'État de A, mais, dans la procédure, les parties s'étaient implicitement mises d'accord pour que soit appliqué au fond le droit français pour des raisons que l'arbitre ne cherche pas à élucider de façon précise. Il suppose que l'attitude des parties s'explique par l'identité du code civil français et de celui de l'État de A et le maintien de la référence au droit français dans cette ancienne colonie française pour toutes les matières qui ne sont pas régies par des dispositions spéciales. Mais peu importe finalement que cette supposition soit ou non fondée, puisque les parties sont libres de choisir le droit applicable au fond du litige au moment qui leur convient et de modifier un choix antérieur. Mais surtout, les arbitres considèrent qu'il n'y a lieu de trancher la question du droit applicable au fond que si les parties sont en désaccord sur ce point, (cf.. la sentence rendue dans l'affaire CCI no 3267 en 1979 : Recueil des sentences arbitrales de la CCI, 1974-1985,p. 76). Ceci, qu'il s'agisse de la détermination du droit à appliquer comme de son domaine.Il n'allait en effet pas de soi dans l'affaire ici rapportée que le droit applicable au contrat de cession de données sismiques, qu'il se confonde ou non avec le droit français, s'appliquait aussi au mandat apparemment conféré par une société chinoise à une personne privée en vue de conclure un contrat de l`État de A avec une société de cet État. Mais, dans l'arbitrage international, la notion de droit applicable au fond du litige, sous tous ses aspects, lorsqu'il est choisi par les parties, prend le pas sur celle de droit applicable à une relation juridique particulière. En l'absence d'une lex fori de l'arbitre international,l'accord des parties sur le droit applicable au fond s'analyse mieux comme un accord sur une règle du jeu en vue de la solution d'un litige que comme l'appréhension d'une situation juridique par un système de droit déterminé
L'arbitrage international ne connaît pas de règles d'application stricte en matière de charge de la preuve. C'est ce que soulignait, dès 1975, dans les termes suivants, la sentence rendue dans l'affaire CCI no 1434 : « En présence des allégations contradictoires des parties, il y a lieu de rappeler à qui incombe, d'une façon générale, le fardeau de la preuve sur ce point, encore que la pratique arbitrale1264ne soit pas tenue à une application aussi stricte que certaines juridictions étatiques des règles applicables en matière de preuve. » (cf. JDI 1976, p. 978, obs. YD.). Les adages« actor incumbit probatio » et « reus in exipiendo fit actor » n'en sont pas moins d'application systématique. C'est en effet au demandeur d'apporter la preuve des droits et des faits qu'il invoque à l'appui de sa demande, et au défendeur de prouver tout élément de fait ou de droit qu'il entend opposer au demandeur. Entre autres, la sentence qui vient d'être mentionnée l'illustre. Ces principes généraux doivent être affinés lorsqu'une partie prétend qu'un document sur lequel l'autre fonde une prétention est entaché de faux. En présentant le document, la partie qui l'invoque a apporté la preuve à sa charge, formellement tout au moins, car il est encore nécessaire que le document ait la portée juridique prétendue. C'est alors à la partie qui excipe de l'exception de faux de prouver ses allégations. Mais, comme le montre la présente sentence, cette dernière n'est pas tenue d'apporter une preuve absolue de l'absence d'authenticité du document. Il lui suffit d'établir l'existence d'indices sérieux détruisant l'apparence d'authenticité. S'il est montré, prima facie, que l'on peut nourrir des doutes raisonnables à cet égard, le fardeau de la preuve est à nouveau renversé et c'est à la partie qui se prévaut du document de prouver que ces doutes sont infondés.Ainsi, dans la sentence ici rapportée, l'arbitre énumère un faisceau d'indices d'où il résulte que l'authenticité du pouvoir qu'aurait donné C à Mme Y était pour le moins douteuse : papier à en-tête de C non conforme, signature d'un ancien mandataire social retiré depuis un an... Dans ces circonstances,l'arbitre considère alors qu'il appartenait à A de dissiper le doute raisonnable qui résultait de ces éléments troublants. A ne l'ayant pas fait, il en conclut qu' A ne peut se prévaloir du pouvoir en faveur de Mme Y pour prétendre que C était partie au contrat contenant la convention d'arbitrage. Bien sur, ce sont là des règles relatives à la charge de la preuve et non pas à son administration. En d'autres termes, il s'agit de déterminer laquelle des parties profite de l'incertitude et du doute subsistant à la suite de la production d'un élément présenté comme probant. La partie qui n'a pas la charge de la preuve serait bien imprudente d'attendre tranquillement que son adversaire ait réussi à en reporter sur elle le fardeau pour administrer les éléments nécessaires à dissiper le doute. Les renversements successifs de la charge de la preuve ne sont pas un ballet bien réglé où chacun des danseurs fait, tour à tour, quelques pas. Dans la réalité, les parties présentent leur preuves selon le calendrier de procédure fixé par les arbitres, lequel n'est pas strictement fonction de la répartition de la charge de la preuve de chacun des faits contestés. C'est pourquoi la démarche adoptée par l'arbitre dans la sentence ici rapportée n est qu'en apparence différente de celle retenue par le Tribunal irano-américain de La Haye, dans l'affaire no 812 (546-813-3),qui a fait l'objet d'une sentence le 2 mars 1993 (Yearbook International Arbitration, 1994, p. 421). Dans cette affaire, en effet, alors que le défendeur prétendait qu'un acte sur lequel s'appuyait le demandeur était un faux, le Tribunal arbitral, tout en soulignant que le défendeur avait la charge de prouver l'inauthenticité de l'acte, déclara, dans les termes suivants, qu'il ne se préoccuperait de la question de savoir si cette1265preuve était rapportée qu'à condition que le demandeur ait présenté un document inspirant un minimum de confiance quant à son authenticité. Le demandeur doit démontrer, prima facie, que l'acte est authentique :
« The Tribunal believes that the analysis of the distribution of the burden of proof in this Case should be centered around article 24, paragraph 1 of the Tribunal Rules which states that « [e]ach party shall have the burden of proving the facts relied on to support his claim or defence ». It was the Respondent Who, at one point during the proceedings in this Case, raised the defence that the Deed is a forgery. Specifically, the Respondent has contended that the Deed, dated 15 August 1978, was in fact fabricated in 1982. Having made that factual allegation, the Respondent has the burden of proving it. However, the Tribunal need only concern itself with the question whether the Respondent has met that burden if the Claimant has submitted a document inspiring a minimally sufficient degree of confidence in its authenticity. It is therefore up to the Claimant first to demonstrate prima facie that the Deed is authentic. ».
Dans 1a sentence ici rapportée, C, défenderesse, avait démontré que, prima facie, il y avait de sérieux doutes quant à l'authenticité du pouvoir en faveur de Mme Y. Le problème de savoir si elle s'était déchargée du fardeau de prouver l'absence d'authenticité du pouvoir ne se posait pas non plus pour l'arbitre, selon un raisonnement finalement bien proche de celui suivi par le Tribunal irano-américain.
Le problème de l'extension d'une convention d'arbitrage à une partie qui ne l'a pas signée, mais qui est partie à un contrat lié économiquement à celui qui contient la convention d'arbitrage, est source de grandes difficultés. Lorsque la partie non signataire invoque l'absence de convention d'arbitrage en début de procédure alors que le demandeur ne s'appuie que sur la notion de groupe de contrats, la Cour internationale d'arbitrage de la CCI déclare que l'arbitrage ne peut avoir lieu sur le fondement de l'article 6(2) de son règlement. Il n'est fait exception à cette règle que lorsque les parties signataires de chaque contrat appartiennent à deux groupes de sociétés, (cf. A.-M. Whitesell et E. Silva Romero, L´arbitrage à pluralité de parties ou de contrats : l'expérience récente de la Chambre de Commerce Internationale in L'arbitrage comple xe, Questions de procédure : Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI, Supplément spécial, 2003, p. 7). On a pu d'ailleurs justement relever que «lorsque, appelées à statuer sur l'extension de la portée de la convention d'arbitrage à une partie non signataire du contrat la contenant, les sentences y répondent positivement, ce n'est pas sur le fondement de l'existence d'un groupe de contrats mais sur celle d'un groupe de sociétés. » (D. Cohen,Arbitrage et groupes de contrats : Rev. arb. 1997, p. 471). La sentence rendue dans l'affaire CCI no 4131 en 1982 (Dow Chemical: JDI1983, p. 899, obs. Y. D.) constitue une des illustrations les plus significatives de cette tendance. On peut également citer à cet égard la sentence rendue sous l'égide de la CCI le 27 janvier 1989, dans l'affaire Kiss France c/ Société Générale, où, selon la Cour d'appel de Paris « le tribunal arbitral a, pour l'essentiel, retenu de l'analyse des conventions l'existence de deux groupes de sociétés et la réalisation d'une opération économique unique dans un ensemble1266contractuel associant étroitement les filiales des deux contractants. » (Paris, 31 oct. 1989 : Rev. arb. 1992, p. 90, note L. Aynès, p. 70 et note D. Cohen, p. 74). Plus récemment, une sentence rendue dans l'affaire no 8910 en 1998 (JDI 2000, p. 1085, obs.D. H.) a retenu une analyse semblable. L'existence de groupes de sociétés permet de dégager, au-delà de personnalités juridiques multiples et de contrats distincts, la rencontre de consentements pour réaliser une opération économique intégrée dans un cadre juridique global, soumise à un mode de résolution des litiges unique. En 1´absence de groupes de sociétés, l'accord des volontés est beaucoup plus incertain. Cependant, s'appuyant sur la décision de la Cour d'appel de Paris dans l'affaire Jaguar (CA Pans, 7 dec. 1994 : Rev. arb. 1995, p. 245, note Ch. Jarrosson), la sentence ici rapportée semble admettre le principe de 1´extension de la convention d'arbitrage à une partie qui ne l'a pas signée, au sein d´un groupe de contrats, alors même que la notion de groupes de sociétés ne pouvait être invoquée. Il pourrait suffire, selon l'arbitre, que cette partie ait eu connaissance de la convention d'arbitrage contenue dans un contrat qu´elle n´a pas conclu mais qui constitue l'epicentre de l'opération économique intégrée à laquelle son propre contrat appartient, pour que cette convention lui soit opposable. Encore faut-il que son acceptation présumée de cette convention d´arbitrage ne soit pas démentie par 1´existence d'une convention d´arbitrage différente dans le contrat quelle a conclu, incompatible avec un mode unique de resolution des litiges, comme c'était le cas en l'espèce(cf. en ce sens Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman : Traité de l'arbitrage commercial international no 521, p. 318).
- La position procédurale de C était pour le moins paradoxale. Elle contestait d'une part la compétence de l'arbitre en prétendant que le pouvoir, en vertu du quel Mme Y avait en son nom signé le contrat contenant la convention d´arbitrage, était un faux et, d'autre part,demandait à titre reconventionnel à l'arbitre de condamner A et B à lui verser US$ 5 000 000 « pour faux», plus US$ 100.000.000 pour atteinte à sa réputation. Le succès du principe même de cette demande reconventionnelle supposait que le faux allégué fut établi, fondement de son exception d´incompétence.On comprend alors que l'arbitre n´ait pas retenu la formulation de cette étrange demande reconventionnelle pour décider que C avait accepté la procédure arbitrale, d'autant plus que C ne s´était plus manifestée ultérieurement dans la procédure, se refusant même à signer 1´acte de mission. De toutes façons, ce silence aurait permis à l'arbitre de conclure qu'elle avait abandonné sa demande reconventionnelle s'il s´était déclaré compétent sur le fondement de l'existence d'un groupe de contrats,indépendamment du débat sur l'authenticité du pouvoir présenté par Mme Y.
En laissant Mme Y signer le contrat au nom de B,en sa présence, M. X, principal dirigeant de B, avait créé une apparence dont A pouvait se prévaloir pour prétendre que Mme Y avait valablement engagé B. Ce n'est pas la première fois qu´un arbitre du commerce international fonde une décision sur la notion de mandat apparent. On renverra sur ce point à la sentence rendue en 1987 dans F affaire CCI no 4667 en 1984 (cf. obs. Y. D. sous la sentence rendue dans1267l'affaire no 5065 en 1986 : JDI1987, p. 1039) où, dans des circonstances de fait plus classiques, un tribunal arbitral estima que, selon les usages du commerce, « lorsqu'un directeur général est présent à une négociation,l'interlocuteur est fondé à croire que son représentant également présent dispose, lorsque le directeur général a quitté les lieux de la négociation après avoir vu l'ensemble des textes qui seront signés, d'un pouvoir de signature. ». Les effets du mandat apparent sont largement reconnus en droit comparé, ce que ia permis aux Principes d'Unidroit relatifs aux contrats du commerce international de les consacrer à leur article 2.2.5(2), confirmant ainsi que ces effets ont leur place parmi les règles bien établies de la lex mercatoria, même si le formalisme excessif de certains droits nationaux peut justifier quelque prudence(cf. la sentence rendue en 1988 dans l'affaire no 5832 : JDI 1988, p. 1198, obs. G. A. A.).
- C'est pourquoi B pouvait difficilement soutenir avoir été victime de manoeuvres dolosives de la part de A et de C qui justifieraient l'annulation du contrat. Pour être une cause de nullité du contrat en tant que vice du consentement, les manoeuvres dolosives d'une partie doivent avoir déterminé l'autre à contracter. Or,aucune manoeuvre dolosive de la part de A ayant suscité la conclusion du contrat par B n'était établie et l'exception de dol ne pouvait donc être favorablement accueillie. Il est possible que B ait été victime d'un dol, comme le relève par ailleurs l'arbitre, mais pas du fait de A. A côté de cette analyse classique, c'est surtout la présomption de compétence professionnelle de M. X, dont l'expérience ne permettait pas decroire qu'il ait pu être trompé lors de la conclusion du contrat, qui retient l'attention. Cette démarche est une des caractéristiques de la jurisprudence des arbitres du commerce international. La présomption de compétence professionnelle des opérateurs du commerce international fut utilisée dès 1966, dans l'affaire CCI no 1307 (cf. obs. sur la sentence de 1972 dans l'affaire no 1990: JDI 1974, p. 897). Elle a été régulièremen t confirmée depuis (cf. entre autres les sentences de 1975 dans les affaires no 2438 : JDI 1976, p. 969 ; no 2281 : JDI 1980,p. 990 ; dans les affaires no 3380 :JDI 1981,p. 927 et no 3130 : JDI 1988, p. 932 et dans l'affaire no 5346 : JDI 1991,p. 1060).
On comprend l'h ésitation de l'arbitre avant de conclure qu' A n'avait pas violé la clause d'exclusivité du contrat en semontrant prête à transférer à B´ les droits contractuels de B. Même si la similitude du nom des sociétés B et B' pouvait effectivement laisser penser qu'elles appartenaient au même groupe et, si l'intervention de Mme Y pour le compte de l'une et l'autre ne pouvait que confirmer cette présomption, l'obligation de compétence professionnelle qui vient d'être évoquée implique celle de se renseigner (cf. P.Jourdain, Le devoir de se renseigner (contribution à l'obligation de renseignement) : D. 1983,chron. p. 139). D'autant plus que le conflit d'intérêts entre B et B' ressortait clairement dela dernière correspondance de celle-ci, qui invitait A à ignorer les offres B, ce qui indiquait bien que, loin de se confondre avec B, le cocontractant de A, B' voulait la supplanter. Confrontée à cette invitation à violer la clause d'exclusivité contractuelle, A indiquait implicitement qu'elle n'y voyait pas d'inconvénient pour autant qu'elle y trouvât son intérêt. Seulement, cette intention n'a pas été 1268suivie d´effet et elle ne suffisait donc pas à consommer la violation d´une obligation contractuelle. La faute suppose la violation d'une norme et ses conséquences peuvent être différentes selon qu´elle est intentionnelle ou non. Mais la simple intention non suivie de violation ne saurait constituer une faute contractuelle.
Selon l'article 31(3) du règlement d'arbitrage de la CCI « L‘arbitre liquide les frais de l'arbitrage et décide à laquelle des parties le paiement en incombe ou dans quelle proportion ils sont partagés entre elles ». Si les arbitres jouissent de la plus grande liberté dans ce domaine, comme l'a affirmé la sentence CCI rendue dans l'affaire no 7006 en 1992 {Yearbook Commercial Arbitration, 1993, p. 58), ils ont tendance à répartir la charge descoûts de la procédure en fonction du succès respectif des parties (cf. par exemple la sentence CCI rendue dans l'affaire no 7986 en 1999 : JDI 2002, p. 1071 obs. Y. D).Cependant, ce principe général subit divers aménagements pour tenir compte des caractéristiques propres à chaque litiges. La sentence CCI rendue dans l'affaire no 8486 en 1996 (JDI 1998, p.1047, obs. Y. D.) reflétait la prise en compte par l'arbitre « de F attitude des parties pendant la procédure », pour sanctionner celles qui font obstacle au bon déroulement de l'arbitrage et ainsi contribuent à en augmenter les coûts (dans ce sens, cf. également la sentence précitée dans l'affaire no 7006). La sentence ici rapportée condamne A et B à supporter respectivement 25 % et 75 % des frais de l'arbitrage proprement dits, c'est-à-dire les honoraires et frais de 1´arbitre et les frais administratifs de la CCI, laissant à chacune des parties la charge des frais qu'elle a directement exposée pour intervenir dans la procédure. La solution peut surprendre car A avait obtenu gain de cause sur l'essentiel. Comme il s´en explique, l'arbitre entend sanctionner la légèreté de A à qui est attribuée une part de responsabilité dans la genèse du litige. Si A s'était montrée plus prudente au moment de contracter, le litige aurait pu être évité. On constate ainsi que non seulement 1´attitude des parties pendant la procédure peut influer sur la répartition de ses coûts, indépendamment de la solution qui est donnée au litige, mais encore leur comportement « à risque », avant la naissance de celui-ci.