Deux entreprises yougoslaves A et B avaient conclu avec deux sociétés d'un même groupe, X Hollande et X Suisse un ensemble de contrats mettant en place :
- l'importation par les entreprises yougoslaves de produits de consommation vendus par le groupe X et financé par un crédit ouvert par une banque Yougoslave.
- l'exportation par les entreprises yougoslaves de produits de base.
Cependant un autre contrat précisait que l'opération d'exportation de produits de base était fictive et n'avait d'autre objet que de permettre à A d'obtenir un crédit auprès d'une banque yougoslave pour l'acquisition des produits de consommation. Il était convenu que tous les articles des contrats constituaient un ensemble indivisible que les parties exécuteraient dans sa totalité.
A et B introduisirent ultérieurement une demande d'arbitrage en vue de faire constater la nullité de ces conventions.
Le tribunal siégeant à Paris devait d'abord déterminer le ou les droits applicables aux différentes relations contractuelles des parties. A et B plaidaient qu'une analyse faite au regard du Droit International Privé français conduirait à l'application du droit matériel yougoslave, alors que X soutenait qu'une analyse en Droit International Privé suisse et français menait à l'application du droit matériel suisse.
[...]
915En cette matière, la doctrine actuelle la plus autorisée et la jurisprudence arbitrale internationale admettent que l'arbitre peut écarter dans la détermination du droit matériel l'application des règles de conflit du for (voir notamment Lalive, « Problèmes relatifs à l'arbitrage international commercial », Cours à l'Académie de Droit International, vol. 11, 1967, p. 659 et ss, et « Les règles de conflit de loi appliquées par l'arbitre », Rapport au Colloque sur l'Arbitrage International Privé et la Suisse, 2-3 avril 1976, Mémoire de la Faculté de Droit de Genève, vol. 53 et les auteurs qu'ils citent. Voir également M. Derains, dans « Clunet », 1977, p. 931, en tête de sa « Chronique des Sentences Arbitrales »).
Le Tribunal arbitral jouit donc d'un large pouvoir d'appréciation dans le choix du droit applicable, voire d'un pouvoir discrétionnaire (V. « Clunet » Journal du Droit International 1981, p. 924) et s'il peut se référer aux différents systèmes de conflit de loi à sa disposition, il n'est nullement obligé de donner la préférence à l'un plutôt qu'à l'autre.
Translation Les règles de DIP suisses, françaises et yougoslaves se réfèrent aujourd'hui toutes à des critères semblables pour rechercher le droit applicable à une obligation contractuelle. Il s'agit tout d'abord de déterminer la prestation caractéristique du ou des contrats à examiner puis de rechercher avec quel territoire cette prestation a le lien le plus étroit ou encore pour reprendre une expression significative du Tribunal Fédéral suisse de localiser le « centre de gravité » du contrat. C'est à cette solution que se rallie aussi la Convention européenne sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature des pays membres de la Communauté à Rome le 19 juin 1980.
Le tribunal arbitral examina les points de rattachement des différentes opérations convenues entre les parties tout en soulignant l'accord des parties pour que les relations contractuelles soient régies par une seule et même loi. Il constata :
Le point de rattachement avec la Suisse, éventuellement avec la Hollande, apparaît donc relativement accidentel. Dès lors, le Tribunal arbitral constate que l'ensemble des contrats qu'il doit examiner ont indiscutablement des liens étroits, voire très étroits, avec la Yougoslavie et qu'une seule loi devant s'appliquer à l'ensemble des obligations contractuelles des parties, le rattachement à la loi yougoslave l'emporte sans discussion.
Le tribunal arbitral se déclara d'autant plus conforté dans ce choix du droit yougoslave que A et B, ressortissantes yougoslaves étaient soumises à la loi yougoslave relative au contrôle des importations et des exportations, dispositions de droit public comportant des sanctions pénales.
[...]
917[...]
Les arbitres conclurent dans les termes suivants :
Ces opérations fictives, donnant à A un crédit lui-même fictif, sont contraires non seulement à la législation yougoslave, mais encore à la morale et aux bonnes mœurs.
Translation De manière générale, tout contrat ayant un objet contraire à des lois impératives ou d'ordre public, à la morale et aux bonnes mœurs est nul d'une nullité absolue. Il en est ainsi selon le Code civil général autrichien, art. 879, en vigueur en Croatie et en Slovénie en 1974, et selon la loi yougoslave sur les rapports d'obligation (Journal Officiel de la RSFY Nº 29/78) qui n'est entrée en vigueur qu'en 1978.
918Translation Ce principe est admis dans tous les pays et par toutes les législations. Il constitue une règle internationale, un élément du droit commun des contrats dans le domaine international.
En l'espèce, les parties ont sciemment passé un contrat fictif, en violation de la législation yougoslave qui régit le contrat, et en procurant à l'exportateur fictif un crédit lui-même fictif qu'il n'aurait pas obtenu autrement.
Il y a donc à la fois violation de la loi, de la morale et des bonnes mœurs.
La conclusion du Tribunal arbitral est que :
- le contrat ayant pour objet l'exportation de produits de base est nul, d'une nullité absolue,
- cette nullité a pour conséquence celle des deux autres contrats ;
Original The rules of Swiss, French and Yugoslav private international law today all refer to similar criteria to determine the law applicable to a contractual oblig ation. First of all, one has to determine the characteristic performance of the contract or contracts. Then, one has to determine with which territory this characteristic performance is most closely connected or, to use an expression of the Swiss Federal Tribunal, one has to localize the "center of gravity” of the contract. This is also the solution that has been adopted in the European Convention on the Law Applicable to Contractual Relations opened for signature to the member states of the Community in Rome on June 19, 1980.
Original As a general rule, every contract the object of which is contrary to mandatory laws or the ordre public or contrary to moral rules is absolutely null and void.
Original This principle is admitted in all nations and by all legislators. It constitutes an international rule, an element of the common law of contracts in international affairs.