Les faits de la cause étaient les suivants : le gouvernement d'un Etat africain X avait accordé à un sieur Y..., résident belge, comme concessionnaire le droit d'acheter des produits miniers sur le territoire national. Le gouvernement de l'Etat X ayant unilatéralement annulé le contrat avant l'échéance convenue, les héritiers du concessionnaire décédé entre-temps saisirent la Cour d'Arbitrage de la C.C.I. d'une demande de dommages-intérêts en vertu de la clause compromissoire incluse dans le contrat. Cette clause était libellée comme suit :
« Toutes contestations relatives à l'interprétation ou à l'exécution des présentes seront de la compétence de la Cour d'Arbitrage internationale de Paris, sauf dans le domaine relevant de l'ordre public national de (l'Etat X), auquel cas le concessionnaire accepte la juridiction de (l'Etat X). ».
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La partie demanderesse ayant pris exclusivement des conclusions en dommages-intérêts, il reste à savoir si, d'une façon générale et dans les circonstances de l'espèce, le retrait de la concession peut les justifier. Déjà lorsqu'on est en présence d'un acte administratif unilatéral (décision administrative), la doctrine moderne admet que le retrait intempestif d'un tel acte entraîne des dommages-intérêts (voir André Panchaud : Rev. dr. comp., 1962, 696-697). Mais ce point peut demeurer ici indécis.
Translation Il est hors de doute, à plus forte raison, qu'une concession accordée sous la forme d'un contrat synallagmatique est toujours assortie, même implicitement, d'une obligation de dommages-intérêts pour le cas d'un retrait avant terme. Car c'est précisément le but du contrat administratif, de pallier conventionnellement, par des sanctions d'indemnités, l'absence de sanctions de l'acte d'autorité qui, en lui-même, serait précaire.
TranslationLa doctrine et la jurisprudence sont à cet égard sans ambiguïté. Ainsi, en droit français et en droit international, on peut tenir pour établi que la rupture d'un contrat administratif est sanctionnée par des dommages-intéréts (Laubadère, Contrats administratifs, tome II, nº 451, p. 40, nº 651, 3º p. 196 ; tome III, nº 914, p. 29 s. ; Batiffol : Rev. crit. dr. int .pr., 1964, 662, avec les références à la Jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale ; de même sentence arbitrale Arabie séoudite c. Aramco : Rev. crit. dr. int. pr., 1963, 272 s.). Il n'en est pas autrement en droit belge, alors même que la notion du contrat de droit administratif y est plus floue, relevant à la fois du droit public et du droit civil. C'est ainsi que la Cour de cassation de Belgique affirme que la concession de service public fait naître des droits civils au profit du concessionnaire lorsque le concédant et lui-même ont recouru à une convention par laquelle ils se sont assuré des obligations synallagmati- 918 ques ; qu'ainsi, en cas d'inexécution de ses obligations, le concédant doit, sauf disposition contraire de l'acte de concession, réparer le préjudice causé au concessionnaire par la lésion de son droit (Cass. 4 sept. 1965, Etat c.Smets-Usé). De même selon Buttgenbach ([Manuel de droit administratif, Bruxelles, 1960], nº 382 quinquies, p. 365), " La principale caractéristique du régime de l'exécution des contrats administratifs " réside dans le droit pour l'Administration de ... résilier unilatéralement le contrat lorsque l'intérêt général le requiert. Si le co-contractant ne peut exiger le respect de la convention - en effet il n'y a pas d'exécution forcée contre les personnes publiques - il a cependant droit à des dommages-intérêts ... en cas de résiliation avant terme...
En l'espèce, l'obligation du gouvernement de réparer les conséquences de la rupture unilatérale du contrat est encore soulignée par l'article 10 dudit contrat, qui prévoit limitativement les cas de dénonciation unilatérale, tant par le " pouvoir concédant " (al. 1) que par le " concessionnaire " (al. 2). Seuls ces cas, contractuellement prévus, échappent à l'obligation de dédommagement. Et ils ne sont pas réalisés dans les circonstances qui nous occupent.
Enfin il est manifeste - et cela ressort en particulier de l'acte de résiliation - que le retrait de la concession n'était en rien la conséquence de la faute du concessionnaire ou de ses sous-traitants ou préposés.
La réparation du dommage comprend tant le " lucrum cessans " que le " damnum emergens " (Laubadère, op. cit., tome II, p. 80, nº 499 ; Cassation Belgique, arrêt Etat c. Surets-Usé précité).
TranslationPour l‘appréciation du dommage, spécialement quant au gain manqué, l‘arbitre se trouve dans la situation, du reste fréquente pour les tribunaux, de se baser sur des circonstances qui n‘ont pu se réaliser, précisément du fait de la partie contractuelle défaillante. En pareille situation, il convient, selon la pratique générale des tribunaux, que confirment certaines lois écrites (par exemple, Code suisse des obligations, art. 42), et selon la doctrine (notamment Encycl. Dalloz dr. Civ., 1952, vº Dommages-intérêts, nos. 47-51), de faire une évaluation du cours ordinaire des choses et de ce qui était prévisible. »
Original It is beyond doubt that a concession that has been concluded in form of a reciprocal contract contains an implied term to the extent that a party has to pay damages in case of premature termination ...
Original Doctrine and case law are without ambiguity in this regard. Both under French law and international law one must take it for granted that the rupture of an administrative contract is sanctioned by the payment of damages.
Original In order to evaluate the damages claimed, and in particular with respect to the alleged lost profits, the arbitrator finds himself in the situation which is very typical for international tribunals, to base his decision on circumstances which have not materialized ... In such a situation the arbitrator, according to a general practice of tribunals, confirmed by certain domestic laws (...) and by doctrine (...), considers it appropriate to base his decision on an evaluation of the ordinary and foreseeable course of business.