RTD Civ.
RTD Civ. 1991 p. 829
Chronique de droit civil belge. La réforme du droit de la filiation (loi du 31 mars 1987)
Léon Ingber, Professeur ordinaire à l'Université Libre de Bruxelles
Isabelle de Saedeleer, Assistante à l'Université Libre de Bruxelles ; Magistrat
Alain Renard, Assistant à l'Université Libre de Bruxelles ; Avocat
[...]
Ce n'est pas le fait du hasard si, en tentant de retracer sommairement les grands événements qui ont
marqué, en doctrine et en jurisprudence, l'évolution récente du droit fondamental des obligations et des
contrats, nous sommes amenés à évoquer trois concepts, souvent mis en relation : la bonne foi, la «
rechtsverwerking », l'apparence. Les débats auxquels ils donnent lieu procèdent, en effet, d'une vaste
réflexion d'ensemble, où se manifestent à la fois une certaine tendance à la « moralisation » du
comportement des particuliers dans l'exercice de leurs droits subjectifs et l'exécution de leurs
obligations, et un souci accru de sécurité juridique dans les échanges.
1. Le principe de la bonne foi : un saisissant développement doctrinal
Nous ne pourrions prétendre exposer ici, sans en trahir la richesse, toute la problématique de la bonne
foi telle qu'elle se présente en droit belge. Qu'il nous suffise de donner au lecteur quelques points de
repère dans une matière, où, il faut le souligner, les controverses abondent.
Le principe de la bonne foi est consacré, en matière contractuelle, par les articles 1134, alinéa 3 et 1135
du code civil. On s'accorde généralement à y voir d'abord un principe d'interprétation des conventions
visant à la recherche de la volonté, éventuellement implicite, des parties. Mais nombre d'auteurs,
souvent suivis par la jurisprudence, y décèlent en outre, en tant que principe gouvernant l'exécution des
contrats, une véritable norme de comportement exerçant une fonction « modératrice », « correctrice »,
voire « modificatrice » des droits et des obligations des parties. En ce sens, le principe, qui ne se
confond pas avec le simple respect de la parole donnée, impose aux parties un devoir de loyauté, un
devoir de pondération et un devoir de collaboration dans l'exécution des conventions. Chacun de ces
devoirs comporte de multiples aspects. La jurisprudence semble par ailleurs rattacher l'abus de droit en
matière contractuelle au principe de l'exécution de bonne foi, mais cette question est controversée.
Un nouveau débat s'est récemment instauré au sujet de la nature même du principe. D'éminents
auteurs prétendent y reconnaître un principe général de droit, applicable à l'ensemble du droit des
obligations, et dont les articles 1134, alinéa 3 et 1135 du code civil ne seraient que l'application
particulière dans le domaine contractuel. L'extension considérable du principe de la bonne foi a
cependant suscité la réaction d'auteurs importants, pour qui le principe, par trop amplifié, en vient à
recouper les règles de la responsabilité aquilienne (V. sur l'ensemble de la question, « La bonne foi »,
actes du colloque organisé le 30 mars 1990 par la conférence libre du Jeune Barreau de Liège, éd. Jeune
Barreau de Liège, 1990 ; J.-L. Fagnart, « L'exécution de bonne foi des conventions, un principe en
expansion », note sous Cass. 19 sept. 1983, RCJB. 1986, p. 285 ; M. Fontaine, « Le principe de la
convention-loi : portée et limites », Les obligations contractuelles, éd. Jeune Barreau de Bruxelles,
1984, p. 165 ; S. Stijns, « Abus, mais de quel(s) droit(s) ? Réflexions sur l'exécution de bonne foi des
contrats et l'abus des droits contractuels », JT. 1990, p. 33 ; P. Van Ommeslaghe, « L'exécution de
bonne foi, principe général de droit ? », RGDC. 1987, p. 101 ; J. Van Ryn et X. Dieux, « La bonne foi
dans le droit des obligations », JT. 1991, p. 289).
2.
3. La théorie de l'apparence et l'arrêt de la Cour de cassation du 20 juin 1988 : un revirement
jurisprudentiel de taille
Jusqu'à son arrêt du 20 juin 1988, la Cour de cassation fondait la théorie de l'apparence, comme source
d'obligations, sur les principes de la responsabilité civile. En ce qui concerne plus précisément le mandat
apparent, la Cour, aux termes d'une jurisprudence constante, considérait que le mandataire apparent ne
pouvait engager le pseudo-mandant vis-à-vis des tiers, que si ce dernier, par sa faute ou sa négligence,
avait laissé se développer l'apparence trompeuse. Dans un arrêt du 20 juin 1988 (JT. 1989, p. 547), la
Cour opère un revirement incontestable.
En l'espèce, une importante société industrielle, confrontée à l'occupation de ses usines liégeoises par
des travailleurs membres du syndicat FGTB., avait assigné, en référé, le secrétaire régional dudit
syndicat en sa qualité de représentant des membres de l'organisation. Il faut préciser qu'en Belgique,
les organisations syndicales sont des associations de fait dépourvues de la personnalité juridique. La
question était donc de savoir si le secrétaire régional avait qualité pour se défendre comme mandataire
ad litem des membres du syndicat et si l'action dirigée contre lui était recevable.
La cour d'appel de Liège, dans son arrêt du 12 novembre 1986 (JL. 1986, p. 705) avait répondu
positivement à cette question, estimant que le secrétaire régional apparaissait comme « l'interlocuteur
manifestement mandaté par l'association pour suivre le conflit jusqu'à son dénouement ». Elle avait dès
lors fait défense au secrétaire régional, qualitate qua, d'entraver l'accès aux usines et avait enjoint au
syndicat, en la personne de son mandataire, d'organiser, parmi les ouvriers affiliés de l'entreprise, un
vote sur la poursuite de la grève.
A l'appui de son pourvoi en cassation, le secrétaire régional faisait notamment valoir que l'arrêt attaqué,
« ne pouvait déduire de la circonstance, que (le demandeur en cassation) apparaissait comme
l'intermédiaire manifestement mandaté par l'association pour suivre le conflit jusqu'à son dénouement,
que les membres de la FGTB. auraient fautivement créé ou laissé créer une apparence de mandat pour
leur représentation en justice à l'occasion de ce conflit, sans méconnaître la notion de faute ».
La Cour de cassation, après avoir relevé que l'arrêt attaqué ne recourait pas à la notion de faute pour
conclure à l'existence d'un mandat apparent, décide « que le mandant peut être engagé sur le
fondement d'un mandat apparent, non seulement dans le cas où il a fautivement créé l'apparence, mais
également en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue
des pouvoirs du mandataire est légitime ».
On remarquera que la Cour de cassation belge reproduit ainsi, presque mot pour mot, les principes que
la Cour de cassation française avait déjà consacrés dans son arrêt du 13 décembre 1962 (D. 1963.277,
note J. Calais-Auloy). Quant au fondement de la nouvelle théorie de l'apparence, certains prétendent le
trouver dans le principe de l'exécution de bonne foi.
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