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Kahn, Philippe, L’interpretation des contrats internationaux, 108 Clunet 1981, at 5 et seq.

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Kahn, Philippe, L’interpretation des contrats internationaux, 108 Clunet 1981, at 5 et seq.
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L'interprétation des contrats internationaux

L'interprétation des contrats internationaux, longtemps négligée, commence à retenir l'attention1. Sans doute le phénomène ne doit-il pas être isolé du renouveau d'intérêt pour le contrat, qu'il soit interne ou international, que manifeste la doctrine2, mais plusieurs raisons semblent propres au contrat international, d'ordre théorique et pratique.

Tout d'abord, pendant l'extraordinaire croissance du commerce international de 1950 à 1970 les efforts ont été dirigés vers la mise en forme juridique des nombreuses innovations de la pratique telles que les contrats clé en main, les contrats de transfert de technologie, les contrats de coopération industrielle, les contrats associatifs (entreprises conjointes), les contrats de financement (contrats d'euro-obligation ou d'eurocrédit). De même beaucoup d'efforts ont été consacrés à l'affinement de l'organe juridictionnel privé que constitue l'arbitrage. La théorie du contrat international a été dominée par la comparaison dés mérites respectifs de la méthode conflictuelle et de la méthode de droit matériel et surtout par l'interrogation sur le pluralisme des ordres juridiques3 et sur l'existence d'un ordre juridique propre aux agents du commerce

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international (lex mercatoria)4. Les nécessités de structurer la lex mercatoria en établissant les principes de fonctionnement du système ont fait occulter les problèmes d'interprétation. Mais maintenant la construction paraît suffisamment cohérente pour qu'elle soit éprouvée par le passage au crible de la critique que constituent les problèmes quotidiens.

D'autant plus que ces problèmes se multiplient. En effet, la crise d'abord rampante du système mondial, puis éclatante depuis 1974, a rendu difficile l'exécution de nombreux contrats conclus dans l'optimisme de la croissance et encore en cours d'exécution. Les contractants sont devenus beaucoup plus attentifs à l'interprétation des engagements pris. Un système en crise a moins de générosité. Il suffit de mentionner ici un problème que l'on retrouvera ultérieurement, celui de la révision des contrats, mais ce n'est pas le seul.

Le retard des spéculations sur l'interprétation était aussi dû au manque de documents. La confidentialité des sentences arbitrales poussée à l'extrême sinon à l'excès a constitué pendant longtemps un obstacle à toute étude sérieuse. Si la connaissance des contrats et l'enquête auprès des agents économiques avaient suffi pour élaborer les grands axes de la lex mercatoria dans son aspect dynamique, l'interprétation d'un contrat international est trop souvent contentieuse, même si elle n'est pas entièrement absorbée par le contentieux, pour que l'ignorance des sentences arbitrales ne soit pas un obstacle dirimant. Cet obstacle est, dans une large mesure, levé depuis que les grandes institutions d'arbitrage sont moins réservées en ce qui concerne la publication des sentences sous forme d'extraits, discrets certes en ce qui concerne les parties, mais donnant l'information essentielle sur les solutions retenues5.

Tout dans l'interprétation des contrats internationaux n'est pas original et les problèmes généraux d'interprétation se trouvent ici comme ailleurs avec la même utilisation des éléments de raisonnement et de logique qui conduisent à déterminer le sens des mots et des phrases qui constituent des normes juridiques6. Il serait sans intérêt, sauf à en faire un cas d'application, d'aborder l'interprétation sous cet angle.

En revanche, les contrats internationaux présentent des spécificités qui justifient un traitement particulier :

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Le milieu international, même réduit aux opérateurs, aux agents économiques, est très dispersé. Un des premiers soucis des rédacteurs des contrats internationaux est d'essayer de réduire, faute de pouvoir les résoudre complètement, les contradictions de communication, de conceptualisation ou d'articulation qu'engendre cette dispersion. Mais cette première mission remplie, il reste à déterminer pour une communauté dont la spécialité est restreinte aux opérations du commerce international (sens large) selon quels principes sa cohésion peut être assurée, ses documents analysés et rendus effectifs.

I. - RÉDUIRE LES CONTRADICTIONS.

Les contradictions potentielles que l'on relève dans les contrats internationaux en dehors des maladresses de rédaction, volontaires ou involontaires ont deux sources principales : d'une part, la disparité des langages conduit à des incompréhensions réciproques et à des incertitudes partagées ; d'autre part, la longueur et la complexité des pourparlers qui accompagnent la conclusion des grands contrats internationaux multiplient l'élaboration de documents dont la compatibilité des uns avec les autres n'est pas toujours évidente. Les opérateurs du commerce international sont professionnels trop avertis pour ne pas tenter de ramener leurs contrats à un modèle plus général où s'estomperaient des difficultés d'expression ou des contradictions provoquées par les complications de relations juridiques non parfaitement coordonnées.

A. - La disparité des langages.

La disparité des langages porte sur deux phénomènes : les agents économiques appartiennent à des systèmes linguistiques différents et il importe de trouver un dénominateur commun ou la langue qui divise le moins ; mais, à côté de la diversité des langues prises comme moyen de communication, l'absence d'un langage technique international unifié dans un domaine où les innovations juridiques sont nombreuses et fréquentes risquerait d'introduire des distorsions graves car, là, elles toucheraient aux concepts. Aussi, existe-t-il de nombreuses tentatives pour introduire des moyens d'expression et de compréhension sûrs.

1. - Le choix de la langue du contrat.

La détermination de la langue du contrat est un acte important puisque c'est par ce moyen que les parties vont communiquer. Assez souvent la langue du contrat sera aussi celle de la procédure arbitrale. Les parties ont le choix entre leurs langues nationales et une langue véhiculaire telle que l'anglais venant s'ajouter ou se substituer aux langues

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nationales7. Et ce choix, elles l'exercent fréquemment puisqu'on rencontre de plus en plus de stipulations relatives à la langue quelle que soit la nature du contrat, contrat d'investissement, contrat de vente, etc..., mais cela ne veut pas dire que toutes les difficultés soient par là-même éliminées car les modalités retenues sont diverses et non toujours exemptes de contradictions.

Dans le cas le plus simple, une seule langue est choisie comme langue originale (officielle) : ainsi, dans un contrat conclu entre une entreprise française et une entreprise indienne, est-il indiqué que le contrat a été négocié et conclu à Paris mais en langue anglaise (executed) et que le texte anglais est le texte autorisé pour toutes les questions. C'est ici le choix d'une langue véhiculaire mais qui est aussi la langue interne de communication de l'un des pays en cause. Les choses sont déjà moins claires lorsque le contrat est rédigé en plusieurs langues mais qu'une seule reçoit la qualité de version officielle : ainsi dans un contrat conclu entre l'Etat tunisien et une entreprise pétrolière américaine et rédigé en français et en anglais est-il prévu que seul le texte français fera foi. On remarquera que malgré la participation d'un Etat au contrat, sa langue nationale (arabe) n'a été retenue ni comme langue officielle, ni même comme langue de travail. Dans des cas voisins, le contrat est rédigé dans une langue et traduit dans une autre (original anglais, traduction arabe). C'est le texte original qui prévaut, la traduction ne constituant qu'une facilité. Mais on rencontre aussi des cas où la traduction a contractuellement valeur égale à celle de la version originale. C'est, par exemple, la stipulation que l'on trouve dans un contrat un peu ancien conclu entre Péchiney et la Grèce où la convention (contrat d'investissement) est dressée en langue grecque mais avec une traduction officielle établie par les autorités grecques et parue au journal officiel8 et il est précisé que pour l'interprétation des dispositions de la convention les deux textes sont de force égale. On rejoint alors le cas fréquent de contrat rédigés en deux' langues, les deux textes étant équivalents. On atteint un degré de complication supplémentaire en utilisant des systèmes complexes du type de celui que l'on trouve dans la clause suivante : « Les textes en langue persane, en langue française et en langue anglaise, de la convention sont tous valables. En cas de litige soumis à l'arbitrage, toutes les versions seront soumises au tribunal arbitral ou à l'arbitre unique (selon le cas) et ceux-ci interpréteront l'intention des parties d'après toutes ces versions. S'il existe une divergence entre les versions en ce qui concerne les droits et les obligations des parties aux termes du présent contrat la version anglaise fera foi. » On ne saurait trouver clause plus

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révélatrice du sentiment qu'ont les parties que la langue du contrat est un problème important à résoudre et de la difficulté d'y parvenir quand on n'a pas clairement cerné la nature des intérêts en cause. C'est pourquoi dans des contrats récents on trouve des solutions plus sophistiquées. C'est ainsi que dans un contrat conclu en langues anglaise et portugaise (contrat entre une firme brésilienne et une firme française) il est prévu qu'en cas de divergence entre les deux versions, la version portugaise prévaudra. Toutefois les données techniques (il s'agit d'une fourniture où l'ingénierie est très grande) sont fournies uniquement en anglais.

Sur le plan méthodologique, ces diverses clauses reproduisent les solutions que l'on rencontre dans la détermination de la loi 'applicable et le conflit de langues est vécu comme un conflit de lois. En considérant les langues ayant un lien avec le contrat, lien national ou technique, les parties font un choix qui aboutit à la désignation de la langue applicable (langue unique) ou des langues applicables (cumul ou alternative). Comme dans le conflit de lois, il s'agit moins d'établir le sens précis de chaque mot et de chaque phrase que de déterminer le système linguistique de décodage de la volonté des parties. Il arrive même que, en toute connaissance de cause, on tente d'assurer la meilleure adéquation possible entre la règle et l'expression de la règle en choisissant comme langue du contrat la langue du pays dont le droit est aussi désigné pour régir le contrat. Et comme dans les conflits de lois, il n'est pas toujours possible de retenir une langue unique (ou un cumul de langues avec ses inconvénients) pour régir l'ensemble du contrat et l'on utilise la technique du dépeçage9, une langue régissant le contrat à titre principal, une autre langue certains de ses aspects (vocabulaire technique) dé façon à cerner d'aussi près que possible la volonté des parties. Mais le procédé a ses limites, les mêmes que celui des conflits de lois. La langue nationale connue, encore faut-il la lire correctement. C'est pourquoi de même que les opérateurs du commerce international substituent aux règles de conflit des règles de droit matériel10, de même, au choix d'une langue, ils substituent la définition des termes utilisés.

2. - La définition des termes et des notions.

Le but poursuivi par les parties est d'utiliser des termes de référence ayant la même signification pour les uns et les autres, mais la recherche d'un vocabulaire commun va bien au-delà de l'élaboration d'un glossaire en esperanto juridique. En effet, au-delà des définitions, apparaissent de nombreux concepts et usages qui sont des règles de fond et qui assu-

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rent la cohérence du système. Quelques exemples qui iront de la simple unification terminologique à la mise en place d'institutions permettront une estimation de la qualité de la méthode utilisée.

Les parties envisagent de façon fréquente le problème des données physiques, techniques et des mesures matérielles. En effet, aussi bien le système métrique que les mesures anglaises ou des mesures traditionnelles sont utilisées avec des passages fréquents de l'un à l'autre dans un même secteur et aussi dans un même contrat : si, par exemple, l'unité de quantité dans le domaine pétrolier est le baril, la tonne métrique n'est pas inconnue ; en matière d'hydrocarbures gazeux, on utilise souvent la British Thermal Unit (B.T.U.) qui donne la quantité de gaz par rapport à une unité calorifique, mais aussi l'unité de volume du système métrique (mètre cube) ; dans le domaine de l'uranium, les contrats utilisent le kilogramme pour l'oxyde et la livre avoirdupoids pour le fluorure. Les contrats spécifient également l'environnement, physique et chimique dans lequel sont caractérisées les définitions et utilisées les mesures, la température et la pression pour les volumes de gaz.

Les parties franchissent une étape supplémentaire lorsqu'elles définissent le sens de certaines expressions qui recouvrent des opérations fondamentales de leur contrat. Déjà les Incoterms de la Chambre de commerce internationale11 ont montré l'intérêt et la possibilité d'une normalisation des termes commerciaux et le rôle qu'elle joue dans la mise sur pied d'un droit propre aux opérateurs du commerce international (lex mercatoria). Mais les Incoterms sont l'aboutissement d'un processus qui a commencé par urne longue et difficile enquête sur les usages suivis par la pratique et reconnus par les tribunaux dans le domaine de certaines ventes internationales. C'est après le recensement des discordances d'interprétation des mêmes termes que des règles internationales de caractère facultatif ont précisé l'interprétation des principaux termes utilisés dans les contrats de vente. Ce texte constitue un glossaire universel auquel les parties peuvent faire référence et qui comporte la supériorité par rapport à un simple glossaire contractuel de faciliter l'élaboration d'un vocabulaire mondial et par voie de conséquence de préparer une unification (relative) du droit matériel de la vente. Mais cette approche n'est possible que lorsqu'il y a déjà accumulation de données, donc une certaine maturité des institutions en cause. Pour des institutions nouvelles, là où justement l'interprétation est la plus indécise, ou pour des institutions controversées, des directives contractuelles non seulement gardent leur intérêt mais sont même indispensables pour la bonne exécution du contrat.

Si l'on examine certaines figures contractuelles nouvelles qui constituent la « classe des contrats d'industrialisation », on s'aperçoit qu'en l'absence

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d'une détermination et d'une définition par les droits nationaux, on est encore très hésitant sur leur nature juridique, contrat de vente ou d'entreprise, sur leur contenu, sur les sous-espèces, etc. Les parties sont donc amenées à préciser leur conception et le contrat clé en main devient ainsi un contrat par lequel le vendeur fournit à l'acheteur « suivant les règles de l'art et suivant les derniers développements techniques en la matière un ensemble industriel et assurera l'exécution de l'engineering de base et de détail, génie civil inclus, la remise à l'acheteur de la documentation technique et des plans, la fourniture des matériels, des équipements et des pièces de rechange, l'exécution du génie civil, du montage et des essais mécaniques, la mise en route, la formation du personnel de l'acheteur, les essais de garantie » . Cette formule extraite d'un contrat et légèrement simplifiée exprime bien, sous couvert d'une définition, la conception que l'on peut avoir d'une figure contractuelle nouvelle et par voie de conséquence comment l'on doit interpréter les obligations précises qui vont concrétiser le contrat. On peut rapprocher de cette démarche celle qui concerne les contrats portant sur la technologie.

Comme l'on sait, la prise en compte par le droit de la technologie en tant que telle est récente12. Elle a été provoquée par la revendication des pays en développement d'un meilleur accès à elle, sa maîtrise étant considérée comme un facteur de développement essentiel. Mais il s'agit d'une notion floue, diffuse et complexe dès que l'on sort des catégories de la propriété industrielle. Ce n'était pas encore très grave lorsque la technologie était incluse dans d'autres contrats comme les contrats clé en main et ne faisaient pas l'objet de contrats spécifiques. Or, c'est une des évolutions récentes à relever, des contrats ayant pour objet le transfert de la technologie autrement que sous la forme d'une cession de brevet ou d'une cession de licence sont conclus de plus en plus fréquemment. Les définitions nées d'une réflexion sur la science et la technologie sont nombreuses mais non forcément opérationnelles pour le droit. Se pose donc le problème d'une définition dans un contexte contractuel.

Dans un contrat très significatif, l'objet et l'unique objet du contrat est le transfert de la technologie relative à des éléments de l'industrie pétrochimique. Le transfert, toujours au regard de l'objet du contrat, est déterminé en tant qu'obligations du vendeur d'accomplir un certain nombre d'actes. Mais la technologie qui imprègne tout le texte est également définie en tant que telle : « The term technologie used in this contract and as far so written in capital letters means, but not by limitation, any and all data, information (both written and oral), manuals, computer program, designs, etc., supplied by the Vendor to the Buyer under this contract. » L'intérêt de cette définition est qu'elle s'éloigne beaucoup des définitions couramment émises, notamment à l'occasion des discussions sur un code de conduite pour le transfert de technologie

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où l'on a tendance à ramener les transferts à des contrats de licence de brevet ou de communication de know-how, donc la technologie aux brevets et au know-how. La définition précitée ne contredit pas cette approche mais y ajoute en étendue et en précision. En effet, dans un projet d'une telle ampleur, la notion de know-how rend compte très imparfaitement des multiples procédures qui sont nécessaires pour assurer le déroulement des opérations de transfert13. On remarquera l'importance des données dans cette conception et notamment des données informatiques. Il est vrai qu'il s'agit d'un contrat de transfert de technologie dans un domaine de technologie de pointe. On pourrait évidemment multiplier les exemples où les parties, faute de cadre national ou international de référence, sont obligées de définir elles-mêmes et substantiellement leurs opérations. Mais ce n'est pas uniquement dans le domaine des opérations qu'il y a matière à interprétation. Les parties sont souvent amenées à définir la notion d'opérateur contractuel.

Il peut paraître paradoxal que la notion d'opérateur demande interprétation car on aurait pu penser qu'elle se confondait avec celle de contractant. L'indécision provient de la distorsion qui existe entre l'opérateur qui conclut (signe) formellement le contrat et le cercle des agents économiques qui sont directement touchés par lui, qu'il s'agisse de déterminer l'étendue, d'application du contrat dans son ensemble ou de certaines de ses stipulations ou qu'il s'agisse de qualifier certains accords.

Le cas le plus fréquemment réglé est celui des « affiliations ». En effet, il est indissociable de l'application aux entreprises multinationales de la notion de nationalité des sociétés, domaine dans lequel règne la plus grande confusion.

L'on sait - officiellement - depuis l'arrêt rendu par la Cour internationale de justice dans l'affaire de la Barcelona Traction que les critères applicables en matière de nationalité des sociétés restent multiples et mal hiérarchisés14. Quant aux entreprises multinationales, il n'existe encore aucune définition faisant l'unanimité et, même réduites à l'image de groupe de sociétés, leur régime juridique reste incertain dans la plupart des droits nationaux15. Or, de nombreux contrats font un sort différent à certaines opérations selon qu'elles se déroulent à l'intérieur d'un même groupe ou à l'extérieur : ainsi les cessions de contrats libres à l'intérieur d'un même groupe sont conditionnelles ou

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interdites à des sociétés extérieures ; ou encore en matière de prix, les clauses du client le plus favorisé ou du fournisseur le plus concurrentiel ne prennent pas en compte les prix fixés pour les entreprises appartenant à un même groupe tant il est vrai que le prix est alors un prix de gestion et non un prix commercial. De même, la convention Bird du 18 mars 1965 sur l'arbitrage en matière d'investissement a dû faire un sort aux sociétés apparemment de la nationalité de l'Etat contractant selon les critères traditionnels mais contrôlées par des intérêts étrangers pour établir la compétence du tribunal arbitral (art. 25, 2, b) ; enfin, plusieurs sentences arbitrales ont admis que le président d'une société-mère engageait les filiales en signant des contrats en leur nom et notamment qu'une clause compromissoire était opposable aux sociétés du groupe16.

Les termes du débat sont bien connus : ils opposent critères formels simples comme le lieu du siège social ou le lieu des formalités de constitution à des critères matériels reposant sur la propriété et la maîtrise effective. Les contractants utilisent une formule répétitive qui ne varie que très légèrement d'un contrat à l'autre : « Est affiliée d'une société X, toute société dans laquelle plus de 50 % des droits de vote aux assemblées générales sont détenus directement ou indirectement soit par la société X elle-même, soit séparément ou conjointement par une ou plusieurs sociétés-mère de cette société X. Société-mère, toute personne morale détenant directement ou indirectement, conjointement ou séparément plus de 50 % des droits de vote aux assemblées générales. » Cette définition est certes de nature à éviter bien des difficultés d'interprétation pour l'application des stipulations précitées. Mais elle est très traditionnelle dans la mesure où, partant du critère du contrôle, elle repose sur un droit de propriété. Or, il est manifeste que si le phénomène du groupe est plus apparent quand il prend la forme d'urne propriété, qu'il est également le plus indiscutable dans ce cas, il est beaucoup plus complexe. Si, sur la base des données statistiques que constitue le nombre de clauses « d'affiliation » on réduisait le phénomène à un emboîtement de droits de propriété, la notion serait assez pauvre. Aussi dans le débat contentieux trouve-t-on de la part du juge arbitral une vision beaucoup plus ample : Le concept de groupe se définit au-delà de l'indépendance formelle née de la création de personnes morales distinctes par l'unité d'orientation économique dépendant d'un pouvoir commun17. I1 s'agit d'une directive d'interprétation assez souple pour élargir la qualité de contractant suivant la nature de l'intérêt en cause.

On retrouve un problème analogue avec la sous-traitance. On sait l'importance qu'a prise cette institution dans les grands contrats internationaux. Dans un premier temps, il a fallu établir si le signataire du contrat pouvait ou non le faire exécuter totalement ou partiellement par d'autres,

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puis en cas de réponse positive, comment organiser entre le contractant principal et les sous-traitants la responsabilité de l'exécution à l'égard de l'autre contractant, enfin comment en cas de litige aboutir à une solution unique. Mais la question préalable est bien de s'entendre sur ce qu'est l'institution. Ce n'est qu'assez récemment, semble-t-il, que l'on a introduit dans les contrats des stipulations définissant ce qu'il fallait entendre par sous-traitance ou plutôt par sous-traitant : personne physique ou morale qui, suivant commande passée par l'entrepreneur sous la responsabilité de celui-ci et dans le cadre de la réalisation du contrat, fournit, construit ou transporte les matériels, ou exécute les travaux nécessaires pour réaliser le complexe ou tout tiers qui concourt à la réalisation de l'ouvrage et qui se trouve en rapport contractuel spécifique avec le constructeur à cette occasion. Ces formules deviennent d'autant plus nécessaires que les formes récentes de coopération industrielle sont nombreuses, complexes, imprécises. Cela conduit même les parties à quelquefois indiquer ce qu'elles ne veulent pas qu'on puisse lire dans leur accord.

Certains accords vont, en effet, si loin dans la mise sur pied d'une communauté d'intérêts que l'on peut hésiter sur la nature des rapports entre les parties : s'agit-il encore d'un contrat commutatif ou d'un contrat sociétaire ? C'est le cas des contrats où la part des services est très importante par rapport à celle des prestations sous forme de livraison de marchandises ou de biens matériels. D'où la clause suivante : « This agreement shall not be interpreted as creating an association or corporation as to Contractor and X. The respective rights, duties, obligation, habilitaties of X and Contractor shall be several and not joint.

Ce n'est pas le propos de discuter de la valeur des définitions qui sont données dans les contrats mais simplement de constater que les parties prennent l'initiative de donner des directives d'interprétation pour déterminer le cercle des agents économiques qui sans être les contractants ne sont pas des tiers par rapport aux contrats, qu'ils tentent parfois de qualifier positivement ou négativement leurs accords dès lors que cette qualification a une influence sur le régime juridique de l'accord et qu'elle dépend de leur volonté. On ajoutera cependant que les définitions sont des définitions. directes, matérielles qu'elles ne font référence ni à un droit étatique (choix de la loi applicable), ni même au droit comparé envisagé comme indiquant des solutions généralement acceptées. Elles sont certes parcellaires, incomplètes, discutables et d'ailleurs les exemples cités ne reposent pas sur un recensement exhaustif mais sur un sondage effectué à partir de quelques contrats. Mais ce qui est fondamental, c'est la conscience qu'ont les agents économiques des problèmes d'interprétation provoqués par l'inexistence ou l'insuffisance des concepts légaux, une vision lucide des composants d'un système souvent décrit mais toujours en pleine évolution et finalement que leur volonté de les résoudre les conduisent non seulement à se donner le vocabulaire et les concepts indispensables mais aussi à maîtriser les données techniques et à organiser le système dans sa totalité.

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B. - La compatibilité des documents contractuels.

Une des caractéristiques souvent relevées des contrats internationaux est la longueur des pourparlers et leur complexité qui aboutissent à un échange considérable de documents avant la conclusion définitive du contrat18 et aussi à la conclusion de contrats qui n'ont plus la belle simplicité d'antan et se présentent en réalité comme des groupes de contrats19. Cette double évolution - multiplication des actes préparatoires, multiplication des actes définitifs - n'est pas sans influence sur les directives d'interprétation retenues par les parties.

1. - Les actes préparatoires.

La discussion principale, porte sur le caractère obligatoire ou non obligatoire des documents échangés préalablement à la conclusion définitive du contrat. La pratique a répondu d'une façon non équivoque et presque unanime en annulant par une clause du contrat définitif tous les documents antérieurs au contrat20. Mais il s'agit là de rejeter la force contraignante du document. Il reste à déterminer s'il conserve une certaine valeur, un intérêt en tant qu'instrument d'interprétation du contrat définitif. Les contrats n'y font pas allusion, du moins ceux qui on été examinés. L'on peut penser que ce problème plus secondaire a été absorbé par celui si important de la force obligatoire. Mais le silence ne peut conduire à la disparition du problème. Or, peut-on faire complètement abstraction de ces documents et notamment des documents techniques tels que les descriptifs, les documents énonciateurs des résultats, fournis en milliers de cotes et qui ont servi à éclairer les contractants. Les plus importants sont certes repris dans les annexes techniques et sont qualifiés contrats ou reçoivent en tout cas valeur contractuelle aussi bien comme lien obligatoire que comme document exprimant la volonté des parties mais subsistent les autres documents. On ne voit pas de raison logique de les éliminer en cas de difficulté d'interprétation, soit dans les rapports entre les parties au stade de l'exécution, soit au cours d'un débat devant un tribunal arbitral. Leur valeur sera bien sûr très relative et variera en fonction de la nature des documents fournis, de leur cohérence les uns, par rapport aux autres, de leur caractère unilatéral ou bilatéral mais ils peuvent apporter d'utiles indications sur le déroulement des pourparlers et sur les motifs qui ont conduit à telle stipulation contractuelle.

2. - Groupes de contrats.

Sans aller jusqu'à analyser l'ensemble des contrats constituant un projet, projet relatif à la production comme un projet GNL ou projet relatif au

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financement comme un projet euro-obligataire21, on peut relever qu'une opération plus simple comme la vente d'une usine clé en main ou un contrat de transfert de technologie comporte plusieurs documents de nature contractuelle22. Un contrat clé en main d'une certaine importance comportera facilement le Contrat et une vingtaine d'annexes qui iront du modèle de la lettre de garantie à des données techniques complexes qui détaillent et précisent des obligations brièvement énoncées dans le contrat principal. Dans une opération de transfert de technologie, le contrat proprement dit est complété par une annexe sur le programme de formation du personnel de l'acquéreur, par une annexe portant sur certains aspects commerciaux et par un document - expressément intégré au contrat - qui consiste en un exposé en forme discursive et presque littéraire du projet et des objectifs poursuivis par les parties. Se pose alors un double problème d'interprétation : chaque texte est-il indépendant ? En cas de divergences, lequel prime l'autre ?

Dans certains contrats, il est précisé que les documents contractuels sont interdépendants et qu'ils doivent être interprétés les uns par rapport aux autres ; dans la plupart d'entre eux, et c'est presque une clause de style, que les annexes font partie intégrante du contrat. Cela implique deux choses : que tous ces documents ont une nature contractuelle et qu'ils lient donc les parties ; qu'ils doivent être lus comme constituant un document unique formant théoriquement un ensemble cohérent, articulé et non contradictoire. Et ce sont normalement les principes généraux d'interprétation qui seront utilisés pour arriver à une lecture univoque. Comme la possibilité d'une telle lecture est aléatoire, les parties complètent souvent leur clause par un règlement du conflit d'interprétation.

Il s'agit d'une stipulation, complétant les précédentes, qui hiérarchise les textes en donnant la primauté au contrat principal, au contrat cadre, au contrat de base en cas de divergences entre un contrat et ses annexes ou entre plusieurs contrats dont l'un établit des principes généraux de relations entre les parties et l'autre, ou les autres, les bases concrètes d'une opération donnée. Il se peut que soit exclue de cette hiérarchie telle ou telle annexe de nature très technique, notamment dans les contrats portant sur des technologies de pointe. Ou encore, que malgré une divergence reconnue, l'un des contractants, par exemple le maître de l'ouvrage dans le contrat d'entreprise, puisse faire primer son interprétation moyennant certaines mesures de sauvegarde. Ces clauses n'éliminent pas toute difficulté d'interprétation puisqu'elles se contentent de trancher un con-

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flit entre différents documents susceptibles de régir les relations entre les parties en essayant de les coordonner et de les hiérarchiser. Encore faut-il les interpréter matériellement. Toujours sur le plan des procédures et du règlement des conflits, on voit apparaître certaines modalités dans les contrats à exécution de longue durée et permanente. C'est ainsi que certains contrats prévoient qu'en cas de lacune (all matters which are not mentionned), les parties se concerteront, tenteront de se mettre d'accord et éventuellement conclueront un avenant qui fera partie intégrante du contrat. D'autres contrats - et c'est une des caractéristiques des contrats de coopération industrielle - mettent en place des organes de coopération (comité de coopération) dont l'une des missions est de trouver une solution aux conflits d'interprétation. Mais, il s'agit là encore de déterminer des règles de conflit ou de désigner des autorités aptes à résoudre le conflit plutôt que des principes d'interprétation conduisant à une solution de droit matériel.

II. - ELABORER DES PRINCIPES D'INTERPRÉTATION.

Tenter de dégager des principes d'interprétation propres aux contrats internationaux n'est pas un vœu complètement utopique, il suffit de se reporter aux sentences arbitrales publiées et commentées pour le constater. Cependant une certaine prudence reste nécessaire pour l'appréciation de la cohérence et de la stabilité du système. En effet, il existe une difficulté majeure et dont on peut penser qu'elle va s'amplifier et qui consiste dans le fait que, dans l'état actuel de la société internationale, les raisonnements se tiennent à deux niveaux, en fonction de préoccupations de nature différentes et qui se manifestent avec plus ou moins de force selon les contrats et selon les circonstances. La plupart des agents économiques et opérateurs du commerce international envisagent en effet le contrat international comme un élément de la stratégie de l'entreprise, chaque contrat unissant pour une opération déterminée les parties. Il s'agit d'une approche conduisant à dégager la volonté réelle des parties, cette volonté étant la clé d'interprétation du contrat. On note simplement une inflexion vers une vision plus large des choses par la prise en compte de l'effet du contrat sur l'économie de l'entreprise dans son ensemble et par la soumission (partielle) à l'environnement juridique que constitue le milieu professionnel. Mais à certaines occasions et pour certains contrats cette approche - individualiste - s'estompe au moins pour l'un des contractants au profit d'une approche beaucoup plus globale prenant certes en considération les besoins de l'entreprise mais également ceux de la communauté nationale à laquelle il se rattache et même parfois ceux de la communauté internationale. On est ainsi amené à se demander si les principes énoncés comme structurant un nouvel ordre économique international ne sont pas aussi des principes d'interprétation des contrats internationaux.

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A. - La communauté professionnelle.

Dans une affaire où les parties n'avaient pas rédigé de contrat formel l'arbitre saisi du différend a longuement développé comment il concevait les rapports entre les parties. D'après lui il convenait d'interpréter leur volonté et leurs engagements à partir de leurs écrits en fonction des principes généraux du droit et de l'équité qui doivent régir les transactions commerciales internationales et il a reconnu l'existence des règles suivantes :

toute transaction commerciale est fondée sur l'équilibre des prestations réciproques ;

les conventions doivent s'interpréter de bonne foi, chaque partie ayant l'obligation d'avoir à l'égard de l'autre un comportement qui ne puisse lui nuire ;

les parties, professionnelles, doivent faire preuve d'une diligence normale, utile et raisonnable dans la sauvegarde de leurs intérêts.

D'une sentence à l'autre il semble se constituer un ensemble de règles qui expriment des idées analogues même si leur formulation est quelque peu différente et si les principes énoncés sont plus ou moins larges ou nombreux suivant les sentences. On peut d'ailleurs distinguer deux grands groupes de principes qui sont utilisés en matière d'interprétation tels qu'ils sont issus de la tradition européenne et ils sont considérés comme exprimant une vérité universelle parce qu'ils reflètent une certaine logique : principe de l'effet utile qui veut qu'en présence de deux interprétations différentes de termes du contrat on préfère celle qui conserve aux mots une certaine portée23, principe de l'identité de sens des mêmes mots dans un même article24 ; ils ont en quelque sorte une valeur abstraite. Les autres sont plus spécialement élaborés pour les besoins d'une communauté spécifique, celle des agents économiques internationaux et sont destinés avant tout à maintenir la cohésion du système en facilitant son fonctionnement. C'est l'expression dans le domaine de l'interprétation de la lex mercatoria et bien souvent il est difficile de faire une distinction extrêmement précise entre règle d'interprétation et règle de fond. En effet, si les contrats étaient bien rédigés, normalement ils devraient - sous réserve de l'ordre public25 et des règles du milieu professionnel - se suffire à eux-mêmes et c'est bien parce qu'ils sont obscurs et lacunaires (quelquefois) qu'ils doivent être décryptés avec des règles de lecture et complétés avec des règles de fond pour qu'on puisse établir la volonté des parties, telle qu'elle est ou telle qu'on peut l'imaginer dans le contexte professionnel international qui est le sien,

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c'est-à-dire telle qu'elle est imposée par les besoins de la communauté (internationale) des agents économiques internationaux. Le problème de la révision des contrats ou plus exactement de leur adaptation qui est si actuel depuis 1974 a fait l'objet de discussions et d'un contentieux assez abondant pour servir d'instrument de démonstration.

L'unanimité est réalisée pour constater que les contrats internationaux à exécution continue ou successive rencontrent de sérieuses difficultés d'exécution au fur et à mesure que l'on s'éloigne de leur date de conclusion. L'équilibre primitif de ces contrats sera bouleversé par la survenance d'événements qui échappent pour une large part au contrôle des parties même si elles peuvent relativement les prévoir : perturbations d'origine technologique ou économique, troubles politiques, etc. Si de nombreuses techniques sont utilisées pour faciliter un aménagement du contrat26, le problème d'interprétation qui a été soulevé à de nombreuses reprises devant les tribunaux arbitraux est de savoir ce qu'il fallait décider lorsque les parties n'ont pas expressément stipulé une clause d'adaptation. En d'autres termes le silence des parties doit-il être interprété comme la volonté de maintenir le contrat tel quel même s'il devient un très lourd fardeau pour l'une d'entre elles ou au contraire comme impliquant la volonté de conserver pendant toute la vie du contrat une certaine équivalence des prestations ou des conditions d'exécution raisonnable car le déséquilibre peut être au détriment des deux parties quand c'est toute l'économie d'un contrat qui est bouleversée et non pas seulement à celui d'une seule des parties.

La réponse des arbitres telle qu'elle ressort des sentences rendues sous les auspices de la chambre de commerce internationale est partagée.

Un courant majoritaire prononce le maintien de la relation contractuelle initiale au nom de la sanctity du contrat, chaque fois que les parties n'ont pas inséré dans le contrat de clause modificative. C'est l'interprétation stricte de la règle pacta sunt servanda27. En revanche, dès lors qu'apparaît un élément permettant de penser que les parties ont envisagé une adaptation de leur relation, l'interprétation devient large dans le sens de la révision. C'est en quelque sorte la combinaison de deux techniques d'interprétation tendant à combiner un principe, traditionnel (l'intangibilité du contrat) et la satisfaction de besoins nouveaux, l'adaptation (Aide-toi, le ciel, - les arbitres - t'aidera). Les principaux arguments avancés pour justifier ce système d'interprétation reposent sur l'idée que les opérateurs du commerce international sont des professionnels et que par conséquent ils ont conscience des risques

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qui peuvent survenir et sont en mesure de les formuler de façon précise. En d'autres termes les praticiens du commerce international sont présumés s'engager en connaissance de cause dans les opérations qu'ils traitent et mesurer l'importance des obligations à leur charge. La sécurité juridique est conçue comme le maintien - littéral - des engagements tels qu'ils ont été pris au moment de la conclusion du contrat. Il y a en quelque sorte un nominalisme juridique qui double le nominalisme monétaire si longtemps imposé par les tribunaux de l'ordre judiciaire. Mais il ne s'agit que d'une présomption qui s'efface devant la volonté clairement exprimée des parties.

En face de ce système, un courant minoritaire tend à renverser le principe précédent. Il a été fort bien exprimé dans une sentence rendue en 197528 : « Toute transaction commerciale est fondée sur l'équilibre des prestations réciproques et que nier le principe reviendrait à faire du contrat commercial un contrat aléatoire, fondé sur la spéculation ou le hasard. C'est une règle de la lex mercatoria que les prestations restent équilibrées sur le plan financier... les contrats doivent s'interpréter de bonne foi, chaque partie ayant l'obligation d'avoir à l'égard de l'autre un comportement qui ne puisse lui nuire et la renégociation raisonnable étant coutumière dans les contrats économiques internationaux. » Ce courant trouve sa source dans la célèbre et infortunée sentence Ripert-Panchaud rendue dans l'affaire Société d'études et d'entreprises, le 2 juillet 195629. Il s'agissait de déterminer si dans un contrat de travaux publics (construction d'un chemin de fer en Yougoslavie) une garantie de change pouvait être sous-entendue. Les arbitres avaient décidé que « s'agissant d'un contrat international conclu sans intention spéculative, il y a lieu d'admettre que la garantie de dévaluation était voulue par les parties, sauf convention expresse ». Ce sont les mêmes termes et la même idée.

Cette situation de conflit de règles d'interprétation retenues par les tribunaux arbitraux appelle plusieurs remarques.

On peut d'abord se demander si pour certains arbitres il n'y a pas eu une confusion entre l'interprétation du contrat et l'interprétation de la clause compromissoire ou de l'acte de mission qui délimite les pouvoirs de l'arbitre. La doctrine s'est fait l'écho des difficultés qu'il y a à déterminer la nature de la fonction de celui qui intervient à la demande des parties dans l'adaptation d'un contrat, véritable arbitre (juge) ou simple mandataire30. Par ailleurs, il est de principe constant que la validité de constitution d'un tribunal arbitral et ses pouvoirs dépendent entièrement de la volonté des parties, les clauses compromissoires étant d'interprétation stricte31. Il en résulte que les arbitres sont conduits

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à limiter leur volonté d'intervention lorsque les parties ne leur ont pas donné les pouvoirs adéquats (clause expresse d'adaptation, clause d'amiable composition ou d'équité). La Cour internationale de justice dans l'affaire de la Barcelona Traction a d'ailleurs suivi le même raisonnement en affirmant que ce n'était pas à elle qu'il appartenait de faire le droit mais seulement de dire le droit existant32.

On notera surtout que les tribunaux arbitraux des deux tendances font appel aux mêmes principes d'interprétation pour arriver à des résultats différents : qualité de professionnel des opérateurs du commerce international, bonne foi dans l'exécution, etc. A moins de penser que les solutions retenues et que l'interprétation donnée aux contrats sont purement arbitraires et ne font que revêtir de motifs nobles de simples solutions d'espèce, il faut essayer d'expliquer les divergences.

Sur le plan des faits, on dispose de deux sertes d'éléments dont l'un est connu et l'autre reste en filigrane.

Tout d'abord, il est certain qu'un très grand nombre de contrats contiennent des clauses d'adaptation au sens strict. Ces clauses déjà nombreuses avant 1973 tendent à se généraliser depuis. Ces clauses sont plus nombreuses dans les contrats où le vendeur subit le risque devoir le prix devenir dérisoire avec le temps (contrats d'approvisionnement) mais elles sont fréquentes également dans les contrats à haut risque technologique. Elles apparaissent de plus en plus fréquemment sous une forme spécifique dans les contrats à haut risque de développement. L'évolution de la pratique est bien dans le sens de l'adaptation des contrats et si la règle de droit repose au moins partiellement sur des probabilités le principe d'interprétation devrait être celui de l'adaptation33.

L'autre élément, mais qui est difficile à apprécier, est que l'on sait que depuis 1973, de nombreuses adaptations amiables ont été réalisées. Il serait particulièrement intéressant de connaître dans quelles conditions réelles se sont faites ces adaptations et de déterminer quels principes ont été invoqués par les parties pour justifier demande ou refus d'adaptation et selon quelles modalités elles ont été entreprises.

Quoi qu'il en soit, outre l'appréciation de leurs pouvoirs que se font les arbitres déjà exposée, on peut se demander s'ils n'ont pas donné au principe « Pacta sunt servanda » une étendue qui n'est pas le sien. Car ce qui est immédiatement inclus, c'est l'absence de droit de modifier, y compris de résilier, unilatéralement un contrat. Cela n'exclut pas que, pour certains contrats et dans certaines conditions, la présomption d'intangibilité cède devant un principe complémentaire et non pas contradictoire d'aménagement qui conduise à admettre que le contrat peut être aménagé. Dans une vision encore trop simple on pourrait distinguer les contrats d'échange à court terme où la présomption d'intangibilité

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serait très forte - et presque irréfutable - et les contrats entraînant des relations permanentes entre les parties dans lesquels la règle de l'équivalence des prestations serait la règle fondamentale. Le maintien de l'équivalence des prestations serait alors le vrai signe de la stabilité du contrat dans une perspective dynamique et le moyen de vraiment respecter la règle pacta sunt servanda et de conserver une cause au contrat, le nominalisme juridique n'étant que l'expression formelle d'une volonté des parties devenue abstraite avec le temps.

La difficulté est encore plus aiguë quand il faut concilier non plus deux conceptions, l'une plus traditionnelle, l'autre plus novatrice, mais rattachées à une même vision du monde, mais des visions de mondes différents.

B. - Un monde en changement.

La revendication par les pays en développement d'un nouvel ordre économique international ne peut pas ne pas s'accompagner de propositions dans le domaine juridique dont il faut tenter de mesurer l'influence sur l'interprétation des contrats internationaux. Même en faisant abstraction des règles « programmatoires » issues des résolutions des Nations Unies telles que la Charte des droits et des devoirs économiques des Etats, il existe des textes beaucoup plus concrets : on peut citer, parmi beaucoup d'autres, le document très élaboré qui tente d'exposer une certaine philosophie du contrat international et qui a été présenté par les Algériens lors de la conférence des Souverains et Chefs d'Etats des pays membres de l'OPEP en 1975 sous le titre « Des rapports de droit entre entreprises des pays du Tiers Monde et entreprises des pays développés34 ; de même l'étude préparée par l'ONUDI, « L'Industrie à l'horizon 2000, nouvelles perspectives », pour la troisième Conférence générale qui s'est tenue à New-Delhi en 1980, contient des développements intéressants sur le droit des contrats internationaux35 ; si on ajoute les thèmes juridiques débattus à la CNUCED et à la Commission des sociétés internationales, dans le domaine des transferts de technologie et des entreprises multinationales36 à l'occasion de l'élaboration des codes de conduite, on aura une vue de l'ampleur d'un débat dont on ne saurait sous-estimer l'importance.

Le propos n'est pas d'apprécier la valeur en soi des principes avancés mais d'essayer de déterminer dans quelle mesure leur existence est susceptible d'influer sur l'interprétation des contrats internationaux. La difficulté est de traduire en termes de technique contractuelle un discours

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politique. Avant de tenter une généralisation hasardeuse, il semble de meilleure méthode d'examiner d'abord si les parties, dans la pratique actuelle des contrats internationaux, prennent en considération les problèmes de développement pour essayer ensuite d'en tirer quelque conséquence au regard de l'interprétation.

1. - Contrats internationaux et développement.

La spécificité du développement est « contractualisée » dans des documents assez nombreux. C'est presque toujours le cas des contrats d'investissement dans lesquels il est souvent précisé que le contrat est conclu « dans le cadre du programme de développement économique du pays... » ou que les parties « reconnaissent l'intérêt que représente pour le développement économique du pays » ... Certes, la signification de telles mentions doit être pondérée s'agissant de contrats dont l'un des partenaires est l'Etat intéressé. Mais des contrats de natures diverses où les deux parties sont des entreprises font également référence soit aux nécessités du développement national de l'Etat dont relève l'une des parties, soit même au nouvel ordre économique international. Un échantillonnage de ces références permettra de mieux apprécier dans quelle mesure les parties ont véritablement conscience des modifications qu'elles apportent à l'ordonnancement juridique (lex mercatoria) tel qu'il s'est fixé dans le début des années soixante et des conséquences que l'on peut en tirer.

Tout d'abord dans un contrat portant sur l'implantation d'une usine destinée à fabriquer du matériel de haute technicité (télécommunications) dans un pays en développement, on trouve dès l'article premier (objet du contrat) la précision que les différentes prestations du vendeur constructeur (il s'agit d'un contrat clé en main lourd) seront accomplies « dans le respect des objectifs » du pays de l'acheteur maître de l'ouvrage. Cette clause est complétée par une autre clause qui impose expressément au constructeur le respect des lois applicables dans le pays à l'occasion de sa Mission37 et prévoit des compensations si des textes ultérieurs modifiaient l'économie contractuelle des rapports des parties ou augmentaient les charges du constructeur. Elle est particulièrement intéressante quand on la rapproche d'autres clauses du même contrat. La première est la clause générale de droit applicable qui prévoit que la loi suisse régira la convention et son interprétation. Si l'on veut concilier les deux stipulations concernant la loi applicable, il faut cantonner l'application du droit local aux secteurs qui touchent à l'organisation de l'Etat et notamment aux objectifs du plan. Et bien que le droit suisse régisse l'ensemble du contrat, les arbitres qui doivent intervenir en cas de différend, ne peuvent pas ne pas tenir compte des dispositions locales de droit économique. Mais le contrat est allé beaucoup plus loin dans l'organisation des rapports des parties en considération

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de la nature du contrat. En effet, dans une autre clause, sans que techniquement elle soit très bien rédigée, les parties ont reconnu que « eu égard à l'ampleur de l'objet de la convention, celle-ci constituait un cadre susceptible de faire l'objet de modifications au cours de son exécution, en fonction notamment de l'évolution de la technologie ou des besoins ». On remarquera qu'il ne s'agit pas des bouleversements visés par les clauses de hardship, ni des perturbations économiques généralement envisagées mais de l'évolution de la technologie et des besoins, c'est-à-dire deux notions essentielles en termes de développement. Cet aménagement éventuel du contrat est préparé par « une collaboration active à tous niveaux et dans tous ces aspects... pour assurer un déroulement efficace et logique des différentes opérations... dans les conditions les meilleures » concrétisée par la mise sur pied d'un comité de coordination.

D'assez nombreux contrats ont une structure analogue : un exposé des motifs qui insiste avec force sur la « mission nationale » de l'entreprise contractante du pays en développement (promouvoir l'industrialisation dans le secteur en question, création d'unités industrielles modernes, autonomes et indépendantes, gérées par un personnel local qualifié, etc...), et quelques clauses destinées à imposer la réglementation locale et à permettre les évolutions contractuelles en fonction des besoins locaux. Dans un contrat de ce type alors qu'il existe une clause de droit applicable autonome, la clause compromissoire qui prévoit un arbitrage C.C.I. donne des indications sur les éléments dont les arbitres devront tenir compte pour régler les différends : outre le droit prévu par la clause de droit applicable qui est le droit local, il faudra prendre en considération les prévisions raisonnables des parties à la lumière des objectifs, des motifs et des buts de la convention, les données essentielles de justice.

Pour clore cette énumération, on citera un dernier document qui n'est pas du droit contractuel positif en ce sens qu'il s'agit d'un document de colloque élaboré pour l'occasion mais qui est utilisable car le document a été rédigé à partir de contrats réels relatifs à des expériences bien connues des initiés. Le document en question est constitué par la Convention générale de coopération industrielle dans le domaine de l'exploitation, de la production et de la transformation des hydrocarbures présentée au colloque de Nice de 1979 sur « les contrats de coopération industrielle et le nouvel ordre économique international »38. Après une assez longue énumération des objectifs poursuivis par les parties dont l'aboutissement sera la mise en œuvre d'une coopération d'un type nouveau, les parties constatent qu'elles sont conscientes de contribuer ainsi à l'édification d'un nouvel ordre économique international.

Quelles conséquences peut-on alors tirer de ces nouvelles clauses concernant l'interprétation des contrats dans lesquels elles sont insérées.

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2. - L'interprétation des contrats internationaux de développement.

On sait qu'un des principes clés de l'interprétation des contrats internationaux repose sur l'idée que les contractants sont des professionnels avertis, de force sensiblement égale et donc aptes à insérer dans leurs contrats les clauses correspondant à leurs besoins. Or, un des points toujours soulignés par les pays en développement est la fragilité de cette présomption en ce qui les concerne, fragilité d'autant plus grande que le contrat en cause serait non un contrat d'échange, mais un contrat d'industrialisation ou un contrat de transfert de technologie39. On devrait donc admettre un renversement de la présomption d'égalité entre partenaires et interpréter le contrat en partant de l'hypothèse de l'inégalité des contractants. On pourrait, par exemple, envisager à la lumière des débats sur les transferts de technologie que dans les contrats ayant un tel objet, il existe une obligation d'information à la charge de l'entreprise du pays industrialisé qui se rapprocherait des obligations que la jurisprudence tend à mettre à la charge des fabricants et des professionnels dans leurs rapports avec les consommateurs. Il ne s'agit que d'une obligation d'information renforcée qui répond bien d'ailleurs à la notion de bonne foi si souvent invoquée par les arbitres au soutien de telle ou telle interprétation. Elle consiste à éliminer du jeu contractuel la vieille distinction entre bonus dolus et malus dolus. Si des contrats de technologie étaient conclus sans que l'attention de l'acquéreur ait été attirée sur tel inconvénient (inadaptation) ou sur telle difficulté d'entre-. tien ou d'usage, on devrait supposer par interprétation du contrat (obligation d'informer) que le cédant n'a pas eu le comportement adéquat.

Cette présentation de l'obligation d'informer est faite au conditionnel puisque dans les sentences connues elle n'est pas encore examinée et qu'elle est, ici, généralisée. En revanche, une telle interprétation doit être retenue dès lors que le contrat fait ressortir que les parties n'ont pas ignoré leur situation respective, ce qui est le cas des contrats précités. Le risque de développement s'il ne peut être assumé dans son intégralité par l'entreprise du pays industriel devient un des paramètres qui interviennent dans l'interprétation du contrat.

Ce risque de développement se présente sous une autre forme. En effet une des grandes difficultés que rencontre l'interprète est que l'un des partenaires, l'entreprise du pays en développement, a tendance à raisonner en termes d'économie nationale et à considérer que le contractant du pays industrialisé assume la charge du sous-développement dans ses répercussions sur l'exécution des contrats internationaux alors que l'entreprise du pays industrialisé (à économie libérale) n'examine le contrat que dans un rapport inter-parties et dans l'optique de l'économie de l'entreprise. Cette divergence fondamentale est surtout sensible dans ce qui est devenu le problème des garanties et celui des responsabi-

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lités40. Comme en matière d'information deux systèmes d'interprétation peuvent être distingués :

Chaque fois que le contrat a été envisagé par les parties de façon indubitable comme contrat de développement - et c'est le cas des contrats précités - les différentes obligations contractuelles doivent être analysées dans cette optique et il en résulte une transformation des engagements des parties et notamment de celle relevant d'un pays industrialisé dans le sens de la réalisation des objectifs spécifiques du contrat. On doit alors se demander quelle est la valeur des clauses de garantie qui sont en réalité des clauses de limitation de responsabilité. Sont-elles valables dans tous les cas si on les situe dans un environnement où l'une des parties est un professionnel et l'autre un professionnel n'ayant pas encore acquis toute sa maîtrise. De même en ce qui concerne le préjudice indirect, n'y a-t-il pas certaines formes de préjudice qui devraient être réparées quand le lien est établi entre le préjudice et l'inexécution ? Ce qui justifierait cet alourdissement des charges du contrat à l'égard de l'une des parties et pour reprendre les principes d'interprétation reçus par les arbitres, qu'il s'agit d'un professionnel averti qui s'engage en connaissance de cause.

Une telle rigueur ne peut être exercée à l'encontre du même professionnel qui, se fiant au droit commun des contrats internationaux, se serait engagé dans un contrat conclu avec une entreprise d'un pays en développement mais sans que le développement ait été spécialement visé. Non pas que les conséquences dussent lui être complètement étrangères et le contrat moins grave pour l'entreprise du pays en développement. Mais la place du droit du développement à l'intérieur du droit économique international n'étant pas encore établie avec suffisamment de précision il ne reste à l'entrepreneur, en l'absence de clause spéciale, que cette obligation d'information en considération de la personne de son partenaire ou toute autre obligation dont l'étendue ou le sens devrait être appréciée en fonction de la qualité de professionnel ou de non professionnel des contractants.

Une dernière exploration sera faite en direction de la révision. Si l'on reprend les conclusions précédentes, l'application de la lex mercatoria conduit à deux systèmes d'interprétation en ce qui concerne l'admission de la révision suivant la part que l'on fait à la stabilité de l'instrument contractuel ou à l'équivalence des prestations. Le problème se retrouve ici entier et identique mais il prend une dimension nouvelle dans la deuxième phase quand l'adaptation du contrat étant admise, il faut en fixer le contenu, par exemple fixer un nouveau prix contractuel.

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Dans la jurisprudence arbitrale, en cas d'ouverture à révision parce que le prix contractuel ne serait plus significatif le calcul du nouveau prix ne se fait pas par alignement avec ce que serait le prix contractuel si le contrat était négocié pour la première fois mais simplement par ajustement de façon à ce que le contrat soit exécutable sans que l'un des contractants subisse un préjudice trop lourd : s'il était en principe compréhensible, vu les circonstances économiques que Y... tente d'obtenir une augmentation des prix contractuels, il était cependant inadmissible qu'elle cherche à obtenir des prix proches des prix mondiaux, ce qui revenait simplement à résilier le contrat41. L'ajustement de prix, d'après l'arbitre, doit permettre la survie du contrat dans des conditions raisonnables sans plus. Il s'agit bien de maintenir une relation bilatérale dans une optique d'économie d'entreprise. Mais en termes macro-économiques ou de développement, l'approche est toute différente. En effet au sens de la charte des droits et des devoirs des Etats, le prix d'un produit de base doit être équitable, c'est-à-dire non seulement assurer l'équilibre financier d'un contrat individuel (coût plus bénéfices) mais aussi fournir des ressources pour assurer le développement du pays en cause, par hypothèse vendeur. Le prix d'un produit industriel doit être aussi équitable pour l'acheteur en développement (coût plus bénéfices plafonnés et peut-être même faut-il exclure du prix certains coûts). Si certaines revendications ont été émises pour les achats sans effectivité réelle, en revanche, à l'occasion de ventes de produits de base un important contentieux s'est développé pour la révision de contrats d'approvisionnement. Le plus significatif est celui qui oppose l'Algérie (Sonatrach) aux Etats Unis (El Paso), à la France (Gaz de France) et à la Grande-Bretagne (British Gas Corporation)42. Des contrats de vente de gaz naturel liquéfié conclus avant 1973, mais devant s'exécuter longtemps après avaient retenu un prix de base du gaz en fonction des conditions économico-politiques de l'époque43. Le vendeur semble avoir fait admettre que les contrats sont gravement déséquilibrés (principe de la révision) et demande une actualisation sur le prix du pétrole. En effet, l'exploitation du pétrole comme du gaz pour des pays encore peu industrialisés a pour but l'accumulation de capitaux et de devises destinés à faciliter le développement du pays. Or, les usages du pétrole et du gaz étant très compa-

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rables (substitution presque parfaite à l'exception des moteurs), il paraîtrait donc logique que le prix de la calorie gaz soit assez proche de celui de la calorie pétrole. On voit ainsi clairement exprimées les difficultés qu'il y a entre les deux approches concernant la fixation du prix révisé. Elles conduisent à des interprétations qui ne sont pas exactement contradictoires puisqu'elles ne partent pas des mêmes présupposés mais qui sont difficilement conciliables. En effet, ici on est vraiment en présence de demande de révision du contrat, le contrat primitif servant de cadre, de support à une renégociation qui aboutira (ou n'aboutira pas) à de nouveaux rapports contractuels. Dans le cas précédent, au sein de la communauté des agents économiques, il y avait maintien du contrat primitif dans sa valeur et non une véritable révision.

CONCLUSION

On peut constater que l'on a des résultats tangibles chaque fois que le problème d'interprétation soulevé se situe dans une phase de croissance économique. C'est vraiment à ce stade que se dessinent les institutions, que s'ébauchent les concepts qui forment l'armature de la lex mercatoria en tant que système ; élaboration d'un vocabulaire commercial international, construction d'un modèle d'agent économique professionnel qui servira de référence tant aux parties qu'aux arbitres pour mieux définir ou compléter les volontés contractuelles.

En revanche, la double crise qui agite en ce moment le système mondial, crise économique d'une part, revendication d'un nouvel ordre d'autre part, met la lex mercatoria à duré épreuve notamment dans sa partie relative à l'interprétation. En effet, on s'éloigne de la dynamique contractuelle qui, par l'accord des intéressés, aboutit aux constructions juridiques indispensables pour arriver dans une zone de regrets, de contestations ou d'exigences que l'une des parties se refuse à satisfaire ou à adoucir. Cette double crise est trop récente pour que l'on puisse tirer des conclusions sur les facultés d'adaptation du système. On peut seulement remarquer que des sentences très novatrices par rapport au droit traditionnel ont, en matière de révision, utilisé des principes d'interprétation permettant le maintien des rapports économiques malgré les difficultés soulevées par le nouvel ordre international et il faudra attendre encore pour mesurer ses capacités d'universalité, d'accommodation et de transformation.

1V. notamment Charley del Marmol et Lambert Matray, L'importance et l'interprétation du contrat (dans ses relations avec l'arbitrage international) Rev. dr. int. et dr. comp. 1980, 158 ; Hormans, L'exécution du contrat et le comportement des parties, ibid. p. 301.
2Une liste même indicative serait trop longue à établir. En matière d'interprétation, J. Dupichot « Pour un retour aux textes: défense et illustration du petit guide-âne des articles 1156 à 1164 du Code civil ». Etudes offertes à Jacques Flour. Paris 1979, p. 179 ; D. Denis La clause de style, ibid. p. 117 ; R. Drago, Paradoxes sur les contrats administratifs, ibid. p. 151.
3Santi Romano, L'ordre juridique, traduction P. François et P. Gothot, Dalloz, Paris 1975. On lira également l'introduction à l'ouvrage, fort suggestive de Phocion Francescakis. Adde, L'hypothèse du non-droit, XXXe semaine de la Commission Droit et Vie des affaires, Liège, 1978.
4Pour le recensement le dernier en date, B. Goldman, La lex mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux : réalité et perspectives : Clunet 1979, 475.
5V. notamment les chroniques annuelles de jurisprudence de la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale publiées au Clunet depuis 1974 par R. Thompson et Y. Derains (1974) et par Y. Derains depuis 1975, citées par C.C.I., le numéro de l'affaire, l'année de la sentence et la référence au Clunet. Adde Yearbook Commercial Arbitration, sous la direction de P. Sanders (Part. Arbitral Awards).
6On doit se référer aux Archives de la philosophie du droit de 1972, L'interprétation dans le droit, et notamment à l'étude de M. Batiffol, Questions de interprétation juridique, p. 9 ; et aux Travaux de l'Association Henri Capitant de 1978.
7La langue véhiculaire est souvent approximative car elle est la traduction par les parties de stipulations pensées dans une autre langue et se rapportant à d'autres concepts. Il n'est pas rare de rencontrer des contrats rédigés en langue anglaise mais pensés en arabe et utilisant des concepts juridiques français. Il peut en résulter une certaine confusion et des contradictions entre les différentes « versions ».
8Un texte directement pensé en français aurait sans doute été très différent.
9Pour le conflit de lois, Paul Lagarde, Le « dépeçage » dans le droit international privé des contrats ; Riv. dir. int. priv. e processuale, 1975. 649.
10B. Goldman, Règles de conflit, règles d'application immédiate et règles matérielles dans l'arbitrage commercial international : Trav. Comité fr. dr. int. pr. 1966-1969, p. 119.
11F. Eisemann, Usages de la vente commerciale internationale, Incoterms, Paris 1972.
12V. Sous la direction de P. Judet, Ph. Kahn, A. Ch. Kiss et J. Touscoz, Transfert de technologie et développement, Litec, Paris 1977.
13En 1978, 12.000 telex, lettres et notes ont été échangées entre les partenaires à ce contrat.
14C.I.J. 5 fév. 1970 (Aff. de la Barcelona Traction. Rec. C.I.J. p. 4). Il faut préciser que les réflexions de la Cour ne concernent strictement que la relation nationalité d'une société - protection diplomatique mais on peut sans trop d'audace les généraliser.
15C. Lazarus, Ch. Leben, A. Lyon-Caen, B. Verdier, L'entreprise multinationale face au droit, Litec; Paris 1977, notamment pour la définition, p. 67.
16C.C.I. Aff. 1434, 1975: Clunet 1976, 978.
17C.C.I. Aff. 2375, 1975: Clunet 1976, 973.
18Comment négocier un contrat international à long terme, Colloque de Tours ; 1-3 juin 1978: D.P.C.I., mars 1979.
19Pour la théorie générale des groupes de contrats: B. Teyssie, Les groupes de contrats, L.G.D.J. Paris, 1975.
20V. des exemples de clause dans Ph. Kahn, Lex mercatoria et pratique des contrats internationaux, in Le contrat économique international, p. 187.
21Pour un projet G.N.L., on trouvera des éléments dans G. Morin, Les groupes de contrats dans les projets G.N.L., thèse de 3e cycle, Dijon 1979, dact. Pour un projet Euro-obligataire. on peut citer Jacquemont, L'émission des emprunts euro-obligataires, Litec, Paris 1977.
22C'est un choix de technique de rédaction : on peut envisager des contrats très longs incluant les données ou au contraire une division en autant de documents contractuels différents qu'il y a de problèmes avec toutes les solutions intermédiaires.
23Aff. 1434, 1975 : Clunet 1976, 982 : une règle d'interprétation universellement admise...
24Ibid.
25Sans discuter ici lequel des ordres publics envisageables brise la volonté des contractants.
26Clauses d'indexation, clauses du client le plus favorisé, clause du client le moins favorisé, clause d'option, clause de force majeure, clause de hardship, etc. V. B. Oppetit. L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances: la clause de « hardship » : Clunet 1974, 794 ; Fontaine, Les clauses de l'offre concurrente, du client le plus favorisé et la clause de premier refus dans les contrats internationaux : D.P.C.I.. 1978, 185 ; Ph. Fouchard, L'adaptation des contrats à la conjoncture économique: Rev. arb. 1979, 67.
27C.C.I. Aff. nº 2216, 1974: Clunet 1975, 917 .
28C.C.I. Aff. nº 2291, 1976: Clunet 1976, 989 .
29Clunet 1959, 1074.
30B. Oppetit, L'arbitrage et les contrats commerciaux à long terme : Rev. arb. 1976, 91.
31C.C.I. Aff. nº 2138, 1974 : Clunet 1975, 934.
32Préc. note 14.
33En ce sens, B. Oppetit, op. cit. note 26, p. 798-799.
34In Mémoire présenté par l'Algérie à la Conférence des Souverains et Chefs d'Etat des pays membres de l'OPEP, Alger mars 1975, Annexe VI, p. 209-228. Les propositions algériennes ont été analysées et commentées par I. Seidl-Hohenveldern, Mélanges Dehausse, 1979, 107.
35ONUDI, I.D./237-I.D./Conf. 4/3 p. 29-35 et 165-197.
36Sous la direction de Norbert Horn, Legal Problems of Conduct for Multinational enterprises, Kluwer, Deventer, 1980.
37La mise en valeur de Mission est faite dans le texte du contrat.
38Sous la direction de J. d'Herbes et J. Touscoz, P.U.F. 1980, p. 296.
39Khaled Abdulnour, La coopération industrielle euro-arabe, in Le dialogue euro-arabe (sous la direction de Jacques Bourrinet), p. 243 s.
40Document algérien préc. note 34, nº 2 ; Gaudin, La recherche des garanties sur un code de conduite pour le transfert de technoloigie (sous la direction de R.-F. Bizet et Y. Daudet) p. 97 s., Travaux de la 3e Commission « Garanties » in Les contrats internationaux de coopération industrielle et le nouvel ordre économique international (sous la direction de J. d'Herbes et J. Touscoz), 1980, p. 111-162.
41Aff. nº 2508, 1976 : Clunet 1977, 940.
42Au sens économique des balances, non au sens contractuel des parties. Sur les données du conflit, V. Le Monde, 24 juin 1980. Un accord viendrait d'être conclu avec la Grande-Bretagne : Le Monde, 23 déc. 1980.
43Le prix du gaz dans le contrat Sonatrach-El Paso conclu en 1969 était de 30,5 cents par million de B.T.U., chiffre donné par M. Slimane Boueerra au colloque sur les hydrocarbures gazeux et le développement des pays producteurs. Dijon, 17, 18, 19 mai 1973. Litec. Paris 1974, p. 289. A titre de comparaison d'après Le Monde du 23 décembre 1980, le prix du gaz livré à la Grande-Bretagne au cours du premier semestre 1981 sera de 4,60 dollars FOB Algérie le million de BTU, le prix payé par Gaz de France est de 3,60 dollars, le prix demandé par les Algériens par alignement de la calorie-gaz sur la calorie-pétrole se rapproche de 6 dollars (plus ou moins suivant la qualité du Pétrole de référence) le gaz canadien (état gazeux, livré par gazoduc) rendu franco-frontières des Etats-Unis vaut 4,47 dollars.

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