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47. Les clauses exonératoires de responsabilité, en particulier les clauses de force majeure, fournissent un autre exemple de la façon dont le temps est appréhendé dans les contrats internationaux français de production et d'approvisionnement, conduisant à des possibilités de révision.
En effet la jurisprudence française ne reconnaît généralement l'existence d'un cas de force majeure que si l'événement qui en est la cause est imprévisible, irrésistible et extérieur à celui qui l'invoque. L'appréciation concrète de ces trois caractères est sévère et la force majeure financière non admise. En revanche, quand la force majeure est reconnue, la conséquence que l'on en tire est la libération du débiteur sans aucune responsabilité. Un système aussi rigide est peu satisfaisant. Et tous les contrats que nous avons pu consulter comportent une clause de force majeure dont la répétition et la convergence conduisent à l'élaboration d'un système qui accroît les cas d'inexécution en ce qui concerne les définitions et évite la rupture du contrat en ce qui concerne la sanction.
48. Dans les définitions les plus simples, on rencontre des énumérations de cas qui touchent à la météorologie, à la guerre, à la politique... Les textes varient quelque peu d'une clause à l'autre, mais sans qu'on puisse justifier rationnellement les différences. Ces listes se rapprochent assez souvent de la liste jurisprudentielle. On note pourtant déjà un élargissement, surtout quand les parties ont voulu aller à l'encontre d'une jurisprudence établie ou incertaine. Ainsi, dans un contrat d'assistance technique, nous avons trouvé une clause assez curieusement construite. Elle se termine ainsi :
« Seront considérées comme cas de force majeure, les circonstances résultant, après conclusion du contrat, d'événements imprévus (notamment, à titre indicatif et non limitatif, guerre, catastrophe naturelle, grèves...). »
Déjà à ce stade, il y a un élargissement car, en principe, la
201grève n'est pas un cas de force majeure, du moins quand elle éclate chez le débiteur. Le terme reste ambigu puisqu'il est au pluriel et sans autre précision (grève dans l'établissement du débiteur, dans la branche considérée, etc ...). Il subsiste donc une grande marge d'interprétation. Ensuite il existe une contradiction entre le manque d'imagination des rédacteurs, car la liste de cas est inhabituellement courte et la redondance de « notamment, à titre indicatif et non limitatif ». Il faut peut-être y voir un conflit entre les contractants réglé de cette façon ambiguë. Mais le plus instructif est que la clause débute par les termes suivants :
« Au cas où se présenterait un cas de force majeure y compris celui de promulgation de mesures législatives ou réglementaires par les autorités françaises ou... »
Il y a isolement d'un cas qui a attiré l'attention des parties et pour lequel on désirait qu'il n'y ait aucun doute sur la solution voulue, compte tenu de la jurisprudence assez restrictive sur ce point.
49. Dans d'autres contrats, l'énumération est accompagnée ou remplacée par une formule générale permettant de déterminer les cas de force majeure. Ces clauses forment transition avec ce qui nous paraît devoir être le droit en train de se former. Pour permettre la comparaison une citation est nécessaire :
Contrat de fourniture d'équipement dans le domaine métallurgique.
« If buyer or seller are prevented or delayed from performing or observing any of their obligations on their part to be performed hereunder by reason of act of God, war, blockage, insurrection, mobilisation, riot, civil commotion, strike, lockout, extended interruption of public railways, rond or river transport, affecting their activities connected with flic execution of this contract, or any other causes not within their control which by flic exercise of due diligence they will not have been able to avoid or overcome... ».
Dans cette optique, qui est la plus répandue à l'heure actuelle, constitue un cas de force majeure tout événement qui affecte suffisamment les parties pour que l'exécution ne puisse se faire à la date contractuelle, pourvu que l'événement échappe à leur contrôle. Ce n'est pas vraiment un problème d'extériorité ou d'impossibilité mais plutôt de l'exercice d'un pouvoir de puis-
202sance sur l'événement. Il y a déjà dans ces clauses non pas tellement la cause et le moyen de liquidation d'un contrat par nature fixé dans son contenu que la prise en considération de tout un environnement politique et social qui influe sur l'exécution du contrat qui ne pourra plus s'exécuter comme il avait été prévu.
50. La tendance s'accentue lorsque les parties déterminent comment elles doivent affronter l'événement. Sauf cas exceptionnels et généralement d'ordre politique, on peut presque toujours surmonter l'événement en y mettant le prix. Or, dans les contrats les plus récents, on rencontre souvent des limitations au coût raisonnable de l'intervention (la force majeure est tout événement imprévisible n'ayant pu être évité ni par les parties ni par d'autres, même en prenant toutes les mesures économiques à la portée des contractants). Dans un contrat d'approvisionnement u non français », on trouve une formule très significative par laquelle l'événement ne doit pas pouvoir être surmonté si ce n'est par l'usage de moyens raisonnables et à un coût raisonnable. Même si les parties ne sont pas aussi explicites sur les conséquences économiques de leur intervention, il est de plus en plus fréquent qu'il soit expressément spécifié que le contrôle qu'elles doivent exercer sur l'événement est un contrôle raisonnable (en dehors du contrôle raisonnable des parties).
Ainsi cette progression dans la notion de force majeure la transforme de fatalité que subissent les cocontractants et qui ne peut être qu'exceptionnelle en une activité très diligente qu'ils doivent assumer. Et par cette voie, une modalité indirecte de révision du contrat est donnée. Elle est encore plus apparente quand on examine comment la force majeure est sanctionnée.
51. Dans le droit commun traditionnel la survenance d'un cas de force majeure entraîne deux conséquences : l'inexécution de l'obligation sur laquelle agit la force majeure - et c'est le plus souvent la rupture du contrat - l'absence de responsabilité du débiteur du fait de l'inexécution.
Dans les contrats économiques internationaux, la non-responsabilité du débiteur est reconnue. Encore faut-il le plus souvent que le débiteur ait un comportement actif devant l'événement
203en ce sens qu'il doit avertir le créancier dans des délais et selon des moyens fixés dans les contrats et qu'il doit, en collaboration avec le créancier, faire des efforts pour revenir à une situation normale et maintenir ce qui peut être maintenu.
En effet, et c'est ce qui explique la grande divergence avec la jurisprudence interne de droit civil, le contrat est rarement interrompu parce que, sous réserve de cas exceptionnels, l'action de l'événement sur l'exécution est limitée dans le temps et, par voie de conséquence, l'impossibilité de l'inexécution également. Or, une des contraintes des contrats économiques internationaux est l'exécution en nature des obligations plutôt qu'une rupture accompagnée ou non de dommages-intérêts. Dans des industries où la production est planifiée, où les rapports s'inscrivent souvent dans un marché oligopolistique, le coût d'une rupture est très grand. Aussi tous les contrats sans exception prévoient-ils une suspension d'exécution tant que s'exerce la force majeure jusqu'à l'achèvement d'un délai qui est de six mois ou d'un an suivant les contrats28.
52. Lorsque l'on entre dans la deuxième période (au-delà de six mois ou d'un an suivant les contrats), il est rare que le contrat soit interrompu brutalement. Il peut simplement être semis en cause selon deux types de modalités. Ou bien le créancier ou les deux parties reçoivent le droit de rompre le contrat qui est alors interrompu - sans responsabilité du débiteur. Ou bien les deux parties doivent se rencontrer et essayer d'un commun accord d'adapter le contrat à la nouvelle situation de fait. Ce qui nous donne des clauses de ce genre :
a) Possibilité de rupture du contrat :
« ...Cependant, si ces événements durent plus de six mois, chaque partie a le droit de renoncer à l'exécution des obligations contractuelles. »
b) Clause intermédiaire entre la rupture et la renégociation :
« Si un cas de force majeure provoque un retard de plus de dix mois, les parties se concerteront sur les mesures à prendre. Si un
204accord n'intervient pas, l'une ou l'autre des parties pourra demander la résiliation du contrat par voie d'arbitrage ».
c) Examen par les parties
1re clause :
« Si par suite de cas de force majeure, le Maître de l'œuvre ou le constructeur ne pouvaient exécuter leurs prestations telles que prévues au contrat pendant une période de six mois, les parties se rencontreront dans les plus brefs délais pour examiner les incidences contractuelles desdits événements en particulier sur les prix et les délais et la poursuite des prestations respectives. Au cas où les parties ne pourraient se mettre d'accord dans les plus brefs délais, les conséquences relatives à ces événements seront portées à l'appréciation de l'arbitrage tel que prévu à l'article... »
2e clause :
« If the Force Majeure lasts longer than six (6) months, Buyer and Seller shall without delay meet to consult each other and try to find an appropriate remedy to the situation and to reach agreement thereon. When considering the measures to be taken, Buyer and Seller shall give due and serious attention to the difficulties caused by the above mentioned circumstances and make serious attempt at finding a fair solution. If the fair solution is not reached within three months, it shall be solved by the arbitration. »
53. Ces deux dernières clauses ou plus exactement ces parties de clause de force majeure tendent à devenir les plus nombreuses. Dans le cadre limité qui est le leur (tirer les conséquences de cas de force majeure) elles entraînent une révision du contrat. Celle-ci est toujours possible, quelle qu'en soit la raison, quand les parties sont d'accord ; elle n'est jamais obligatoire. Or dans les deux clauses - et elles ne sont pas isolées - les arbitres reçoivent les pouvoirs de faire les adaptations nécessaires ou de juger que celles-ci ne sont pas possibles ou sont inopportunes. Comme nous l'avons indiqué, les causes de force majeure étant elles-mêmes assez larges, nous avons à côté de celui des prix, un autre exemple très caractéristique des contraintes qui pèsent sur les contrats à long terme et des solutions qui y sont apportées. On est frappé par la constance de ces solutions et par leur ressemblance quel que soit l'objet du contrat - dans le cadre des contrats de production et d'approvisionnement - et quelle que soit la nationalité du partenaire du contractant français et le lieu de ses activités.
20554. On peut se demander pourquoi les parties recourent à des clauses de révision partielle et limitée puisque, lors de la conclusion du contrat, la vraisemblable impossibilité d'exécuter le contrat tel quel est connue. Sans doute est-ce en raison du danger de clauses trop générales et de la difficulté de les mettre en œuvre? Toutefois les clauses de révision qui s'avouent ne sont pas inconnues et il semblerait même que dans la pratique la plus récente, elles tendraient à se développer. Nous en connaissons une seule sous le nom de « hardship » insérée dans un contrat d'approvisionnement.
55. Pour que la clause fonctionne il faut qu'un événement ou un changement de circonstance, hors du contrôle de la partie qui l'invoque et alors qu'elle a été prudente et diligente, entraîne pour elle des conséquences, des effets fondamentalement différents de ceux qui avaient été envisagés lors de la conclusion du contrat et des charges financières qui dépassent le produit annuel des ventes de la matière objet du contrat.
D'autres conditions interviennent (la révision ne peut être demandée avant une certaine date, plus d'une fois tous les deux ans), mais normalement, quand un tel événement surgit, toute une procédure contractuelle s'engage pour adapter l'économie du contrat et, à défaut d'accord, une procédure arbitrale la substitue et permet ainsi de donner à la clause son efficacité.
56. La clause de « hardship » complète donc les clauses de force majeure, puisqu'à côté des cataclysmes naturels ou administratifs, elle tend à faire un sort aux bouleversements économiques. Et ici, il n'est pas sans intérêt de rappeler que la Cour de cassation a toujours refusé la théorie de l'imprévision ou du changement de circonstance pour les contrats de droit privé et que le Conseil d'Etat ne l'a admise que pour assurer la continuité des services publics et non pas à titre de principe général du droit des contrats.
La clause mériterait une plus ample analyse. Mais ce que nous voulions montrer - en dehors des modalités techniques - c'est la cohérence profonde du droit matériel économique tel que les praticiens l'ont construit et l'adaptent en fonction de besoins. Ceux-ci évoluent souvent rapidement et en dehors, pour ne pas dire à l'encontre, des directives jurisprudentielles, aussi inadap-
206tées que les textes qu'elles interprètent. A l'invention des figures contractuelles répond l'invention de clauses qui tendent à maîtriser un avenir difficile à saisir.
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28Sauf à savoir ai la durée du contrat s'est prolongée d'autant. Dans les contrats d'approvisionnement, il y a souvent rattrapage à l'intérieur de la durée contractuelle totale; dans les contrats de production, il y a souvent prolongation de la durée contractuelle primitive.