— La Cour permanente de Justice internationale sera priée de statuer sur la question de savoir si le contrat intervenu le 1er/14 avril 1913 entre la Société française en nom collectif Collas & Michel, dite « Administration générale des Phares de l'Empire ottoman », et le Gouvernement ottoman, portant prorogation du 4 septembre 1924 au 4 septembre 1949 des contrats de concession consentis à ladite société, est dûment intervenu et partant est opérant vis-à-vis du Gouvernement hellénique en ce qui concerne les phares situés sur les territoires qui lui furent attribués à la suite des guerres balkaniques ou postérieurement.
. — Le présent compromis sera, dès l'échange des ratifications, notifié au Greffe de la Cour permanente de Justice internationale par l'une ou l'autre des Parties.
. — Les Hautes Parties contractantes sont d'accord pour proposer à la Cour permanente de Justice internationale, agissant conformément à l'article 48 de son Statut et à l'article 33 de son Règlement, de fixer à trois mois à compter de la date déterminée dans l'ordonnance rendue par la Cour à cet effet (le délai imparti au Gouvernement de la République française et au Gouvernement de la République hellénique) pour présenter leurs mémoires respectifs exposant leurs vues sur la question et en formulant leurs conclurions, et à trois mois à dater du dépôt desdits mémoires pour le dépôt de leurs contre-mémoires en réponse en y formulant, s'il y a lieu, leurs conclusions complémentaires.
— Les Hautes Parties contractantes sont d'accord pour que toute la procédure ait lieu en français.
. — Pour tout ce qui n'est pas prévu par le présent compromis, les dispositions du Statut et du Règlement de la Cour permanente de Justice internationale seront appliquées.
— Les Hautes Parties contractantes élisent domicile au siège de leurs légations respectives à La Haye.
Article 7. — Aussitôt le prononcé de l'arrêt de la Cour permanente de Justice internationale relatif à la question visée à l'article premier, toutes réclamations pécuniaires de la Société Collas & Michel contre le Gouvernement hellénique, et du Gouvernement hellénique contre ladite société, feront l'objet d'un règlement à convenir entre le Gouvernement hellénique et la Société Collas & Michel. Il en sera de même pour la fixation de l'indemnité de rachat de la concession au cas où le susdit arrêt reconnaîtrait que le contrat du 1er/14 avril 1913 est dûment intervenu.
A défaut d'entente dans le délai d'un an, ces questions seront soumises à un tribunal arbitral, composé de trois membres nommés l'un par le Gouvernement français, l'autre par le Gouvernement hellénique, le troisième membre, qui assumera la présidence, étant désigné d'un commun accord par les deux Gouvernements ou, à défaut d'accord, par le Président de lit Cour permanente de Justice internationale.
Ce tribunal siégera à La Haye.
Le Gouvernement hellénique et la Société Collas & Michel jouiront d'un délai de trois mois, à compter de la constitution dudit tribunal, pour lui présenter leurs réclamations et les mémoires qu'ils jugeront utile de produire à l'appui. Un délai de trois mois leur sera accordé, à compter de l'expiration du premier délai, pour la production de leurs contre-mémoires.
La procédure devant ce tribunal aura lieu en français.
Pour le surplus, le tribunal se conformera aux règles de la procédure arbitrale insérées au chapitre III du titre IV de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux signée à La Haye le 18 octobre 1907.
Article 8. — Le présent compromis sera ratifié et les ratifications seront échangées à Paris aussitôt que faire se pourra et entrera immédiatement en vigueur.
EN FOI DE QUOI, les plénipotentiaires ci-dessus désignés ont signé le présent compromis et y ont appliqué leur sceau.
FAIT à Paris en double exemplaire, le 15 juillet 1931.
(Signé) N. POLITIS
(Signé) A. BRIAND
En vertu du chapitre I de ce Compromis la Cour permanente de Justice internationale, saisie la première, a décidé par son arrêt du 17 mars 1934 que le contrat susmentionné « est dûment intervenu et partant est opérant vis-à-vis du Gouvernement Hellénique en ce qui concerne les phares situés sur les territoires qui lui furent attribués à la suite des guerres balkaniques ou postérieurement », arrêt qui a été complété plus tard, en vertu d'un nouveau compromis en date du 28 août 1936, par un second arrêt en date du 8 octobre 1937, décidant que «le contrat intervenu le 1/14 avril 1913 . . .
164portant prorogation du 4 septembre 1924 au 4 septembre 1949 des contrats de concession consentis à ladite Société est dûment intervenu et partant est opérant vis-à-vis du Gouvernement Hellénique, en ce qui concerne les phares situés sur les territoires de Crète, y compris les îlots adjacents, et de Samos, qui lui furent attribués à la suite des guerres balkaniques ».
Dans toutes les décisions que le Tribunal est appelé à prendre, il devra se placer sur la base de ces deux arrêts, devenus définitifs et partant revêtus de la force de la chose jugée.
§ 2. Après le prononcé du dernier arrêt la Société Collas & Michel, directement intéressée, et le Gouvernement Hellénique ont entamé les negotiations prescrites à l'art. 7, alinéa 1er du Compromis de 1931, lors desquelles, en 1938, ils ont été sur le point d'atteindre un accord sur la liquidation de leurs réclamations mutuelles. Après l'échec final de ces négociations, les deux Hautes Parties Contractantes du Compromis, c'est-à-dire le Gouvernement Français et le Gouvernement Hellénique, ont mis sur pied l'arbitrage prévu à l'art. 7, al. 2 du Compromis, en désignant chacun, au cours de 1939, son arbitre national.
La deuxième guerre mondiale a toutefois arrêté le développement de cet arbitrage, dont l'organisation n'a été reprise, mais avec de nouveaux retards très considérables, que quelques années après ladite guerre.
C'est pourquoi le Tribunal n'a pu être considéré comme définitivement constitué qu'à la date du 26 juillet 1953 et même après cette date il a été encore apporté un changement dans la composition du tribunal du côté grec. C'est dans ces conditions que l'arbitrage a commencé à se dérouler normalement vers la fin de 1953 seulement.
Les mémoires et contre-mémoires prévus par le Compromis de 1931 ont été présentés conformément à l'alinéa 4 de son article 7, après certaines prolongations de délais autorisées par le Tribunal, aux dates et dans les conditions suivantes :
Le mémoire hellénique, le 10 décembre 1953 par feu M. Nicolas Contoyannis, premier Agent du Gouvernement Hellénique ;
Le mémoire de la Société Collas & Michel, le 31 janvier 1954 par M. le Professeur Charles Rousseau, signant l'envoi comme Agent du Gouvernement de la République française ;
Le contre-mémoire hellénique, le 15 avril 1954 par le même Agent hellénique;
Le contre-mémoire de la Société Collas & Michel, le 5 mai 1954 par M. Rousseau, signant cette fois comme Agent de ladite Société.
Après échange de ces mémoires, une première session du Tribunal a eu lieu du 2 au 6 août 1954, session à laquelle ont pris part également, comme conseiller technique du côté français, M. Jean Dodier, et comme second Agent du côté hellénique, M. le Professeur G. H. C. Bodenhausen.
Cette première session du Tribunal devait être suivie d'une seconde fixée pour le 5 janvier 1955, mais force a été au Tribunal de l'ajourner à la suite du décès imprévu de M. Contoyannis.
La seconde session n'a, par conséquent, pu être tenue que du 9 au 18 mai 1955. Y ont assisté les mêmes personnalités du côté français et, du côté hellénique, avec M. Bodenhausen, M. Alexandre Lekkas, nouvel Agent, assisté par M. Constantin Tsagarakis comme conseil juridique.
165 A la demande de l'Agence hellénique, une brève troisième session a été tenue le 29 juin 1956.
C'est dans ces conditions que le Tribunal doit maintenant statuer sur les deux points soumis à sa juridiction, à savoir:
a) toutes réclamations pécuniaires de la Société Collas & Michel contre le Gouvernement Hellénique, et du Gouvernement Hellénique contre ladite Société ;
b) La fixation de l'indemnité de rachat de la concession.
§ 3. Déjà dans la première session du Tribunal celui-ci a dû statuer sur deux exceptions présentées par l'Agence hellénique comme préliminaires. La première relative à l'existence légale ou à la légitimation de la Société Collas & Michel a été rejetée comme telle par la décision n° 1 du Tribunal en date du 4 août 1954, tandis que l'autre, relalive à l'existence et à la valeur juridique du prétendu accord susmentionné de 1938, a paru ne pas être maintenue par l'Agence hellénique comme exception préliminaire et par conséquent a été écartée. L'Agence hellénique ayant cru, lors de la reprise des débats oraux en mai 1955, devoir revenir sur la première exception, mais sans apporter de preuves à l'appui d'un changement qui serait intervenu dans le statut juridique de la Société depuis 1934, changement que le Tribunal a considéré en principe comme possible, le Tribunal se borne à constater que sa décision sur ce point étant définitive ne peut plus donner lieu, aux termes de l'art. 71 de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux, du 18 octobre 1907, applicable en l'espèce, à aucune discussion ultérieure.
Par conséquent, aucune preuve n'ayant été produite par l'Agence hellénique contre l'existence légale ou la légitimation continues de la Société confirmées encore par des documents produits entre-temps par la Société elle-même, ce moyen est définitivement écarté.
La compétence du Tribunal n'a pas été discutée. Tout au plus certains doutes relatifs à l'étendue de sa compétence ont été soulevés. Puisque ces derniers ne présentent pas un caractère général, leur examen sera abordé lors de la discussion des réclamations particulières auxquelles ils se rapportent.
Au début des débats oraux, l'Agence hellénique a soulevé une troisième exception qu'elle avait aussi soulevée déjà au début de la première session du Tribunal, relativement à la prescription libératoire de certains groupes de réclamations. Cette troisième exception ne peut pas non plus être traitée d'une façon générale, mais seulement à propos des différents chefs de réclamation.
C'est pourquoi elle aussi sera envisagée lors de la discussion de ces chefs particuliers, d'autant plus que cette exception est liée à une autre question fondamentale, celle qui concerne l'applicabilité du droit hellénique en l'espèce.
§ 4. Avant de s'engager dans la discussion des diverses contestations, le Tribunal tient à faire ressortir ses vues sur le caractère juridique quelque peu hybride de cet arbitrage.
Du texte de la Convention de 1931, considéré dans son ensemble, il résulte de toute évidence que l'arbitrage actuel a un caractère nettement international, bien qu'il présente certains traits particuliers. En effet, déjà dans la première phase, judiciaire, du différend, le Gouvernement Français a clairement pris fait et cause pour la Société, la seule personne pour laquelle le point de droit formulé au premier considérant du Compromis pût avoir de l'intérêt et le Gouvernement Hellénique y a consenti en termes exprès. Cette attitude commune des Hautes Parties Contractantes a, il est vrai, subi pour la deuxième phase, arbitrale, certaines atténuations, mais celles-ci n'ont pas modifié essentiellement le caractère international de la contestation, ni la portée de sa soumission à une instance internationale.
166En effet, dans cette deuxième phase aussi, tout comme dans la première, ce sont les deux Hautes Parties Contractantes, donc le Gouvernement de la République française et le Gouvernement Hellénique, et non pas le Gouvernement Hellénique, d'une part, et la Société Collas & Michel, de l'autre, qui, aux termes du Compromis même, « sont tombés d'accord pour soumettre . . . les réclamations pécuniaires en question à un tribunal arbitral ». C'est donc évidemment le Gouvernement Français qui, selon le Compromis, devait continuer, même après la solution du premier point de droit fondamental par la Cour permanente de Justice internationale, à appuyer la Société française devant un instance internationale qu'il devait organiser lui-même en collaboration avec le Gouvernement Hellénique. Et ce qu'il a déclaré, au dernier alinéa des considérants et à l'article 7 du Compromis, vouloir faire, il l'a fait en réalité, en nommant un des arbitres, M. Achille Mestre, en tombant d'accord avec le Gouvernement Hellénique sur la désignation du Président et en notifiant officiellement à ce dernier, par l'office de son Ambassadeur à La Haye, la désignation de M. Rousseau comme Agent français en des termes exempts de tout équivoque (lettre en date du 17 décembre 1953):
Monsieur le Professeur,
Me référant à ma correspondance antérieure concernant l'affaire des Phares de l'ex-Empire Ottoman, j'ai l'honneur de vous faire savoir que le Gouvernement Français a décidé de
désigner un agent pour le représenter auprès du Tribunal Arbitral.
M. Charles ROUSSEAU, Professeur de Droit de Paris, vient d'être désigné pour remplir cette fonction.
Il est donc très normal que M. Rousseau, en transmettant au Tribunal, à la date du 31 janvier 1954, le premier mémoire de la Société Collas et Michel, — mémoire qui devait en effet émaner de la Société aux termes de l'article 7, alinéa 4, du Compromis, — l'ait fait en sa qualité d'Agent du Gouvernement de la République française. Il en a été de même dans la lettre du 12 août 1955 par laquelle M. Rousseau donnait suite à la demande de renseignements formulée dans l'Ordonnance de procédure n° 4. En face de ces communications officielles, qui expriment la volonté du Gouvernement en question et le lient, il n'y a aucun doute possible que l'arbitrage présente un caractère nettement international.
Cette conclusion est corroborée par le fait que les deux Hautes Parties Contractantes ont, dans l'alinéa 6 de l'article 7 du Compromis, prescrit au Tribunal en termes exprès de se conformer aux règles de la procédure arbitrale insérées au Chapitre III du titre IV de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux signée à La Haye le 18 octobre 1907, règles qui ne peuvent en partie être appliquées que dans l'hypothèse d'une contestation vraiment internationale. C'est aussi pourquoi, tout naturellement, la décision du Tribunal de tenir ses séances en public, en dérogation licite à la règle de l'article 41 de ladite Convention, soumise par le Président à l'assentiment des deux Gouvernements, a été approuvée par le Gouvernement Français, approbation transmise au Président par l'intermédiaire de l'Agent que le Gouvernement Français lui-même avait désigné pour le représenter auprès du Tribunal.
Les déclarations ultérieures en sens contraire qui ont été apportées sur ce point par l'Agent français à la troisième session du Tribunal ne sauraient infirmer cette conclusion.
Le Tribunal à déjà fait allusion à un trait particulier de cet arbitrage, d'après lequel la présentation des réclamations de la partie française devait être faite par la Société.
Un autre trait spécial consiste en ce que le Gouvernement Hellénique, lui aussi, a des réclamations pécuniaires à formuler contre la Société, dont le Gouvernement Français ne saurait être responsable. Ce point particulier aurait comporté des problèmes délicats si la compensation des sommes reconnues éventuellement dues de part et d'autre avait fait ressortir un solde au profit du Gouvernement Hellénique.
167 Le caractère ainsi défini de l'arbitrage en cours permettra certaines conclusions ultérieures. Il s'en suit aussi que le Gouvernement Français représenté par son Agent devant le Tribunal doit apparaître à titre de
dominus litis habilité éventuellement à retirer certaines réclamations, consentir à un accord, renoncer à l'instance, etc. et que d'autre part, le Tribunal peut requérir la production par le Gouvernement Français de certains documents et le prier de fournir au Tribunal tous les moyens nécessaires pour la décision du litige (articles 69 et 75 de la Convention de 1907).
§ 5. Avant de pouvoir utilement statuer sur les différents chefs de réclamation, il a paru nécessaire au Tribunal de les regrouper. Bien que ces réclamations soient classées en des groupes distincts dans les mémoires, ce groupement ne tient aucun compte de l'aspect juridique de chacune d'elles. C'est pourquoi le Tribunal doit commencer par les classer d'une autre manière, suivant les questions de droit international public qu'elles soulèvent. Ainsi la question de la responsabilité de la Grèce se pose pour les quatre groupes suivants de faits invoqués par la Société comme comportant cette responsabilité:
A. Faits éventuellement imputables à la Turquie et datant d'avant 1924;
B. Actes imputés à la Crète et datant d'avant 1913;
C. Actes ou omissions imputés à la Grèce comme puissance occupante ou belligérante pour les périodes de 1912 à 1913 et de 1919 à 1924;
D. Actes ou omissions imputés à la Grèce comme Etat successeur concédant par subrogation, pour la période entre 1913 et 1949.
Les contre-réclamations de la Grèce seront examinées à leur place dans ce cadre, ou ultérieurement, selon leur nature.
Dans les cas où une contre-réclamation hellénique n'a été présentée qu'en fonction d'une réclamation de la Société dont le montant est disputé, ou conditionnellement pour le cas de son adjudication, contrairement à la thèse du Gouvernement Hellénique, et sans numéro propre, il est indiqué de l'examiner et de statuer sur elle ensemble avec la réclamation correspondante. Tel est le cas des réclamations énumérées dans le Tableau ci-dessous sub B (4), C I (8) et (7), et D (8) et (9), ainsi qu'il est indiqué dans la colonne 4 de la partie A de ce Tableau. Il n'y a pas lieu de mentionner ici les contre-réclamations helléniques relatives aux réclamations françaises pour lesquelles la Société elle-même a limité sa demande aux 9/16.
Pour toutes les autres contre-réclamations, numérotées par l'Agence hellénique, le Tribunal estime indiqués un examen et une décision indépendants. Elles aussi seront examinées dans un ordre différent de celui dans lequel elles ont été présentées et cela pour les mêmes raisons qu'indiquées ci-dessus pour les réclamations. Ce regroupement ressort de la partie B du Tableau ci-après.
Ce mode différent de groupement comportera un traitement des réclamations suivant le schéma dressé dans la colonne 1 du Tableau I ci-après, qui pour le reste a été établi autant que possible dans l'ordre chronologique. Le Tribunal a indiqué dans la colonne 2 pour chaque réclamation son montant définitif, tel que la partie française l'a finalement fixé dans les dernières pièces de la procédure, exprimé dans sa monnaie d'origine et sans tenir compte provisoirement des réévaluations en or et des intérêts demandés. La colonne 3 mentionne les montants que l'Agence hellénique a déclaré, également dans les dernières pièces de la procédure, être prête, sous certaines conditions, à admettre comme corrects. La colonne 4 enfin indique les cas dans lesquels le Gouvernement hellénique fait valoir une contre-réclamation pour le cas où la réclamation française correspondante est adjugée.
168 La longue liste chronologique de réclamations figurant sous D aurait pu être divisée, comme celle sous C, en deux groupes distincts, selon qu'elles ont pris naissance sous l'empire du 3e contrat de concession de 1894 (pour la période de 1899 à 1924) ou sous celui du 4e et dernier contrat de concession de 1913 (pour la période de 1924 à 1949), mais le Tribunal a abandonné cette idée.
Cette division aurait, en effet, d'une part, nécessité des redites pour certaines réclamations qui s'étendent également sur les deux périodes, avant et après 1924. Elle n'aurait, d'autre part, guère présenté d'utilité pratique, parce que le régime de la 3e concession était identique à celui de la 4e, à une seule exception près sur laquelle le Tribunal reviendra lors de sa décision sur la réclamation française n° 22 et les contre-réclamations helléniques n°s 7 et 8 y relatives.
La période de 1913 à 1949 sous D présente, d'ailleurs, encore une autre césure bien marquée et d'extrême importance, à savoir celle de 1929, année à partir de laquelle la Grèce a privé la Société de sa concession dans des conditions contraires aux clauses du contrat. Mais cet événement fait l'objet de quelques réclamations spéciales. Il n'était donc pas nécessaire d'en tenir compte dans le relevé systématique des chefs de réclamation.
Pour des raisons imperatives qui apparaîtront à la suite de l'exposé des motifs ci-après, le Tribunal s'est vu amené à séparer dans la série des réclamations françaises énumérées dans le Tableau I, sous A, et successivement examinées dans la partie I de cette sentence, la réclamation n° 27 (rachat de la concession).
Cette réclamation étant apparue comme ne pouvant utilement être étudiée qu'après l'examen de toutes les autres réclamations (partie I) et contre-réclamations (partie II), le Tribunal a cru nécessaire d'y consacrer une partie spéciale III de cette sentence, intitulée: Rachat de la concession.
169
Tableau I
RECLAMATIONS FRANCAISES ET CONTRE-RECLAMATIONS HELLENIQUES
A. — Réclamations de la Société
Classification des réclamations
|
Montant définitif réclamé par la société, dans la monnaie d'orinine (août 1955)
|
Montant que, sous certaines conditions, la Grêce serait prête à admettre comme correct (août 1955)
|
Contre-réclamations hélléniques éventuelles
|
1
|
2
|
3
|
4
|
A. Faits éventuellement imputables à la Turquie et datant d'avant 1924
|
(12a) Enlèvement de la bouée du Vardar (1912)
|
5 684,50 pt. or
|
|
|
(20) incendie de Smyrne (1922)
|
(réclamation retirée)
|
|
|
A. Faits éventuellement imputables à la Turquie et datant d'avant 1924
|
(11) Ordre de préparer la construction de feux nouveaux à Spada et à Elaphonissi, suivi du refus final de l'autoriser ( 1903-1913)
|
46 292.75 pt. or |
38 058 pt. |
|
(4) Exemption du Haghios Nicolaos du paiement de droits de phare (depuis 1908)
|
902 825 pt. or, dont 9/16 = 507 859,05 pt. or |
|
C.-R. |
C. Actes ou omissions imputés à la Grèce comme puissance occupante (belligérante)
|
I. Pendant les guerres balkaniques (1912-1913).
|
(8) Pression exercée sur l'agence de Salonique pour verser ses recettes dans la caisse publique hellénique (1912/1913)
|
709 875 pt. or (comp. infra sous D,8)
|
709 391 pt.
|
C.-R.
|
(7) Saisie des soldes de l'Agence de Tenedos (1912)
|
941,50 pt. or
|
941,50 pt
|
C.-R. |
(1) Non-paiement des droits de phare pour des navires réquisitionnés (1912-1913)
|
3 108 240,73 pt. or, dont 9/16 = 1 748 385,41 pt. or |
|
|
(10) Perception illégale de droits dédouane (1913)
|
170,75 pt. or
|
170,75 dra.
|
|
170
Tableau I (suite)
RECLAMATIONS FRANCAISES ET CONTRE-RECLAMATIONS HELLENIQUES
A. — Réclamations de la Société
Classification des réclamations |
Montant définitif réclamé par la société, dans la monnaie d'orinine (août 1955) |
Montant que, sous certaines conditions, la Grêce serait prête à admettre comme correct (août 1955) |
Contre-réclamations hélléniques éventuelles |
1
|
2
|
3
|
4
|
II. Dans la période de liquidation de la grande guerre de 1914 contre l'Empire Ottoman (1919-1924).
|
(3) Non-paiement d'une majoration au triple des droits de phare, dus pour des navires réquisitionnés par la Grèce, à la base navale de Constantinople (1919)
|
83 599,50 pt. dont 9/16 = 47 024,72 pt. |
83 599,50pt. |
|
(13) Détérioration du feu de Dédéagatch (1920)
|
15 188,25 pt.
|
3x2 850 = 8 550pt. |
|
(14) Endommagement de la bouée de Yeni Kale (1922)
|
196 492,50 pi.
|
3x5 225 = 15 675pt. |
|
D. Actes ou omissions imputés à la Grèce comme Etat successeur, concédant par subrogation (1913-1949 ou après)
|
(8) Non-observation d'un modus vivendi conclu en novembre 1912 pour éviter la saisie des recettes à Salonique (1913/1914)
|
(voir supra sous C1,8) |
|
C.-R. |
(4) Exemption du Haghios Nicolaos du paiement des droits de phare
|
(voir sous B, 4) |
|
|
(28)* Non-remboursement à la Société des frais d'entretien de sept phares dont l'entretien était à la charge du Gouvernement concédant (1913-1915)
|
208 537 pt. or |
|
|
* Numéro d'ordre donné par le Tribunal à une réclamation additionnelle jointe par la partie française à sa note explicative du 31 janvier 1955 relative à la réclamation n° 27.
171
Classification des réclamations |
Montant définitif réclamé par la société, dans la monnaie d'orinine (août 1955) |
Montant que, sous certaines conditions, la Grêce serait prête à admettre comme correct (août 1955) |
Contre-réclamations hélléniques éventuelles |
1
|
2
|
3
|
4
|
(6) Perception par la Grèce pour son propre compte des droits de phare dans ses nouvelles agences insulaires (depuis 1913)
|
6 878,35 pt. or, dont 9/16=3 869,07 pt. or |
|
|
(1) Non-paiement des droits de phare pour des navires réquisitionnés (1913-1924)
|
(voir supra sous CI,1) |
|
|
(21) Mesures vexatoires de diverse nature (1913-1929)
|
22 015pt. |
|
|
(5) Négligence ou refus de la Grèce d'appuyer de son autorité la perception par la Société des droits de phare en Nouvelle- Grèce (1914-1916)
|
montant non fixé |
|
|
(1 bis)* Non-paiement des droits de phare pour des navires poste et d'autres navires privés non postaux (1913 à 1922)
|
(voir sous C I, 1) |
|
|
(16) Non-remboursement des frais causés à la Société par la remise des phares à la Grèce (1915)
|
8 004,50 pt. or |
8 004,50 pt. |
|
(17) Non-remboursement à la Société de la valeur des approvisionnements et du matériel trouvés dans les phares lors de leur remise à la Grèce (1915)
|
8 679 francs or |
|
|
(19) Evacuation forcée du bureau de Salonique, suivie d'un incendie nuisible à la Société (1915-1917)
|
2 000 francs or |
|
|
* Voir sur ce numéro d'ordre les remarques faites ci-après sub D de cette sentence
ad réclamation n° 1 (à la fin).
172
Tableau I (suite)
RECLAMATIONS FRANCAISES ET CONTRE-RECLAMATIONS HELLENIQUES
A. — Réclamations de la Société
Classification des réclamations |
Montant définitif réclamé par la société, dans la monnaie d'orinine (août 1955) |
Montant que, sous certaines conditions, la Grêce serait prête à admettre comme correct (août 1955) |
Contre-réclamations hélléniques éventuelles |
1
|
2
|
3
|
4
|
(12b) Saisie d'une bouée de rechange sur le quai de Salonique (1915)
|
93 601,20 pt. or |
93 601,20pt. |
|
(15) Détérioration et frais de reprise du feu de Paspargos (1915-1928)
|
480 000 pt |
|
|
(22) Construction de nouveaux phares par la Grèce (1915-1949)
|
montant symbolique |
|
|
(9) Perception de droits de phare par la Grèce à son propre profit à Dédéagatch (1920-1929)
|
164 175 dra. |
164 180 dra. |
C.-R. |
(2) Non-paiement de droits de phare à Salonique pour des navires réquisitionnés (1922-1923)
|
453 405,50 pt., dont 9/16=255 040,59 pt.
|
|
|
(26) Défaut de péréquation des tarifs à l'or (1919-1929)
|
15 218 240 pt., dont 9/16 =- 8 560 260 pt. |
2 650 662 dra. |
|
(10 bis) Perception illégale d'impôts fonciers à La Canée, à Chios et à Mytilène (1927-1929)
|
12 022,70 dra. |
|
|
(23) Perturbations dans l'administration résultant de la saisie des perceptions contraire au contrat de concession (1929)
|
|
|
|
(27)* Rachat de la concession (1929)
|
annuité de 736 000- pt. or pour 20 ans |
|
|
* Voir sur les raisons pour lesquelles cette réclamation sera examinée séparément, ci-dessus à la fin du § 5 de la Partie introductive.
173
Classification des réclamations |
Montant définitif réclamé par la société, dans la monnaie d'orinine (août 1955) |
Montant que, sous certaines conditions, la Grêce serait prête à admettre comme correct (août 1955) |
Contre-réclamations hélléniques éventuelles |
1
|
2
|
3
|
4
|
(25) Eviction de la Société de son agence à Mytilène moyennant un procès (1931-1934)
|
1 644 000 pt. |
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(24) Dépenses imposées à la Société pour défendre sa cause en justice (1934-1938; 1951 et ss.)
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montant non fixé |
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( 18) Obligation morale imposée à la Société d'allouer des pensions de retraite à certains membres licenciés de son personnel (1941)
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pro-mémoire |
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B. — Contre-réclamations helléniques indépendantes
(
en plus des contre-réclamations qui se réfèrent directement aux réclamations françaises correspondantes)
Fondement de la contre-réclamation
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Montant final réclamé
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(2) Perception illégale de droits pendant les guerres italo-turque et balkaniques (1911-1913)
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dra 100 000 (estimation) |
(1) Non-remboursement à la Grèce de sa part dans les recettes (1913-1928)
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50 % de Pi. tu. 21 194359 = dra. 2 230 985 |
(7) Frais de construction de phares nouveaux (depuis 1915)
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2/7 de Li. tu. 25 000 = dra. 198 800 |
(8) Frais de réparation des phares nouveaux (depuis 1915) |
annuité de 2/7 de Li. tu. 1 500 pour 14 ans = dra. 168 000 |
(9) Frais d'établissement d'un feu nouveau à Tenedos (1918)
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dra. 3 000 |
(10) Frais de réparation ou de reconstruction des feux de Tenedos, Gaidaro, Imbros et Paspargos endommagés en 1916 (1919)
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1/2 de (dra. 11 700 et Ffr. 14 250) = dra. 12 975 |
174
Tableau I (suite)B. — Contre-réclamations helléniques indépendantes
Fondement de la contre-réclamation
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Montant final réclamé
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(3) Valeur des matériaux utilisés pour le fonctionnement des phares (1915-1928)
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dra. 413 098 + Ffr. 116 813 + $ 38 407 + cour. suéd. 370 + £ 703.15 = dra. 2 143 381,17
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(4) Frais de transport des approvisionnements aux phares (1915-1928)
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dra. 5 516 700
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(5) Appointements du personnel des phares (1915-1928)
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dra. 12 679 481
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(6) Frais de réparation et d'entretien des phares (1915-1928)
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dra. 740 460
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§ 6. Cependant pour pouvoir regrouper les réclamations d'après le schéma appliqué dans le Tableau I ci-dessus, force a été au Tribunal de fixer d'abord les dates exactes auxquelles le régime d'occupation militaire hellénique (sous C) doit être considéré comme s'étant transformé en souveraineté territoriale de la Grèce (sous D), question laissée dans l'ombre dans les arrêts de la Cour permanente de Justice internationale de 1934 et de 1937. Pour justifier la fixation de ces dates exactes, le Tribunal tient à faire les observations ci-après, qu'il fait précéder d'un autre Tableau, II, résumant les événements historiques qui ont amené lesdits changements territoriaux.
Tableau IICHANGEMENTS TERRITORIAUX RELATIFS A LA GRÊCE
Traités du 24 mai 1881 (Grandes Puissances-Turquie) et du 2 juillet 1881 (Grèce- Turquie)
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Rectification de la frontière gréco-turque en vertu de l'art. 24 du Traité de Berlin (1878) : la Thessalie devient grecque (ligne Arta-Salambrias).
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Traité de paix de Constantinople du 4 décembre 1897 (Grèce-Turquie)
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La frontière gréco-turque est reculée vers le sud (embouchure du Potamoul).
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Traité de paix de Londres du 30 mai 1913 (Turquie-Bulgarie, Grèce, Monténégro, Serbie)
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La Turquie cède aux Alliés balkaniques: a) Tout le territoire balkanique ottoman à l'ouest de la ligne Enos-Midia, à l'exception de l'Albanie (art. 2) ; b) La Crète (art. 4). Les Etats balkaniques confient aux Grandes Puissances le soin: 1) De régler toutes les questions concernant l'Albanie, ses frontières avec la Grèce en Epire incluses (art. 3) ; 2) De statuer sur le sort de: a) Toutes les îles ottomanes de la mer Egée, la Crète exceptée (art. 5) ; b) La péninsule du Mont-Athos (art. 5). Traité non-ratifié.
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175
1er juin 1913
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La Grèce et la Serbie divisent entre elles les territoires conquis.
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Juin 1913
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Désaccord serbo-bulgare sur la division des territoires conquis.
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29 juillet 1913
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Les grandes Puissances constituent l'Albanie en Etat indépendant.
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7 août 1913
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La Bulgarie et la Grèce s'entendent sur leur frontière commune (voir Protocole de Bucarest n° 9).
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Traité de paix de Bucarest du 10 août 1913 (Bulgarie-Grèce, Monténégro, Roumanie, Serbie)
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La frontière gréco-bulgare est fixée comme suit: Florina-Guevgeli-Doiran-Petritch-Rupel, pour arriver à la mer au nord de Thasos à l'embouchure de la Mesta (Macédoine); Gavalla, Drama, Seres, Demir-Hissar et Salonique viennent à la Grèce; Xanthi demeure bulgare (art. 5). La Bulgarie s'étend, vers le sud, jusqu'à la mer (Thrace occidentale) et, vers l'est, de l'embouchure de la Mesta jusqu'à la ligne Enos-Midia. Elle se désiste de toute prétention sur l'île de Crète (art. 5, in fine). — Echange des ratifications: 25 août 1913.
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15 août 1913 |
Protocole Venizelos-Pachitch de Belgrade par lequel la Serbie se désiste de toute prétention sur la Crète. Dès ce moment il n'y a plus de prétentions contraires à celle de la Grèce.
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Traité de paix de Constantinople du 29 septembre 1913 (Bulgarie-Turquie) |
La frontière bulgaro-turque est sensiblement reculée de la ligne Enos-Midia à Andrinople, Karagatch inclus (ligne de la Maritza) (art. 1). — Entrée en vigueur immédiate (art. 20).
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Traité de paix d'Athènes du 14 novembre 1913 (Grèce-Turquie)
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Les dispositions du traité de paix de Londres sont maintenues (art. 15). — Entrée en vigueur immédiate (art. 16).
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19 décembre 1913 |
Protocole de Florence fixant comme frontière sud de l'Albanie la ligne Corfou-lac d'Ochrida: l'Epire du Nord est attribuée à l'Albanie, l'Epire du Sud à la Grèce.
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Au cours de 1913 |
Le sort futur du Mont-Athos est l'objet d'un échange de mémoires à propos de certains plans pour une internationalisation panorthodoxe de la péninsule.
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176
13 février 1914 |
La Conférence des Ambassadeurs des Grandes Puissances attribue à la Grèce toutes les îles de la mer Egée occupées par elle (donc à l'exclusion du Dodecanese), y compris (l'Etat autonome de) Samos, mais à l'exception de Tenedos, d'Imbros et de Castellorizo (ou des îles aux Lapins), qui doivent retourner à la Turquie, — sous condition suspensive. L'île de Saseno sera évacuée par la Grèce en faveur de l'Albanie.
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24 avril 1914 |
L'allocation des îles de la mer Egée devient définitive à la suite de l'acceptation par la Grèce des conditions posées par les Grandes Puissances (note hellénique du 21 février 1914).
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2 avril 1915 |
Prise de possession du phare de Paspargos par les autorités helléniques.
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Traité de Sofia du 25 septembre 1915 (Turquie-Bulgarie) |
La frontière bulgaro-turque est rectifiée (Karagatch à l'ouest de la Maritza fait retour à la Bulgarie).
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30 octobre 1918 |
Date à partir de laquelle, d'après l'article 9 du Protocole XII de Lausanne, la subrogation dans la concession aura effet pour les territoires détachés de la Turquie par le traité de paix de Lausanne de 1923.
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Traité de paix de Neuilly du 27 novembre 1919 (Puissances Alliées et et Associées-Bulgarie) |
La Bulgarie renonce à tous ses droits et titres sur la Thrace occidentale entre la Mesta et la Maritza (inclus Karagatch) en faveur des Grandes Puissances qui décideront sur son sort (art. 48). — Echange des ratifications: 9 août 1920.
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27 mai 1920 |
La Grèce occupe Dédéagatch (à l'ouest de la Maritza), jusqu'alors occupé par les forces françaises.
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Traité de paix (avorté) de Sèvres du 10 août 1920 (Puissances Alliées et Associées-Turquie) |
La frontière gréco-turque sera avancée jusqu'à la ligne de Chatalcha près de Stamboul (art. 27.1,2). Est confirmée la souveraineté grecque sur la Thrace occidentale (inclus Karagatch) et sur les îles de la mer Egée (y compris même Imbros et Tenedos) [art. 84, alinéas 1 et 3], mais à l'exception des îles situées à moins de trois milles de la côte asiatique (art. 84, alinéa 3 in fine) et à l'exception de Castellorizo et du Dodecanese, qui sont réservés à l'Italie (art. 122). La région de Smyrne sera constituée en territoire autonome sous le gouvernement direct de la Grèce, mais restant sujet à la souveraineté nominale de la Turquie (art. 65-83).
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177
10 août 1920 |
Par un traité séparé, également conclu à Sèvres, les Grandes Puissances transfèrent à la Grèce le territoire visé à l'art. 48 du traité de Neuilly, c'est-à-dire la Thrace occidentale, y compris Karagatch.—Ratifié seulement après sa confirmation par le Protocole XVI, annexé au traité de paix de Lausanne de 1923, simultanément avec ce dernier.
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10 août 1920 |
Accord italo-grec (avorté) pour la cession du Dodecanese à la Grèce, à l'exception de l'île de Rhodes qui restera à l'Italie, mais deviendra autonome.
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Traité de paix de Lausanne du 24 juillet 1923 (Puissances Alliées - Turquie) |
La Grèce perd ses gains territoriaux de Sèvres. La frontière gréco-turque est de nouveau reculée vers la Maritza (Andrinople et Karagatch restent turcs) [art. 2.2]. Est maintenue la décision du 13 février 1914 relative aux îles de la mer Egée à l'exception, comme en 1914, d'Imbros et de Tenedos (qui demeurent à la Turquie) et des îles aux Lapins (art. 12, alinéa 1er) et à l'exception, en outre, comme en 1920, des îles situées à moins de trois milles de la côte asiatique (art. 12. alinéa 2), qui demeurent turques et du Dodecanese et de Castellorizo, qui échoient à l'Italie (art. 15).
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24 juillet 1923 |
Protocole XVI: confirmation et mise en vigueur du traité séparé de Sèvres relatif à la cession à la Grèce de la Thrace occidentale, mais à l'exception de Karagatch qui fait retour à la Turquie (comp. protocole XV).
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178
6 août 1924 |
Entrée en vigueur du traité de Lausanne avec ses protocoles.
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Traité de paix de Paris du 10 février 1947 (Puissances Alliées-Italie)
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L'Italie cède à la Grèce l'archipel du Dodecanese et Gastellorizo (art. 14).
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De ce Tableau II il faut inférer d'abord que la question de la date exacte à laquelle la souveraineté territoriale d'une région déterminée a été acquise ou certains autres changements territoriaux se sont produits se pose différemment pour les différentes parties de la Nouvelle-Grèce, selon qu'il s'agit d'acquisitions ou d'autres changements territoriaux
1° A la suite des guerres balkaniques, ou
2° A la suite de la première guerre mondiale, —
En ce qui concerne les acquisitions sous 1°, selon qu'il s'agit de l'acquisition de territoires situés dans la péninsule balkanique à l'ouest de la Mesta, des îles de la mer Egée ou de la Crète, —
Et en ce qui concerne les changements territoriaux sous 2°, selon qu'il s'agit de la Thrace occidentale (notamment Dédéagatch, la seule région qui ait de l'importance dans l'espèce, parce qu'il n'y a, ou il n'y avait pas de phares ou d'agences de la Société en Thrace occidentale, autres que ceux de Dédéagatch ; voir les réclamation nos 13, 9 et 10 bis) ou de certaines îles isolées de la mer Egée (notamment Tenedos et Paspargos; voir les réclamations nos 7 et 15).
Il ressort ensuite de ce Tableau II que les transformations territoriales de la Grèce, tant à la suite des guerres balkaniques qu'à la suite de la première guerre mondiale, sont difficiles à dater exactement en droit international. Les données officielles y relatives, transmises au Tribunal, sur sa demande, par l'Agence hellénique ayant paru peu satisfaisantes sur plus d'un point, le Tribunal s'est vu dans la nécessité de tâcher de reconstruire lui-même l'histoire de ces transformations.
1° TRANSFORMATIONS TERRITORIALES À LA SUITE DES GUERRES BALKANIQUES
Le traité qui est à la base de tous les changements territoriaux consécutifs est le traité de paix conclu à Londres le 30 mai 1913, sous la médiation des grandes Puissances, entre la Turquie, d'une part, et les quatre Etats alliés balkaniques d'alors: la Bulgarie, la Grèce, le Monténégro et la Serbie, de l'autre. Ce traité ne stipulait de véritables cessions territoriales — et celles-ci uniquement au profit des quatre Puissances balkaniques alliées — qu'en ce qui concerne:
a) Les territoires ottomans sur le continent européen à l'ouest d'une ligne tirée d'Enos sur la mer Egée à Midia sur la mer Noire (ligne reculée, déjà quelques mois plus tard, vers la ligne Enos-Andrinople, suivant le cours de la Maritza, art. 1er du traité de paix bulgaro-turc du 29 septembre 1913), à l'exception de l'Albanie (article 2), et
b) L'île de Crète (jusqu'alors Etat autonome sous la suzeraineté ottomane) (article 4).
En ce qui concerne:
c) L'Albanie (article 3) et
179 d) Toutes les îles ottomanes de la mer Egée (l'île de Crète exceptée) [article 5], le traité de Londres ne stipulait aucune cession territoriale proprement dite, ni aux Etats alliés balkaniques, ni aux Grandes Puissances (qui, d'ailleurs, n'étaient pas elles-mêmes parties au traité), mais se bornait à remettre à ces dernières le soin,
ad c), de régler la délimitation des frontières de l'Etat nouveau et,
ad d), de statuer sur le sort des îles de la mer Egée. Ces îles ne furent donc pas encore, en mai 1913, définitivement détachées de la Turquie par une cession formelle. Leur sort était laissé en suspens jusqu'à la décision finale à prendre à leur sujet par les Grandes Puissances moyennant une résolution collective, autoritative et unilatérale, qui seule mettrait fin aux droits souverains de la Turquie sur ces îles. Le texte du traité de Londres ne contient rien qui permette de penser que les îles aient jamais été placées sous un co-imperium temporaire des Grandes Puissances, ainsi qu'il a souvent été le cas d'autres règlements similaires internationaux.
En ce qui concerne enfin
e) la péninsule du Mont-Athos, il y eut certainement cession territoriale par la Turquie, également aux Etats alliés (article 2), mais dans ce cas, sous réserve du mandat, donné aux Grandes Puissances, de statuer sur son sort (article 5).
Dans ces conditions, la date exacte à laquelle tel ou tel territoire de la Nouvelle Grèce est passé juridiquement dans la souveraineté de la Grèce à la suite des guerres balkaniques, est déterminée par deux séries d'événements, selon qu'il s'agit de ses nouvelles provinces continentales (ou de l'île de Crète), d'une part, ou des îles de la mer Egée, de l'autre. Ces événements sont mis en évidence dans le tableau suivant:
A. Nouvelle-Grèce continentale (à l'ouest de la Mesta)
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B. Iles de la mer Egée
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30 mai 1913, conclusion du traité de paix de Londres, jamais ratifié (parties: Turquie-Bulgarie, Grèce, Monténégro, Serbie).
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10 août 1913, conclusion du traité de paix de Bucarest (parties: Bulgarie-Grêce, Monténégro, Roumanie, Serbie) réglant la répartition du territoire turc conquis entre les Alliés et les Alliés balkaniques art. 5 (Grèce-Bulgarie).
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14 novembre 1913, conclusion du traité de paix gréco-turc d'Athènes, entré en vigueur dès sa signature.
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25 août 1913, échange des ratifications du traité de Bucarest.
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13 février 1914, décision des Grandes Puissances adjugeant les îles à la Grèce sous certaines conditions.
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14 novembre 1913, conclusion du traité de paix gréco-turc d'Athènes, entré en vigueur dès sa signature.
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24 avril 1914, allocation définitive des îles à la Grèce.
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Ce tableau fait ressortir clairement que la thèse de l'Agence hellénique d'après laquelle les territoires y compris sont passés à la Grèce le 30 mai 1913 au plus tard, ne peut pas être correcte; ils ne peuvent, au contraire, être devenus grecs que le 30 mai 1913 au plus tôt, puisque le choix de la date exacte ne peut se porter que sur celle du traité de Londres ou sur différentes dates postérieures.
180 A. Pour la
Nouvelle-Grèce continentale, il s'agit de deux facteurs décisifs distincts. L'acquisition territoriale de cette région par la Grèce s'est, en effet, effectuée à la suite de deux opérations séparées, mais également indispensables: son détachement de l'Empire Ottoman, d'une part, et son attribution à la Grèce, de l'autre. Le premier fait juridique peut être considéré comme s'étant produit soit par la conclusion du traité de Londres en mai 1913, soit par la signature, ou par l'échange des ratifications du traité d'Athènes en novembre 1913. Le deuxième ne peut avoir été l'effet que du règlement interallié de Bucarest d'août 1913. Le dernier ne peut, toutefois, avoir produit ses effets définitifs avant que le premier ne fût devenu parfait. Tout dépend donc de la question de savoir si le règlement d'Athènes doit être censé avoir eu un effet rétroactif jusqu'au règlement de Londres. Dans l'affirmative, c'est-à-dire si le détachement du territoire en question de la Turquie s'est opéré juridiquement déjà en mai 1913, ce territoire doit être reconnu comme ayant été définitivement attribué à la Grèce en août 1913, attribution confirmée à posteriori par le traité d'Athènes. Si, au contraire, la réponse est négative, c'est-à-dire, si le détachement du territoire de la Turquie n'est devenu définitif en droit qu'en novembre 1913, son attribution à la Grèce par le traité de Bucarest ne saurait être considérée comme définitivement acquise qu'en novembre. La question additionnelle de savoir laquelle des deux dates en août 1913 (le 10 ou le 25) et en novembre 1913 (le 14 ou le 29) doit être retenue est facile à résoudre. Ce serait, en effet, évidemment la dernière des deux dates possibles en août, mais la première des deux en novembre, étant donné que le traité de Bucarest n'est entré en vigueur que par l'échange des ratifications à la date du 25 août 1913, tandis que le traité d'Athènes l'est déjà à la date de sa signature, le 14 novembre 1913. Même si l'on était d'avis que la clause d'un traité sujet à ratification, laquelle prévoit provisoirement son entrée en vigueur immédiate, ne saurait être considérée à elle seule comme définitivement opérante, l'échange subséquent des ratifications la revêtirait en tout cas de la force obligatoire définitive, et cela moyennant une
ratihabitio, avec effet rétroactif. Le choix ne peut, par conséquent, porter que sur deux dates: le 15 août ou le 14 novembre 1913, selon que le traité d'Athènes doit être estimé, ou non, avoir eu, conformément aux intentions communes des deux parties contractantes, effet rétroactif jusqu'à la date de la signature du traité de Londres en mai 1913. Bien que ce traité d'Athènes n'en dise rien en termes exprès, le Tribunal incline à admettre cet effet rétroactif pour le motif que le traité bilatéral gréco-turc d'Athènes n'était en réalité que la liquidation finale et formelle d'événements irrévocables, la libération de la partie non turque de la péninsule des Balkans par les forces combinées des Alliés balkaniques, d'une part, et la répartition entre eux du territoire ainsi libéré, de l'autre.
Au point de vue du droit international, le territoire de la Nouvelle-Grèce continentale à l'ouest de la Mesta doit donc être considéré comme détaché de l'Empire Ottoman le 30 mai 1913 et comme attribué à la Grèce le 25 août 1913, après un
coïmperium interbalkanique d'environ trois mois.
B. Pour
les Iles de la mer Egée (l'Etat autonome de Samos inclus), le problème se pose différemment, parce que dans ce cas aucune cession territoriale intérimaire à un groupe d'Etats créant un
coïmperium temporaire n'a eu lieu. Le passage des territoires ottomans à la Grèce ne s'est donc pas opéré, dans ce cas, via un tel
coïmperium provisoire (dans l'espèce, des Grandes Puissances), mais sous la forme d'une attribution directe de souveraineté à la Grèce par une décision d'autorité prise par ces Grandes Puissances en vertu du mandat que leur avait confié le traité de Londres.
181 Dans ce cas aussi, on peut envisager des effects rétroactifs, commençant par la confirmation, par les Grandes Puissances, à la date du 24 avril 1914, de l'acceptation par la Grèce, le 21 février 1914, des conditions auxquelles elles avaient subordonné l'adjudication finale des îles à la Grèce par leur décision du 13 février 1914. Cette décision étant en tout cas postérieure à l'entrée en vigueur des clauses territoriales contenues dans le traité-base de Londres, les Grandes Puissances exécutèrent par là un mandat qui était déjà devenu définitif et qui n'avait donc plus besoin d'être validé rétroactivement par un nouvel instrument international quelconque.
Quant à la souveraineté sur les îles de la mer Egée, il y a donc eu simultanément détachement de la Turquie et attribution à la Grèce, à la date du 13 février 1914.
Il y a lieu, toutefois, préludant aux événements pendant la première guerre mondiale, de joindre à l'analyse précédente un bref résumé des événements particuliers relatifs à certaines îles déterminées dont le sort juridique a été différent de celui des autres îles.
Crète
En ce qui concerne
l'île de Crète, les considérations suivantes s'imposent. Le détachement de cette île de l'Empire Ottoman et son attribution finale à la Grèce se sont opérés en quatre phases successives.
a) Son émancipation comme entité autonome a déjà commencé en 1868 lorsqu'elle fut dotée d'un régime spécial en vertu d'un firman impérial arrêtant un « Règlement organique ». Depuis lors, l'île de Crète a vécu une vie politique séparée, réglementée par un nouveau Règlement organique en date du 25 août 1896, et mené l'existence légale d'un Etat autonome, investi de pouvoirs politiques très larges, mais sous la suzeraineté de l'Empire Ottoman.
b) Par le traité de paix de Londres du 30 mai 1913 (art. 4) la Turquie, ennemi commun des Alliés de la première guerre balkanique, a cédé l'île à ces derniers et renoncé en leur faveur à tous les droits de souveraineté et autres qu'elle possédait sur elle.
c) Par le traité de paix de Bucarest du 10 août 1913 (art. 5, alinéa dernier) la Bulgarie, ennemi commun des Alliés de la deuxième guerre balkanique, s'est désistée dès lors de toute prétention sur l'île, qu'elle pourrait encore faire valoir en sa qualité d'ex-Alliée, co-souveraine de l'île depuis le traité de Londres.
d) La liquidation finale du
coïmperium temporaire des autres Etats alliés de la première guerre balkanique, demeurés alliés pendant la deuxième guerre des Balkans, en faveur de la Grèce, ne semble plus s'être opérée qu'entre la Grèce et la Serbie, moyennant un accord signé le 15 (?) août 1913 à Belgrade entre les deux Premiers Ministres Venizelos et Pachitch. Le Tribunal n'a pu trouver de document similaire entre la Grèce et le Monténégro.
Au point de vue du droit international, on peut donc formuler les conclusions suivantes. La cession faite de la Crète par l'Empire Ottoman en 1913 se distingue de la cession des autres îles sur deux points. Elle a été opérée, d'abord, au point de vue juridique, directement en vertu d'une décision collective et indépendante des Etats balkaniques sans aucune intervention des Grandes Puissances, ainsi que cela était le cas des îles de la mer Egée.
182De plus, la « cession » faite par l'Empereur Ottoman et sa « renonciation » en faveur des Alliés balkaniques « à tous les droits de souveraineté et autres qu'il possédait sur cette île » (art. 4 du traité de Londres) ne constituaient en dernière analyse que sa renonciation finale à un résidu de droits de suzeraineté qu'il avait encore retenus après avoir érigé l'île en Etat autonome.
Imbros et Tenedos
1. Imbros et Tenedos font partie des îles de la mer Egée sur le sort desquelles les Grandes Puissances reçoivent le mandat de décider (traité de paix de Londres du 30 mai 1913, art. 5, confirmé par le traité de paix d'Athènes du 14 novembre 1913, art. 15).
2. Par leur décision du 13 février 1914, la Conférence des Ambassadeurs de Londres les excepte de l'attribution de l'archipel à la Grèce et les adjuge à la Turquie. Elles restent cependant sous l'occupation grecque.
3. Le traité de paix avorté de Sèvres du 10 août 1920 les attribue à la Grèce, en connexion avec l'avancement projeté de la frontière gréco-turque vers la ligne de Chatalcha (articel 84, alinéa 3).
4. Le traité de paix de Lausanne du 24 juillet 1923 les excepte de nouveau du transfert à la Grèce et maintient la souveraineté turque (article 12). (Voir aussi le protocole XV, articles 4 et 5).
Conclusion: les îles de Imbros et de Tenedos ne sont jamais passées sous la souveraineté hellénique, mais elles ont été sous l'occupation de la Grèce de 1912 à 1924.
Iles situées à moins de trois milles de la côte asiatique turque
(notamment Paspargos)
1. Comme sous 1 ci-dessus (30 mai 1913).
2. Attribution à la Grèce par la décision de la Conférence des Ambassadeurs de Londres, 13 février 1914. Le phare de Paspargos est occupé par le Gouvernement Hellénique le 2 avril 1915.
3. Le traité de paix avorté de Sèvres du 10 août 1920 (article 84, alinéa 3,
in fine) les excepte de l'attribution des îles de la mer Egée à la Grèce.
4. Le traité de paix de Lausanne du 24 juillet 1923 confirme la solution sous 3, tout en réservant les stipulations contraires contenues dans le traité même (article 12, alinéa 2).
Dodécanèse
1. Comme sous 1 ci-dessus (30 mai 1913).
2. L'archipel est excepté du transfert à la Grèce en février 1914, comme étant resté sous l'occupation italienne après le traité de paix d'Ouchy-Lausanne du 18 octobre 1912, en vertu de l'article 2, alinéa 2.
3. L'accord Tittoni-Venizelos du 29 juillet 1919 (avorté) prévoit sa cession à la Grèce sous une condition générale formulée à l'article 7, et à l'exception de l'île de Rhodes (article 5).
4. Le Gouvernement Italien dénonce le traité sous 3 à la date du 22 juillet 1920 pour le motif que la condition formulée audit article 7 n'est pas remplie.
5. Le traité de paix avorté de Sèvres du 10 août 1920 excepte le Dodecanese du transfert des îles de la mer Egée à la Grèce et l'attribue à l'Italie (articles 84, alinéa 3, et 122).
183 6. Par le traité Bonin Longare-Venizelos de la même date (10 août 1929, Sèvres), l'Italie cède de nouveau à la Grèce l'archipel du Dodecanese à l'exception de Rhodes (articles 1 et 2).
7. Le 8 octobre 1922, le Gouvernement Italien déclare au Gouvernement Hellénique qu'il considère le traité sous 6 comme non avenu.
8. L'archipel est enfin attribué en son entier à la Grèce par le traité de paix de Paris avec l'Italie (10 février 1947), article 14.
Castellorizo
1. Comme sous 1 ci-dessus (30 mai 1913).
2. L'île est exceptée de l'attribution à la Grèce par la décision des Ambassadeurs à Londres du 13 février 1914.
3. Le traité de paix avorté de Sèvres du 10 août 1920 (article 84, alinéa 3) confirme la décision des Ambassadeurs sous 2, mais la Turquie cède Castellorizo à l'Italie (article 122
in fine).
4. Les accords italo-grecs avortés Tittoni-Venizelos du 29 juillet 1919 et Bonin Longare-Venizelos du 20 août 1920 ne mentionnent pas nommément l'île de Castellorizo.
5. Par le traité de paix de Lausanne du 24 juillet 1923 (article 15 in fine), la Turquie renonce en faveur de l'Italie à tous ses droits et titres sur l'île de Castellorizo.
6. Par le traité de paix de Paris du 10 février 1947 (article 14), l'Italie cède l'île à la Grèce.
En 1931 une procédure a été entamée entre l'Italie et la Turquie devant la Cour permanente de Justice internationale sur la frontière maritime entre l'île et la côte de l'Anatolie.
2° CHANGEMENTS TERRITORIAUX À LA SUITE DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
Sous ce chef il s'agit notamment d'examiner à quelle date exacte la Thrace occidentale est passée sous la souveraineté territoriale de la Grèce, à la suite de la guerre de 1914 et ss. Dans ce cas aussi il est nécessaire de dresser un bref tableau.
Tharce occidentale
27 novembre 1919, conclusion du traité de paix de Neuilly dont l'article 27, sub 2° maintient la Grèce dans sa souveraineté sur la Macédoine jusqu'à la Mesta, et dont l'article 48 réserve le sort de la Thrace occidentale, attribuée antérieurement à la Bulgarie à la suite des guerres balkaniques, à une décision des Grandes Puissances, en faveur desquelles la Bulgarie renonce à tous ses droits et titres sur ce territoire.
27 mai 1920, remise de la région aux forces helléniques par les forces françaises occupantes.
9 août 1920, entrée en vigueur du traité de Neuilly, à la suite du dépôt des ratifications.
10 août 1920, conclusion du traité de paix de Sèvres (jamais ratifié et finalement avorté) [voir art. 27, I, 2 et art. 84, alinéa 1er].
10 août 1920, conclusion du traité séparé de Sèvres par lequel les Grandes Puissances attribuent la Thrace occidentale à la Grèce (resté sans ratification pendant quatre ans environ).
24 juillet 1923, conclusion du traité de paix de Lausanne (voir art. 2, sous 2°).
184 24 juillet 1923, Protocole XVI annexé audit traité de paix et décidant le transfert définitif de la Thrace occidentale à la Grèce (voir aussi le Protocole XV).
6 août 1924, entrée en vigueur du Protocole XVI ensemble avec le dépôt des ratifications du traité de paix de Lausanne.
Ce relevé des faits historiques fait ressortir que l'article 9 du Protocole XII du Traité de paix de Lausanne de 1923 ne concerne pas
directement la Thrace occidentale.
Celle-ci n'est pas, en effet, un « territoire détaché de la Turquie en vertu du Traité de paix (de Lausanne) » au sens de la première proposition dudit article 9. Bien que son attribution définitive à la Grèce par le Protocole XVI dudit Traité de paix (destiné à mettre définitivement en vigueur le traité séparé de Sèvres du 10 août 1920) coïncidât avec l'entrée en vigueur du Traité de paix, le 6 août 1924, la Thrace occidentale ne fut pas à cette date détachée de la Turquie, mais au contraire de la Bulgarie, à laquelle elle était passée à la suite des guerres balkaniques. Et si elle rentre bien dans la catégorie des « territoires détachés de la Turquie à la suite des guerres balkaniques », visée dans la seconde proposition de l'article 9 du Protocole XII, c'était en première ligne un détachement de la Turquie suivi de transfert à la Bulgarie, et non pas à la Grèce. Ce n'était qu'en deuxième ligne que la Thrace occidentale fut de nouveau « détachée» — cette fois de la Bulgarie — pour être transférée à la Grèce.
L'arbitre dans l'affaire de la Dette Publique Ottomane, M. Borel, a, dans sa sentence du 18 avril 1925 (
Recueil des sentences arbitrales, vol. I, p. 544-556), donné une interprétation de la commune intention des Puissances signataires du Traité de Lausanne relativement à la date exacte à laquelle la responsabilité de l'ex-Empire Ottoman pour ses dettes publiques doit être considérée comme étant passée de ce dernier aux Etats successeurs en ce qui concerne leurs acquisitions territoriales nouvelles. A son avis, la transition à la Grèce de la responsabilité pour la partie de la dette publique ottomane afférente à la Thrace occidentale doit être datée non pas au 6 août 1924 (date de l'entrée en vigueur du Traité de Lausanne), ainsi que l'avait demandé la Grèce, mais au 9 août 1920 (date de l'entrée en vigueur du Traité de Neuilly), contrairement aussi, par conséquent, à la demande bulgare qui tendait plutôt à reculer la date de transition vers la période d'octobre-décembre 1919 (époque à laquelle les autorités bulgares furent expulsées de la région et la Bulgarie fut privée des ressources du territoire).
Le Tribunal s'est demandé quelles considérations — identiques ou différentes — doivent présider à la solution de la question parallèle de savoir à quelle date s'est opérée la subrogation des deux Etats successeurs successifs, la Bulgarie et la Grèce, dans les droits et charges découlant de la concession des phares en ce qui concerne la Thrace occidentale. La question n'est pas d'une grande importance pratique parce que le seul phare existant dans cette région paraît être celui de Dédéagatch, mais elle présente un intérêt théorique indéniable. Si la solution de M. Borel, dictée par des considérations propres au passage des dettes publiques, était applicable également à la transition des droits et charges découlant de concessions, la Bulgarie devrait être considérée comme Etat successeur pour la Thrace occidentale du 25 août 1913 (date de l'entrée en vigueur du traité de Bucarest, répartissant les anciens territoires turcs entre les Alliés balkaniques) au 9 août 1920 (entrée en vigueur du traité de paix de Neuilly), et la Grèce depuis le 9 août 1920. Le Tribunal est d'accord avec M. Borel pour admettre qu'en tout cas le
coïmperium des Grandes Puissances sur la Thrace occidentale, qui a duré, au moins
de jure, du 9 août 1920 jusqu'au 6 août 1924, ne saurait pas, vu sa nature fiduciaire, être considéré comme ayant comporté leur propre succession aux droits et charges découlant de la concession turque.
185D'autre part, la date du 30 octobre 1918 mentionnée pour la région côtière de la Thrace occidentale, puisqu'elle avait déjà été détachée de la Turquie dès 1913. La date de l'occupation militaire de Dédéagatch par les forces grecques (27 mai 1920) ne saurait non plus être décisive en droit.
Le choix doit donc se porter sur l'une des deux dates suivantes: le 9 août 1920 ou le 6 août 1924. Etant donné que la Bulgarie n'a plus exercé nulle autorité étatique sur la Thrace occidentale (Dédéagatch) depuis l'entrée en vigueur du Traité de paix de Neuilly le 9 août 1920 et que la Grèce, au contraire, l'a même exercée déjà depuis l'occupation militaire anticipée de la région par ces forces vers la fin de mai 1920, le Tribunal ne voit pas de raison de s'écarter en ce qui concerne le point de départ de la subrogation de la Grèce dans la concession des phares, de la sentence Borel relative à la date décisive pour le calcul de la répartition de la dette publique ottomane.
Résumant les résultats de son examen détaillé, le Tribunal formule les conclusions suivantes pour la période de 1912 à 1947.
A. En ce qui concerne Nouvelle-Grèce continentale:
1. La région côtière à l'ouest de la Mesta (notamment la Macédoine et la péninsule du Mont Athos) a été détachée de l'Empire Ottoman le 30 mai 1913 par sa cession aux Alliés balkaniques et attribuée par ceux-ci à la Grèce le 25 août 1913 après un
coïmperium nominal interbalkanique;
2. L'Epire a été détachée de l'Empire Ottoman à la suite de la constitution du nouvel Etat albanais par les Grandes Puissances le 29 juillet 1913 et l'Empire du Sud a été attribuée par elles à la Grèce le 19 décembre 1913;
3. La Thrace occidentale ayant été détachée de l'Empire Ottoman le 30 mai 1913 par sa cession aux Alliés balkaniques et attribuée d'abord par ceux-ci à la Bulgarie le 25 août 1913, a été ensuite détachée de la Bulgarie le 9 août 1920 par sa cession aux Grandes Puissances et définitivement attribuée par celles-ci à la Grèce le 6 août 1924.
Les périodes du 30 mai au 25 août 1913 (pour 1), du 29 juillet au 19 décembre 1913 (pour 2) et du 27 mai 1920 au 6 août 1924 (pour 3) doivent être considérées comme périodes d'occupation militaire hellénique. La Thrace orientale n'a jamais fait partie de la Grèce.
B. En ce qui concerne la Nouvelle-Grèce insulaire:
1. La grande majorité des îles de la mer Egée (l'Etat autonome de Samos inclus) ont été détachées de l'Empire Ottoman et attribuées à la Grèce par une décision des Grandes Puissances du 13 février 1914;
2. L'Etat autonome de la Crète a été définitivement détaché de l'Empire Ottoman le 30 mai 1913 par «la disparition de tout lien politique» entre lui et la Sublime Porte (arrêt de la Cour permanente de Justice internationale du 8 octobre 1937, p. 13) à la suite de la renonciation, par cette dernière, au dernier résidu de droits qu'elle possédait encore sur l'île en faveur des Alliés balkaniques et attribué ensuite par eux à la Grèce, après une courte période de cosuzeraineté tout à fait nominale, le 25 août 1913 au plus tard;
3. Certaines îles de la mer Egée situées à moins de trois milles de la côte asiatique turque (notamment Paspargos) ont été détachées de l'Empire Ottoman et attribuées à la Grèce par une décision des Grandes Puissances du 13 février 1914, mais ont été restituées à la Turquie à partir du 6 août 1924.
Les îles de Imbros et de Tenedos n'ont jamais fait partie de la Grèce, sauf sur papier, mais elles sont restées sous l'occupation hellénique de 1912 à 1924.
186 Le Dodécanèse n'a pas été compris dans la cession de 1913. Il n'a appartenu à la Grèce (sur papier) qu'entre 1920 et 1922, mais est resté toujours sous l'administration italienne. Il n'a été définitivement cédé à la Grèce qu'en 1947.
L'île de Castellorizo n'a jamais fait partie de la Grèce avant de lui être cédée par l'Italie en 1947.
§ 7. Au cours de la procédure écrite et orale, plusieurs questions d'ordre plus ou moins général ont été soulevées, mais elles paraissent à l'examen se rattacher plutôt à l'un ou à l'autre de ces groupes déterminés de réclamations.
Elles seront par conséquent traitées successivement en connexité avec le groupe de réclamations auquel elles ont trait.
En ce qui concerne notamment la défense tirée par l'Agence hellénique, au commencement de la procédure, de la prétendue prescription de différentes réclamations, le Tribunal fait remarquer ce qui suit.
Ainsi qu'il appert des premières pièces de procédure présentées par l'Agence hellénique, il s'agit ici d'une défense d'ordre général et ayant trait à une grande quantité de réclamations nées il y a quarante ans ou plus. En tant que défense d'ordre général, basée sur des considérations de droit international public, elle ne saurait être admise comme bien fondée, étant donné que le Compromis de 1931 a évidemment entendu soumettre à l'arbitrage la totalité des réclamations réciproques pendantes à cette époque et qu'après la conclusion de ce Compromis aucune prescription n'a plus été possible.
Dans la mesure où les arguments invoqués à ce sujet par l'Agence hellénique viseraient le jeu des délais de prescription ou de déchéance fixés dans le droit interne hellénique, la défense ne saurait être retenue non plus.
Différentes réclamations trouvent leur origine dans des actes accomplis par des organes de la Grèce en qualité de puissance occupante. Ces réclamations ne tombent en aucun cas sous le coup du droit interne hellénique, mais relèvent directement du droit international.
D'autres réclamations, au contraire, ont en effet pris naissance sous l'empire de l'ordre légal interne de la Grèce et auraient pu donner lieu en théorie à la nécessité de leur examen sous le jour de la législation locale. L'historique de la genèse de l'arbitrage actuel paraît toutefois au Tribunal exclure l'admissibilité d'une exception d'ordre général tirée des dispositions de la loi nationale hellénique relatives à la prescription.
Dans les conditions troublées des guerres successives de 1912 à 1923, les Parties ont évidemment préféré d'un commun accord laisser les réclamations réciproques en suspens jusqu'à un règlement ultérieur de l'ensemble des questions pendantes. Rien dans la genèse du Compromis d'arbitrage n'indique qu'on ait réservé la possibilité d'exciper de délais de prescription éventuellement échus suivant la législation nationale.
On a plutôt voulu confier à un règlement arbitral la totalité des réclamations restées pendantes depuis de longues années. Dans ces conditions, le Tribunal ne saurait admettre, pas même pour des réclamations de cette catégorie, le bien fondé d'un appel d'ordre général fait au jeu de la prescription selon la loi grecque. Il est significatif que l'Agence hellénique elle-même ait omis d'invoquer la prescription pour des réclamations particulières et concrètes.
Il n'y a donc pas lieu, de l'avis du Tribunal, de retenir la défense empruntée aux principes nationaux helléniques de la prescription libératoire.
Il en est de même du défaut éventuel de la Société d'avoir, dans certains cas particuliers, invoqué ou épuisé les voies de recours internes. Pour autant qu'on pourrait voir dans les pièces de la procédure une référence tacite à un tel défaut, cette référence n'y a trouvé aucune spécification.
187Elle serait, en outre, contraire aux intentions ayant présidé à la genèse de l'arbitrage, qui ne présente aucun indice que les Parties aient entendu admettre la possibilité d'invoquer a posteriori la règle coutumière relative au non-épuisement des recours internes. Dans ces conditions, le Tribunal interprète le Compromis comme ayant voulu exclure d'emblée tout appel à ladite règle.
§ 8. A côté des questions d'ordre général examinées au § 7, les parties ont encore soulevé une controverse spéciale relative à la part exacte qui revenait à l'Etat concédant dans les recettes entre le 4 septembre 1899 et le 4 septembre 1924. Cette controverse jouant dans différentes réclamations, il convient de la trancher dans cette Partie introductive.
Selon l'article III du 3e contrat de concession de 1894 le concessionnaire cède au Gouvernement impérial, à partir du 4 septembre 1899, 50% des recettes brutes au lieu des 28% que ledit Gouvernement recevait depuis le 4 septembre 1884 sous l'empire de l'article VI du 2e contrat de concession.
Toutefois, par iradé impérial communiqué par un testéré viziriel en date du 23 septembre 1896, une réduction de 20% fut apportée, à partir du 4 septembre 1899, au tarif des droits de phare, en conséquence de laquelle il fut convenu, le 24 septembre 1896, que les concessionnaires supporteraient pendant 25 années (de 1899 à 1924) une diminution de 5% sur ladite réduction des tarifs existant alors.
L'arrangement de 1896 a eu le résultat suivant en chiffres: les tarifs furent réduits à 80% à partir du 4 septembre 1899; sur cette diminution de 20%, 5% seraient à la charge de la Société, 15% à celle de l'Etat concédant; la proportion entre la part des recettes revenant désormais à la Société et a l'Etat concédant respectivement serait donc de (50 — 5) et (50 — 15), ou — calculés sur les 80% restants — 45/80 = 9/16 pour la Société et 35/80 = 7/16 pour l'Etat concédant.
Lorsqu'en 1913 le contrat de concession fut prolongé pour la dernière fois à partir du 4 septembre 1924 pour une période de 25 années, la part de l'Etat concédant dans les recettes restait fixée à 50% (article III), mais par une nouvelle convention additionnelle, en date du 14 avril 1913, il fut convenu qu'à dater du 4 septembre 1924, les concessionnaires prendraient à leur charge 5% additionnels, soit la moitié de la réduction de 20% de 1896.
L'Agence hellénique a jusqu'au dernier moment nié, mais à tort, l'existence des conventions additionnelles et prétendu que, même si elles existaient, elles ne lieraient pas la Grèce. Le Tribunal se borne à reproduire en annexes à cette sentence le texte des conventions additionnelles versées au dossier en copie par l'Agence française, déjà publiées d'ailleurs en 1935 dans la série C des Publications de la Cour permanente de Justice internationale n° 74, p. 133/134. Il n'y a aucun doute que ces Conventions additionnelles lient la Grèce de la même façon que les Conventions principales et le Tribunal voit mal les arguments sur lesquels a pu se fonder l'Agence hellénique pour douter soit de leur existence soit de leur opposabilité à la Grèce.
Cette même controverse a donné lieu dans un stade antérieur de la procédure à une autre discussion entre les parties sur la question de savoir à partir de quelle date exacte la part de l'Etat concédant serait passée de 7/16 à 8/16 ou 50%. Le Tribunal n'hésite pas à dire, au vu des textes formels du contrat principal de 1913 et des conventions additionnelles, que cette augmentation n'est entrée en vigueur que le 4 septembre 1924. C'est dire que la Société a eu droit aux 9/16 des recettes brutes pendant toute la durée d'exécution du 3e contrat de concession, les accords relatifs à cette modification de la répartition n'ayant pas produit d'effets immédiats.
188 § 9. Le Tribunal a naturellement considéré s'il lui était loisible de trancher la multiplicité des réclamations réciproques par une sentence
ex aequo et bono en allouant une somme globale et forfaitaire à celle des parties qui aurait paru avoir le plus à réclamer.
Etant donné, toutefois, que cette compétence pour statuer
ex aequo et bono ne saurait être présumée, ni être admise sans aucun indice des parties de le vouloir ainsi;
Qu'au contraire, les parties n'ont donné qu'une suite insuffisante aux invitations du Tribunal à rapprocher leurs vues pour parvenir à une solution moyenne;
Qu'enfin les parties, par leur attitude, ont fait preuve de ne vouloir plus, mais pour des raisons différentes, accepter sérieusement comme une base approximative de règlement le montant global en livres anglaises qui a fait l'objet de certains pourparlers en 1938;
Le Tribunal ne se considère pas comme autorisé à s'engager dans cette voie.
Le Tribunal commence donc par
le premier groupe de réclamations de la Société, se rapportant à des faits éventuellement imputables à la Turquie, datant d'avant 1924, et dont la Grèce pourrait être éventuellement considérée comme responsable en vertu de la doctrine sur la succession des Etats. Sous ce chef figuraient dans les pièces de procédure primitives deux réclamations relatives respectivement, sous le n° 12-a, à l'enlèvement de la bouée du Vardar (1912) et, sous le n° 20, à l'incendie de Smyrne (1920).
Il n'y a pas lieu de s'étendre sur la réclamation n° 20 relative aux dégâts que la Société a subis à la suite de l'incendie de Smyrne du 13 septembre 1922. En effet, bien qu'elle figure dans les pièces pour un montant de Ffr. 276 760.-, la Société n'en fait mention que « pour mémoire » et en vue de souligner les graves dommages soufferts par elle au cours des années. Elle ne la maintient pas. Cette réclamation n° 20 doit donc être tenue pour définitivement abandonnée.
Ce n'est que dans une phase ultérieure de la procédure que la réclamation originale n° 12 s'est scindée en deux demandes ayant trait, l'une et l'autre, à une bouée lumineuse destinée à assurer la sécurité de la navigation dans l'embouchure du Vardar, mais concernant en réalité des bouées différentes. Ici il ne s'agit que de la réclamation n° 12-a. La réclamation n° 12-b, jouant en 1915, sera traitée ci-après sous D.
De quoi s'agit-il dans le cas de la réclamation n° 12-a? Pendant l'automne de 1911 le commandant turc de Kara-Bournou a fait enlever, sans consulter la Société, une bouée qui se trouvait sur un banc du Vardar à l'entrée du port de Salonique. La Société reproche aux autorités militaires de Kara-Bournou d'avoir procédé à cette opération sans précaution et elle a réclamé des indemnités de ce chef à l'Amirauté ottomane déjà en octobre 1911. Cette Amirauté semble avoir reconnu sa responsabilité dans une lettre adressée à la Société à la date du 30 juillet 1912, mais l'acquittement de la dette parait être resté en suspens à la suite des guerres balkaniques. La Société réclame maintenant de ce chef au Gouvernement Hellénique une indemnité dont le montant, après avoir été estimé d'abord à Ffr. 61 000.-, figure dans les documents postérieurs comme Ptu. 5 684.- ou $ 250.- (améric).
189La Société se fonde à cet égard sur le principe de la succession des Etats, indépendamment de la subrogation formelle de la Grèce, en vertu du Protocole XII de Lausanne de 1923, dans les droits et charges découlant pour l'Empire ottoman de la concession des phares et elle invoque à l'appui certains précédents internationaux récents. Ces précédents sont empruntés, d'une part, aux conditions de cession du territoire libre français de Chandernagor à l'Inde (article 7 du traité du 2 février 1951) et d'autre part, à l'échange de noies intervenu le 2 janvier 1930 entre les Gouvernements américain et britannique relativement aux îles Sulu faisant partie intégrante de l'archipel des Philippines et situées au sud-ouest de Mindanao.
Le premier cas concerne la succession de l'Inde aux droits et obligations résultant des actes accomplis par la France pour des objets d'intérêt public et relatifs à l'administration du territoire de la Ville libre de Chandernagor. On comprend que, dans un tel cas de cession gratuite et gracieuse d'un territoire à un autre Etat, l'Etat cédant tienne à être libéré des obligations qui peuvent encore lui incomber du chef de travaux de construction, d'amélioration, de réparation et autres ordonnés pour des objets d'utilité publique et qui ne profiteront dorénavant qu'à l'Etat cessionnaire.
Dans le dernier cas il s'agissait d'une stipulation conventionnelle spécifique garantissant à la British North Borneo Company, dans l'hypothèse où l'île de Taganak — une des Sulu — ferait l'objet d'un transfert ultérieur de souveraineté (par les Etats-Unis) :
a) Indemnisation par les Etats-Unis pour les dépenses effectuées par elle dans le passé pour l'entretien du phare située dans cette île et
b) Maintien du phare en état par les Etats-Unis après ce transfert.
Dans ce cas spécial et un peu compliqué, la question présentait un chevauchement d'intérêts, la souveraineté territoriale de l'île appartenant aux Etats-Unis, mais les intérêts de la navigation sur le Bornéo du Nord exigeant l'exploitation d'un phare au profit de la seule British North Borneo Company.
Il existe, certes, une certaine affinité entre les deux précédents allégués et le cas de la bouée du Vardar de 1911/1912, mais leur force convaincante pour ce dernier cas est minime, étant donné qu'il s'agit, dans ces cas récents, de situations toutes spéciales, régies par des stipulations conventionnelles particulières dont il n'est pas loisible de tirer des conclusions en faveur de l'existence d'un principe général de droit coutumier devant régir également d'autres hypothèses relevant d'une solution conventionnelle propre.
Dans le cas présent, l'enlèvement de la bouée par l'Amirauté ottomane était évidemment une mesure normale de sûreté nationale, prise en vue des hostilités imminentes entre les Alliés balkaniques et l'Empire ottoman. Comme telle, elle était parfaitement légitime, sauf le devoir du fisc ottoman d'indemniser, le cas échéant, le propriétaire de la bouée. La question de savoir s'il y avait, ou non, dans ce cas, obligation pour la Turquie d'indemniser dépendait des clauses de la concession, à la lumière du droit international commun. Même à supposer que ladite obligation fût hors de doute, elle comptait parmi les « charges de la Turquie vis-à-vis . . . des sociétés dans lesquelles les capitaux des autres Puissances contractantes sont prépondérants », visées à l'article 9 du Protocole XII du traité de paix de Lausanne du 24 juillet 1923. Or la subrogation des Etats successeurs dans de telles charges stipulée pour les territoires détachés de la Turquie en vertu dudit traité de paix n'aurait effet, selon le même article 9, qu'à dater de la mise en vigueur du traité par lequel le transfert du territoire a été stipulé. Au point de vue purement grammatical, il serait possible d'interpréter cette stipulation comme comportant l'obligation pour l'Etat successeur,
in casu la Grèce, de prendre à son compte, dès la date visée audit article 9, toutes les charges de la Turquie vis-à-vis de la Société, même celles qui auraient leur origine dans des faits antérieur à cette date, mais ce n'est certes pas dans ce sens que la stipulation en question peut être interprétée.
190 La date critique sert évidemment de terme à la responsabilité turque et de point de départ à la responsabilité hellénique en ce sens que tout ce qui s'est passé avant la date critique et qui peut avoir engendré des charges vis-à-vis de la Société concessionnaire, continue à donner lieu à la responsabilité de l'Etat turc. On ne peut admettre que, en marge de cette distribution conventionnelle des responsabilités selon le temps, quelqu'autre principe autonome et complémentaire, emprunté à la doctrine générale relative à la succession d'Etats, puisse être invoqué pour renverser les effets juridiques de ladite distribution des responsabilités selon le Protocole.
La Grèce ne saurait, dès lors, être réputée responsable des dommages causés par l'enlèvement de la bouée du Vardar effectué en 1911 par les autorités navales ottomanes.
Le second groupe de réclamations de la Société comprend celles figurant dans le tableau français sous les numéros 11 et 4, la première relative aux frais occasionnés à la Société par un ordre que le Gouvernement crétois lui a donné en 1903 de préparer la construction de deux nouveaux feux à Spada et à Cryo, reporté en 1904 à Elaphonissi, suivi en 1908 d'un contre-ordre; la deuxième concernant l'exemption du navire hellénique Aghios Nicolaos de tout paiement des droits réglementaires de phare, exemption ordonnée par une loi Cretoise de 1908, maintenue en vigueur jusqu'en 1914. Quoique ces deux réclamations aient ce point commun qu'elles font naître, l'une et l'autre, le problème juridique de la responsabilité de la Grèce à titre d'Etat successeur de l'Etat autonome de Crète, elles présentent des traits différents et propres à chacune d'elles qui en justifient une analyse juridique séparée, d'autant plus que seule la deuxième réclamation pose le problème d'une contre-réclamation éventuelle du Gouvernement Hellénique. Le second groupe de réclamations de la Société comprend celles figurant dans le tableau français sous les numéros 11 et 4, la première relative aux frais occasionnés à la Société par un ordre que le Gouvernement crétois lui a donné en 1903 de préparer la construction de deux nouveaux feux à Spada et à Cryo, reporté en 1904 à Elaphonissi, suivi en 1908 d'un contre-ordre; la deuxième concernant l'exemption du navire hellénique Aghios Nicolaos de tout paiement des droits réglementaires de phare, exemption ordonnée par une loi Cretoise de 1908, maintenue en vigueur jusqu'en 1914. Quoique ces deux réclamations aient ce point commun qu'elles font naître, l'une et l'autre, le problème juridique de la responsabilité de la Grèce à titre d'Etat successeur de l'Etat autonome de Crète, elles présentent des traits différents et propres à chacune d'elles qui en justifient une analyse juridique séparée, d'autant plus que seule la deuxième réclamation pose le problème d'une contre-réclamation éventuelle du Gouvernement Hellénique.
Dans le cas relatif aux feux de Spada et d'Elaphonissi, il s'agit des faits suivants, amplement exposés déjà dans la procédure de 1937 devant la Cour permanente de Justice internationale (voir C.P.J.I, série C, n° 82, p. 36 et ss.). Le 16 décembre 1903, le conseiller de l'Intérieur du Gouvernement crétois, donnant suite à un voeu émis par l'Assemblée Cretoise le 15 juin précédent, demanda au représentant de la Société à la Canée l'établissement de deux nouveaux phares paru hautement désirable après le terrible naufrage du vapeur Impératrice du Lloyd autrichien sur les côtes Cretoises. Après communication de ce désir du Gouvernement crétois à l'Administration des Phares à Constantinople, celle-ci se mit en rapport avec l'Amirauté turque en septembre 1905 et obtint d'elle un avis favorable à la création des feux projetés. A la suite de ces démarches, la Société entreprit des études sur place pour pouvoir présenter un projet définitif et le soumit au Gouvernement ottoman à la fin de mai 1908, avec une demande de crédits. Après des instances réitérées du Gouvernement crétois auprès de la Société et de la Société, comme d'ailleurs aussi des Grandes Puissances, auprès du Gouvernement ottoman, celui-ci finit par attribuer les crédits nécessaires. Mais alors l'attitude du Gouvernement crétois change: il subordonne son autorisation à des conditions que la Société n'était pas en mesure de remplir, à raison de la controverse politique ainsi soulevée, le Gouvernement crétois exigeant que la Société consentît à le substituer au Gouvernement turc et à lui remettre la part des recettes revenant jusqu'alors à ce dernier.
191Malgré de nouvelles instances des Grandes Puissances tant auprès du Haut-Commissaire grec en Crète qu'auprès du Gouvernement ottoman entre 1908 et 1911, l'affaire en est restée là. La Société n'a jamais reçu l'indemnité réclamée pour les frais qu'elle avait exposés à la suite du changement de position des autorités Cretoises. C'est pour obtenir encore après nombre d'instances vaines une compensation pour ces frais (examen sur place, établissement d'un plan, taxation des coûts probables, achat des appareils, approvisionnement des matériaux, etc.) que la Société réclame maintenant un montant de 46 292,75 piastres turques au Royaume hellénique, en tant que successeur du ci-devant Etat autonome de Crète.
Tout en contestant le montant réclamé, considéré par elles comme sensiblement exagéré, les instances helléniques ont, à plusieurs reprises: lors de la procédure devant la Cour permanente de Justice internationale, par la bouche de la Commission ministérielle de 1935 et pendant les négociations de 1938, admis le bien-fondé d'une demande de la Société à recevoir à ce titre une indemnité adéquate à ses pertes réelles. Même dans son Mémoire sous le n° 11 et dans son Contre-Mémoire le Gouvernement hellénique n'a contesté ce bien-fondé en aucune manière; le Mémoire paraît même le reconnaître implicitement. Ce n'est qu'au cours de sa plaidoirie du 10 mai 1955 que le Conseiller juridique du Gouvernement Hellénique, M. Tsagarakis, l'a nié. La défense a sans doute alors aperçu les avantages que l'acceptation intégrale du deuxième arrêt de la Cour permanente de Justice internationale pouvait présenter pour elle par les conséquences juridiques qu'elle impliquait. Ce motif probable mettant en jeu l'étendue de la chose jugée qu'il convient d'attribuer audit arrêt et ce point présentant un intérêt identique pour la réclamation n° 4, il y a lieu d'aborder brièvement cette réclamation.
La réclamation n° 4 prend son origine, également très lointaine, dans une loi Cretoise du 20 juillet 1908 ratifiant une convention conclue le 19 juillet 1908 entre le Gouvernement crétois et une compagnie de navigation fondée en Grèce pour exercer le cabotage autour de l'île de Crète. Cette convention avait pour but de conférer à ladite compagnie le monopole du cabotage, avec exemption expresse du payement normal de tous droits de phares dus à la Société Collas et Michel en vertu de son contrat de concession. Le Gouvernement Hellénique n'a jamais usé de son influence pour mettre fin à cette situation directement contraire aux droits de la Société, ni auprès du Gouvernement crétois, ni auprès de la compagnie de navigation, dont le navire
Aghios Nicolaos portait le pavillon hellénique et avait son port d'attache au Pirée. Au contraire, le Gouvernement d'Athènes a toléré que cette situation continuât après que la Grèce eut définitivement acquis le pouvoir suprême, d'abord
de facto et enfin
de jure, sur l'île de Crète. C'est pourquoi la Société réclame depuis longtemps au Gouvernement Hellénique une indemnité adéquate pour l'infraction évidente à ses droits concessionnels du fait de l'activité illégale de l'ex-Etat autonome de Crète.
Dans ce cas, comme dans celui traité ci-dessus sous le n° 11, les autorités helléniques ont commencé par reconnaître en principe la responsabilité de la Grèce pour les dommages ainsi causés à la Société; elles n'ont changé de position que dans une phase ultérieure de la procédure. Cette affaire elle aussi a déjà joué un rôle dans la procédure devant la Cour permanente de Justice internationale (voir C.P.J.I., série C, n° 82, p. 39 et ss.).
192Les procès-verbaux de la Commission hellénique de 1935 instituée pour examiner les réclamations réciproques — soumis au Tribunal juste avant sa seconde session — ne font pas mention de cette affaire, soit que la Commission ne s'en soit pas occupée, soit que l'Agence hellénique ait supprimé les délibérations y relatives. La dernière supposition semble être la plus vraisemblable, parce qu'en tout cas elles ont été manifestement supprimées dans la traduction française des procès verbaux de la Commission de 1938 désignée pour négocier un accord avec la Société, — également soumis au Tribunal juste avant sa seconde session. En effet, cette réclamation figure à sa place dans l'original grec desdits procèsverbaux, dressés presque une année après le deuxième arrêt de la Cour permanente, et dans cet original on lit on ne peut plus clairement que l'obligation d'indemniser était reconnue en principe, mais qu'on ne pouvait pas se prononcer sur son montant. Aussi, rien dans le Mémoire hellénique du 10 décembre 1953 sous 4 (p. 7) ne faisait-il encore entrevoir que la Grèce finirait par désavouer complètement son obligation: ce Mémoire n'en contestait encore que le quantum.
Ce n'est que dans le Contre-Mémoire (p. 11) que cette réclamation fut pour la première fois rejetée comme « dépassant toutes les bornes de la logique », parce qu'elle impliquerait la demande à la Grèce « d'assurer les dettes éventuelles de l'ex-Empire Ottoman pour le motif que, cinq ans après le voyage du navire à Crète, cette île est devenue grecque ».
C'est ici qu'apparaît le coeur de la controverse: auquel des deux Etats, la Turquie ou la Crète, incombe la dette, et cette dette peut-elle être considérée comme ayant passé à la Grèce soit comme Etat successeur de l'ex-Empire Ottoman, soit comme Etat successeur de l'ex-Etat autonome de Crète? A cet égard, la défense érigée contre la réclamation n° 4 présente les mêmes caractéristiques que celle organisée contre la réclamation n° 11 exposée ci-dessus. Mais ces questions de droit matériel sont à leur tour subordonnées à la question primordiale de savoir si le Tribunal se trouve en cette matière devant un jugement international qui les ait déjà tranchées et devant lequel, par conséquent, il soit obligé de s'incliner. Bien qu'il soit délicat de vouloir interpréter la portée exacte d'un arrêt rendu par la Cour permanente de Justice internationale pour être en mesure de décider jusqu'à quel point il comporte l'autorité de la chose jugée par rapport à des questions soulevées dans un autre procès, le Tribunal ne voit pas moyen de se soustraire au devoir de prendre parti dans cette contestation, puisqu'elle domine les réclamations N°s 11 et 4. Force lui est donc de commencer par aborder ce différend.
De quoi s'agissait-il précisément dans les deux procès qui se sont déroulés devant la Cour permanente de Justice internationale? Dans la première procédure
de 1934 (voir
Publications de la C.P.J.I., série A/B, n° 62), les Parties litigantes étaient divisées sur la question de savoir si le contrat intervenu le 1er/14 avril 1913 entre la Société et le Gouvernement ottoman portant prorogation (pour la troisième et dernière fois) de la concession des phares (dernièrement prorogée, pour la seconde fois, en 1894, à partir de 1899) à partir du 4 septembre 1924 pour une nouvelle période de 25 ans, « (était) dûment intervenu et partant (était)- opérant vis-à-vis du Gouvernement Hellénique,
en ce qui concerne les phares situés sur les territoires qui lui furent attribués à la suite des guerres balkaniques ou postérieurement ». La réponse de principe donnée à cette question par la Cour dans le dispositif de son arrêt du 27 mars 1934 était affirmative. La Cour avait, toutefois, pris soin, à la fin de son exposé des motifs, de réserver son opinion sur un point spécial, insuffisamment discuté par les Parties, à savoir: « quels sont les territoires détachés de la Turquie et attribués à la Grèce à la suite des guerres balkaniques ou postérieurement et où se trouvent les phares à l'égard desquels le contrat de 1913 était opérant », — réserve qui visait notamment les Etats insulaires autonomes de Crète et de Samos.
193D'où la deuxième procédure instituée en 1936 en vertu d'un nouveau compromis dans lequel les Parties, pour préciser la question de droit à résoudre, reprenaient textuellement la formule de 1934, à cette exception près que la partie de phrase finale de la question de droit à trancher (mise en italiques ci-dessus) était remplacée par les mots «
en ce qui concerne les phares situés sur les territoires de Crète, y compris les îlots adjacents, et, de Samos, qui lui furent attribués à la suite des guerres balkaniques », et faisaient précéder leur requête à la Cour aux fins de trancher cette question par les mots « en tenant compte de l'époque à laquelle les territoires dont il s'agit ont été détachés de l'Empire ottoman ». Selon le point de vue du Gouvernement Hellénique, contraire à celui du Gouvernement Français, les deux îles auraient été détachées de la Turquie déjà bien avant leur incorporation au territoire de la Grèce en 1913, si bien que le contrat de 1913 ne saurait viser en aucun cas les phares de ces îles. Du reste, les deux Parties étaient d'accord pour considérer la nouvelle question « comme accessoire à la question principale déjà tranchée par la Cour » et « comme concernant l'applicabilité dans un cas d'espèce de l'arrêt antérieurement rendu par celle-ci ».
L'autorité de la chose jugée attachée au premier arrêt et la rédaction du deuxième compromis ont amené la Cour à interpréter d'une façon très étroite l'opinion commune des Parties lors de la soumission de la nouvelle question à la Cour, opinion d'après laquelle il n'y avait qu'
une seule raison pour que le principe énoncé dans l'arrêt de 1934 ne pût être valable pour la Crète et Samos, à savoir que ces deux îles auraient été détachées de l'Empire ottoman déjà antérieurement à 1913 et, par suite, que dès avant cette année tout lien politique entre les îles et la Turquie aurait disparu. De l'avis de la Cour (voir
Publications de la C.P.J.I., série A/B, n° 71), il n'y avait pas lieu d'admettre l'hypothèse d'une interruption dans la souveraineté sur les îles, le détachement de la Turquie et l'attribution à la Grèce s'étant produits simultanément. Il n'y avait pas lieu non plus, selon la Cour, d'entrer dans la question de savoir si le statut autonome des îles, ou de l'une d'elles, réalisé déjà bien avant 1913, excluait dorénavant la validité, conformément au droit impérial ottoman, d'un contrat de concession, même « dûment intervenu » au point de vue du droit constitutionnel turc, qui aurait été conclu par le Gouvernement de Constantinople sans la collaboration active des gouvernements insulaires, pour la raison que le Gouvernement turc aurait perdu le droit de conclure de sa seule autorité des contrats de cette nature.
Il s'agissait donc uniquement de savoir à quel moment précis le dernier lien politique entre ces îles et l'Empire otioman a été rompu. Telle étant la situation de fait au point de vue de l'existence ou de l'inexistence d'une chose jugée par rapport à l'instance arbitrale actuelle, il faut faire observer tout d'abord qu'il ne saurait être question de chose jugée dans le sens strict du terme.
Le cas d'espèce est régi par l'article 59 du Statut de l'ancienne Cour permanente de Justice internationale, identique à l'article 59 du Statut de la Cour actuelle, mais qui diffère de l'article 84 de la Convention de La Haye du 18 octobre 1907 relatif au caractère obligatoire d'une sentence arbitrale en ce que l'effet obligatoire d'un arrêt de la Cour internationale de Justice est limité non seulement aux parties en litige, mais aussi, en termes exprès, au cas qui a été décidé. Or, bien que dans cette instance arbitrale les Parties soient les mêmes que dans l'instance judiciaire de 1937 — car, comme le Tribunal l'a constaté ci-dessus, ce sont dans les deux instances la France et la Grèce qui s'opposent —, le «cas» qui a été décidé en 1937 est tout autre que ceux qui sont l'objet des présents chefs de réclamation nos 11 et 4. Ceux-ci prennent leur origine dans des événements de beaucoup antérieurs à la dernière prorogation du contrat de concession dont la validité pour la Crète et Samos formait le seul objet du différend discuté devant la Cour permanente de Justice internationale en 1937 et tranché par son arrêt du 8 octobre.
194Par contre, les réclamations actuelles sont nées sous le régime de la concession de 1894 (seconde prolongation) dont la validité n'a jamais été contestée. Il n'y a donc en aucune manière identité des « cas » (des controverses concrètes) à résoudre, à côté de l'identité des parties.
Si donc il ne saurait être question de chose jugée dans le sens strict du terme, on peut se demander s'il n'y aurait pas lieu tout de même d'admettre la chose jugée dans un sens plus ample et moins formel. Cette prise de position pourrait se baser sur trois considérations différentes.
On pourrait dire d'abord — argument juridique — que l'autorité de la chose jugée s'attache non seulement au dispositif d'un arrêt, mais aussi aux motifs qui le précèdent et qui ont contribué à son libellé. Mais abstraction faite de la considération qu'entrer dans cette voie équivaudrait à s'ériger en quelque mesure contre une autre décision de la Cour permanente de Justice internationale elle-même, plus ancienne, contenue dans son avis consultatif du 16 mai 1925 relatif au service postal polonais à Dantzig (
Publications de la C.P.J.I., série B, n° 11, p. 29 et 30), les motifs de l'arrêt de 1937 (ayant trait au moment exact de la dissolution finale de tout lien politique de suzeraineté entre la Crète et l'Empire ottoman) paraissent au Tribunal trop éloignés des arguments qui doivent présider à la solution des controverses relatives aux réclamations actuelles N°s 11 et 4, pour pouvoir décider du sort à réserver à ces dernières.
On pourrait soutenir ensuite — autre argument juridique — que le texte de l'article 59 du Statut de la Cour internationale de Justice et de la disposition qui l'a précédé est mal rédigé et qu'on doit nécessairement l'interpréter dans un sens plus libéral que ses termes ne semblent le justifier. Il y a beaucoup à dire en faveur de cette thèse, d'autant plus que ce texte n'a pas été emprunté au projet du Comité de juristes qui a élaboré le Statut de 1920, mais a été déformé par l'amendement mal venu d'un corps politique. S'il était vrai qu'un arrêt de la Cour n'est revêtu de l'autorité de la chose jugée que dans le seul cas qui a été décidé, cela signifierait que, si le « cas » concerne l'interprétation d'une clause de traité, l'interprétation donnée pourrait être remise en discussion dans des « cas » futurs ayant trait à la même clause de traité. Un tel résultat ne serait pas seulement absurde, mais mettrait l'article 59 en contradiction inconciliable avec la phrase finale de l'article 63 du même Statut déclarant que, lorsqu'un Etat tiers intervient à un procès dans lequel il s'agit de l'interprétation d'une convention multilatérale à laquelle il est partie ensemble avec les Etats litigants,
l'interprétation contenue dans la sentence est également obligatoire à son égard. La
res judicata s'étend, par conséquent, hors des limites strictes du cas décidé. Y a-t-il vraiment dans l'arrêt de 1937 des éléments qui soient également décisifs pour la réclamation actuelle? Le Tribunal ne le croit pas.
On pourrait dire enfin — argument d'ordre logique — que si l'arrêt de 1937 déclare que l'île de Crète faisait encore au début de 1913 partie des domaines du Sultan, il doit en avoir été ainsi à fortiori dans la période de 1908 et années suivantes, avec toutes les conséquences juridiques que pourrait comporter cette constatation pour les réclamations actuelles N°s 11 et 4.
Or comment se présente cette affaire à une analyse plus approfondie? Le Tribunal n'a pu se convaincre que l'arrêt de 1937 préjuge en quoi que ce soit la solution des contestations actuelles. L'arrêt de 1937, tout comme celui de 1934, fut rendu sur la base d'une stipulation conventionnelle spéciale (article 9 du Protocole XII du traité de paix de Lausanne) et d'un compromis rédigé en termes stricts lesquels, combinés, faisaient selon l'interprétation de la Cour dépendre la validité du troisième contrat de prolongation de la concession en date du ler/14 avril 1913, d'une part, de sa compatibilité avec le droit constitutionnel ottoman (le contrat était-il «dûment intervenu»?) et d'autre part, du point de savoir à quel moment précis le dernier lien politique entre les îles de Crète et de Samos et l'Empire ottoman avait disparu (à quelle époque ces îles ont-elles été «détachées de l'Empire ottoman»?).
195Ce dernier moment fut fixé par la Cour à une date en tout cas postérieure à la conclusion du contrat litigieux de prolongation, la Cour laissant dans l'ombre si c'était le 17/30 mai 1913, date de la signature du traité de paix collectif de Londres, sujet à ratification, mais jamais ratifié et n'étant entré immédiatement en vigueur que dans les rapports entre la Bulgarie et la Turquie en vertu d'un protocole spécial, — ou bien le 1er/14 novembre 1913, date de la signature du traité de paix bilatéral gréco-turc d'Athènes, également sujet à ratification, mais étant entré en vigueur, lui, immédiatement après sa signature en vertu de son article 16, et maintenant, dans son article 15, les dispositions dudit traité de Londres. Dans son exposé des motifs, la Cour fait expressément coïncider la date de la disparition des derniers liens politiques turco-crétois avec celle de l'attribution de l'île à la Grèce, mais elle se refuse nettement à entrer dans un examen de la portée du régime de large autonomie octroyé à l'île antérieurement à 1913, sauf au point de vue de son importance pour le problème spécifique du «détachement» final (
loco cit., p. 103). Par conséquent, les effets internationaux dudit régime de large autonomie à tous autres points de vue ont été écartés par la Cour en termes exprès, et c'est précisément ce régime d'autonomie qui joue un rôle important dans la solution des controverses soulevées par les réclamations N°s 11 et 4.
Cette conclusion négative relative à l'existence d'une
res judicata ne résout pas, toutefois, les points de droit soumis au Tribunal. Il faut, par conséquent, revenir maintenant aux dites réclamations séparément.
Il faut se demander, d'abord, à qui incombe la responsabilité financière pour l'ordre et le contrordre crétois relatifs aux feux à construire à Spada et à Elaphonissi.
Lorsque, en décembre 1903, un représentant du Gouvernement autonome de Crète demanda à la Société de construire deux phares nouveaux sur l'île, la Société n'a pas voulu se conformer à cette demande sans en avoir saisi les autorités compétentes de l'Empire ottoman, évidemment dans le but principal de s'assurer que les dépenses que comporterait cette construction lui seraient remboursées. En effet, depuis 1899 la Société n'avait plus l'obligation de bâtir de nouveaux phares à ses frais. A cette époque, le Gouvernement ottoman se considérait encore comme l'autorité seule compétente pour prendre des décisions en matière d'éclairage des côtes Cretoises et c'est lui aussi qui a finalement ouvert un crédit à la Société pour procéder à la construction des deux phares à la charge non pas du budget crétois, mais du budget ottoman. Comme contrepartie de cette ouverture de crédit, le Gouvernement ottoman se considérait toujours comme ayant droit à la part, revenant à l'Etat concédant, dans les recettes à percevoir par les agences Cretoises de la Société — prétention qui a été reconnue comme correcte dans un stade ultérieur par les Grandes Puissances. C'est précisément sur ce point que la construction des deux phares nouveaux a échoué: en effet, le Gouvernement crétois finit par subordonner sa permission de les bâtir à la condition qu'à l'avenir la Société versât la part de l'Etat concédant dans les recettes des phares sur l'île de Crète, non plus au fisc ottoman, mais au fisc crétois, considérant évidemment que l'érection de l'île de Crète en Etat autonome avait opéré, conformément au droit international public commun, sa succession aux droits revenant auparavant à l'Empire ottoman en qualité d'Etat concédant depuis le 5/17 mars 1897 [voir la lettre du Gouvernement crétois reproduite dans
Publications de la Cour permanente de Justice internationale, série C, n° 82 (1937), p. 196 et 197].
196Il se conçoit que la Société, se ralliant tout naturellement à la manière de voir du Gouvernement ottoman qu'elle avait déjà anticipée en s'adressant à lui à propos de la demande du Gouvernement crétois, n'ait pas cru devoir accepter la condition Cretoise.
A qui incombe, dans ces conditions, la responsabilité initiale des dépenses, inutilement faites par la Société avant le refus final à lui opposé par le Gouvernement crétois?
Une partie de cette responsabilité lui incombe à elle-même: elle a un peu témérairement entrepris des travaux préparatoires, non obligatoires, sans s'être assurée à l'avance des conséquences financières éventuelles.
Une autre partie de la responsabilité incombe au Gouvernement crétois d'alors: son refus final était en contradiction manifeste avec sa demande primitive, il n'avait fait entrevoir en aucune manière la condition qu'il finirait par poser à la Société et cette condition était elle-même sans fondement.
Une dernière partie de la responsabilité incombe au Gouvernement ottoman d'alors: reconnaissant, sur l'insistance des Grandes Puissances, la nécessité de la construction des deux phares nouveaux dans l'intérêt général de la navigation et se considérant lui-même comme l'autorité seule compétente pour décider de cette construction, il aurait dû prendre les mesures nécessaires, éventuellement avec l'assistance des Grandes Puissances, pour l'assurer.
Partant de cette répartition de la responsabilité pour les événements de 1903 à 1908 entre les trois parties intéressées d'alors, le Tribunal ne voit aucun motif raisonnable pour charger après coup de cette responsabilité, entière ou même partielle, la Grèce, qui n'avait absolument rien à voir avec les agissements desdites parties. Pas même la part de la responsabilité collective à impartir à l'Etat autonome de Crète pour les événements de 1903 à 1908 ne saurait être considérée comme étant dévolue à la Grèce. Une telle transmission de responsabilité ne se justifie dans l'espèce ni au point de vue spécial de la succession finale de la Grèce aux droits et charges de la concession en 1923/1924, ne fût-ce que pour le motif que lesdits événements se sont déroulés en dehors du jeu de la concession, ni au point de vue plus général de sa succession à la souveraineté territoriale sur la Crète en 1913.
Les rapports entre cette succession territoriale, d'une part, et l'ordre et le contre-ordre du Gouvernement crétois de 1903 et de 1908, de l'autre, sont trop éloignés pour justifier une décision qui fasse retomber sur la Grèce et sur la seule Grèce la responsabilité collective d'actes et d'omissions d'autrui qui lui sont complètement étrangers.
Au surplus, il s'agit ici d'une réclamation qui n'était ni reconnue, quant à son bien-fondé, par l'Empire ottoman ou par la Crète, ni fixée par une instance compétente quelconque, ni liquide ou aisément liquidable sur la base des faits ayant donné lieu à sa naissance.
La réclamation n° 11 doit donc être rejetée.
La situation se présente d'une façon toute différente dans le cas visé par la réclamation n° 4. Dans ce cas, trois circonstances aggravantes qui ne s'appliquent point à la réclamation n° 11 doivent être prises en considération.
D'abord, l'attitude de la Crète, consistant à exempter du paiement des droits de phare une compagnie privée, était diamétralement contraire au contrat de concession, obligatoire pour elle soit comme Etat autonome, successeur à la concession pour le territoire crétois, soit comme subdivision territoriale de l'Empire ottoman, et elle en était clairement consciente, témoin sa promesse explicite d'indemniser la compagnie de navigation, sa concessionnaire d'un service de cabotage autour de l'île de Crète, pour toutes les conséquences fâcheuses qui pourraient résulter pour celle-ci de la violation évidente de la concession.
197 Ensuite, la concession du service de cabotage autour de la Crète comportant une clause et des conséquences incompatibles avec la concession des phares pour toute l'étendue des côtes de l'Empire ottoman, fut donnée à une compagnie de navigation hellénique ayant son siège au Pirée, donc sous les yeux mêmes du Gouvernement Hellénique qui, vu ses relations étroites avec l'Etat autonome de Crète, a certainement été au courant de ce qui se passait dans l'île.
Enfin, loin de faire quoi que ce fût pour retenir ou empêcher sa compagnie de navigation de se prêter à ces agissements illégaux, la Grèce a, au contraire, maintenu en vigueur et ainsi sanctionné la pratique illégale sous sa propre responsabilité directe après l'acquisition de la souveraineté territoriale jusqu'en 1914. Il n'est pas douteux qu'en agissant ainsi, elle a encouru une responsabilité de son propre chef pour la période écoulée depuis l'acquisition de la souveraineté à la fin de mai 1913. Le Tribunal en tirera les conclusions concrètes dans la partie I, D de cette sentence.
Les considérations ci-dessus exposées sont-elles également concluantes pour tenir la Grèce responsable de la violation de la concession commise antérieurement à ladite date et dont l'une de ses compagnies de navigation a indûment profité?
Pour les raisons indiquées ci-dessus,
sub A, à propos de la réclamation n° 12, une telle responsabilité ne saurait se fonder sur la succession de la Grèce à la concession en vertu de la clause spéciale contenue dans l'article 9 du protocole XII, annexé au Traité de paix de Lausanne. Elle ne pourrait résulter que d'une transmission de responsabilité en vertu des règles de droit coutumier ou des principes généraux de droit régissant la succession des Etats en général.
Le fait que la stipulation spéciale dudit Protocole XII a défini l'étendue et le point de départ de la succession de la Grèce dans les droits et charges concessionnels de la Turquie n'empêche pas, par lui-même, que la Grèce puisse être considérée comme ayant succédé également, mais à un autre titre, aux droits et charges correspondants de l'Etat autonome de Crète.
Envisagée de ce point de vue, la question de la transmission de responsabilité en cas de changement territorial présente toutes les difficultés d'une matière qui n'a pas encore suffisamment mûri pour permettre des solutions certaines et également applicables à tous les cas possibles. Il n'est pas moins injustifié d'admettre le principe de la transmission comme une règle générale que de le dénier. C'est plutôt et essentiellement une question d'espèce dont la solution dépend de multiples facteurs concrets.
S'agit-il d'obligations contractuelles ou délictuelles, — de droit privé ou de droit public, — reconnues ou non reconnues, — liquides ou non liquides, — odieuses ou non odieuses? S'agit-il d'un cas de démembrement total d'un Etat préexistant, de la sécession d'une colonie ou d'une partie d'un Etat, ou s'agit-il plutôt de la fusion de deux Etats précédemment indépendants, de l'incorporation d'un Etat dans un autre? Jusqu'à quel point y a-t-il lieu, dans cette dernière hypothèse, en vue de résoudre le problème, de tenir compte des relations plus ou moins étroites entre l'Etat incorporant et l'Etat incorporé, du caractère volontaire ou non volontaire de leur réunion?
Il se peut qu'une solution parfaitement adéquate aux éléments essentiels d'une hypothèse déterminée se révèle tout à fait inadéquate à ceux d'une autre.
198Il est impossible de formuler une solution générale et identique pour toutes les hypothèses imaginables de succession territoriale et toute tentative de formuler une telle solution identique doit nécessairement échouer sur l'extrême diversité des cas d'espèce. C'est pourquoi le Tribunal n'attache pas d'importance décisive aux rares précédents disparates de la jurisprudence internationale ou nationale et n'accepte comme concluants, en leur généralité, ni le jugement de la Cour hellénique pour les îles de la mer Egée de 1924 (n° 27) [
Themis, vol. 35, p. 294], cité dans l'
Annual Digest of Public International Law Cases, 1923/1924, n° 36, reconnaissant la transmission de responsabilité à la Grèce même en matière de dettes purement délictuelles, ni ceux de l'American and British Claims Arbitration Tribunal des 23 novembre 1923 et 10 novembre 1925, la déniant dans les cas comparables de l'annexion à la Grande-Bretagne par la force des armes de l'Etat du Transvaal et de l'incorporation aux Etats-Unis de l'archipel des Hawaii. La diversité des hypothèses possibles de succession territoriale, les considérations politiques qui souvent président à la solution des problèmes juridiques y relatifs et la rareté des décisions arbitrales ou judiciaires qui résolvent le problème d'une manière vraiment nette et sans équivoque à la suite d'une argumentation convaincante expliquent tant les flottements de la pratique internationale que l'état chaotique de la doctrine.
Dans le cas d'espèce, il s'agit de la violation d'une clause contractuelle par le pouvoir législatif d'un Etat insulaire autonome dont la population avait durant des dizaines d'années passionnément aspiré, même par la force des armes, à s'unir à la Grèce, considérée comme mère-patrie, violation reconnue par ledit Etat lui-même comme constituant une infraction au contrat de concession, réalisée en faveur d'une compagnie de navigation ressortissant à ladite mère-patrie, endossée par cette dernière comme si cette infraction était régulière et finalement maintenue par elle, même après l'acquisition de la souveraineté territoriale sur l'île en question.
Dans de telles conditions, le Tribunal ne peut arriver qu'à la conclusion que la Grèce, ayant fait sienne la conduite illégale de la Crète dans son passé récent d'Etat autonome, est tenue, en qualité d'Etat successeur, de prendre à sa charge les conséquences financières de l'infraction au contrat de concession. Sinon, la violation avouée d'un contrat commise par l'un des deux Etats liés par un passé et un destin communs, de l'assentiment de l'autre, aurait, au cas de leur fusion, comme conséquence foncièrement injuste d'anéantir une responsabilité financière certaine et de sacrifier les droits incontestables d'une société privée concessionnaire à un soi-disant principe général de non-transmission de dettes en cas de succession territoriale, qui en réalité n'existe pas comme principe général et absolu. Dans ce cas-ci, le Gouvernement Hellénique a à bon droit commencé par reconnaître lui-même sa responsabilité.
Dans les développements qui précèdent, le Tribunal est parti de la prémisse que les actes des autorités Cretoises de 1908 constituent la violation d'une clause contractuelle. Le Tribunal tient à ajouter à ces développements
argumenti causa que même si l'on considérait la dette ainsi créée par la violation d'une clause contractuelle comme une dette délictuelle ou quasi-délictuelle à raison de son origine dans un acte illicite de l'Etat, la conclusion n'en serait pas différente. La thèse, plutôt doctrinale que jurisprudentielle, selon laquelle il ne saurait jamais être question de transmission — ou plus correctement: de transition, puisqu'il ne s'agit pas ici d'effets d'actes de volonté humaine, mais plutôt de conséquences automatiques et de plein droit de changements territoriaux — d'obligations délictuelles à l'Etat successeur n'est pas, dans sa généralité, bien fondée. Ici encore la solution devra dépendre des traits particuliers à chaque cas d'espèce.
199Une obligation créée par un délit international proprement dit, commis en violation directe du droit des gens, tel que l'envahissement d'un territoire neutre ou la destruction arbitraire d'un navire exempt du droit de prise, est de toul autre nature qu'une obligation qui prend son origine dans le domaine du droit privé ou du droit administratif et qui ne donne naissance à une réclamation internationale qu'à la suite d'un déni de justice. L'hypothèse de l'union volontaire de deux Etats indépendants en un Etat unitaire ou fédératif diffère essentiellement de celle de l'annexion d'un Etat à un autre par la force des armes. Le démembrement d'un Etat unitaire en deux ou plusieurs Etats nouveaux présente des traits caractéristiques qui diffèrent de ceux inhérents à la sécession d'une colonie de la mère patrie comme un nouvel Etat indépendant. Toutes ces différences ne peuvent pas ne pas exercer une influence décisive sur la solution du problème de la succession d'Etats même en obligations délictuelles. Quelle justice, ou même quelle logique juridique y aurait-il, par exemple dans l'hypothèse d'un délit international commis contre une autre Puissance par un Etat qui ultérieurement se scinde en deux Etats nouveaux indépendants, à considérer ces derniers comme déliés d'une obligation internationale de réparation qui aurait sans aucun doute possible pesé sur l'Etat ancien prédécesseur, auteur du délit? Certaines tendances dans la doctrine nécessitent donc clairement une reconsidération à raison de la nature différente des obligations délictuelles possibles et de la diversité des hypothèses possibles de succession territoriale.
L'argument doctrinal qui est quelquefois invoqué à l'appui de la théorie de la non-transmission de dettes délictuelles ou quasi-délictuelles par certains auteurs de langue allemande, à savoir que ces dettes présenteraient un caractère « au plus haut degré personnel » (
hochstpersönlich) n'a aucune force convaincante.
Si cet argument formulait en vérité un principe général de droit, il devrait également jouer et au même titre dans le droit civil, mais il est loin d'en être ainsi. Bien au contraire, les dettes délictuelles de personnes privées, qui présenteraient exactement le même caractère « hautement personnel », passent généralement aux héritiers. Ce n'est pas à dire que les principes de droit privé soient applicables comme tels en matière de succession d'Etats, mais seulement que le seul argument qui soit quelquefois invoqué pour nier la transmission de dettes délictuelles n'a pas de valeur.
Le Tribunal estime par conséquent que, contrairement à la réclamation n° 11, la réclamation n° 4, qui au surplus n'a rien d'odieux pour la Grèce et est susceptible de liquidation aisée, doit être admise.
Puisque la situation illégale créée par la violation de la concession en 1908 et confirmée après l'union de la Crète à la Grèce en 1913 entraîne exactement les mêmes conséquences juridiques pour les deux périodes consécutives, le Tribunal fixera ci-après
sub I, D le montant de l'indemnité due.
La Grèce, étant ainsi reconnue débitrice envers la Société d'une indemnité fondée sur le fait que le Tribunal l'a considérée comme tenue en Crète des obligations résultant du contrat de concession, la question, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une contre-réclamation conditionnelle de la Grèce, se pose de savoir si à ce même titre elle ne devrait pas réciproquement bénéficier de l'avantage que la même concession a établi en faveur du concédant, à savoir les 7/16 des recettes réalisées dans l'ensemble du territoire crétois.
Ainsi posée, cette contre-réclamation dépasse évidemment la portée de la réclamation n° 4 à laquelle elle n'est liée que par une certaine parenté de motifs. Bien qu'elle se présente comme une contre-réclamation distincte, le Tribunal estime opportun de l'examiner brièvement à cette place.
Le Tribunal fait remarquer d'abord que, conçue comme une contre-réclamation formelle, elle n'a été présentée ni dans le Mémoire ni dans le Contre-Mémoire helléniques et qu'elle n'est apparue que pendant la discussion orale.
200Le Tribunal s'explique mal quelle est la cause de cette présentation tardive, puisque l'Agence hellénique reconnaissait encore implicitement dans son Mémoire le bien-fondé de la réclamation française n° 4 et qu'il y avait donc lieu pour elle d'y joindre sa contre-réclamation d'ordre général, au lieu de la présenter seulement dans la phase suivante de la procédure alors qu'elle avait changé d'opinion et commençait à combattre la réclamation n° 4. Quoi qu'il en soit, pas plus dans ce cas que dans celui d'autres réclamations présentées d'une façon irrégulière, le Tribunal ne veut pas déclarer pour cette raison cette contre-réclamation tardive irrecevable. Il ne le fait même pas à raison du caractère absolument indéterminé de cette demande, dépourvue de toute mention concrète de chiffres. Le Tribunal ne saurait toutefois en reconnaître le bien-fondé.
Ce que l'Agence hellénique demande par cette contre-réclamation, ce n'est en effet rien d'autre que l'attribution à la Grèce par ce Tribunal arbitral de sommes que les Grandes Puissances se sont constamment refusées à accorder la Crète dès 1908 pour le motif que le
statu quo en cette matière devait être maintenu (voir dernièrement leur déclaration du 10 mai 1912, reproduite à la page 200 du vol. 82 de la série C des
Publications de la C.P.J.I, et commentée dans le Mémoire du Gouvernement Français en date du 15 mars 1937,
ibid., p. 34 et 35) et que l'arbitre Borel a considérées dans sa sentence du 18 avril 1925 comme ayant toujours eu le caractère d'un revenu de l'Empire ottoman qui, bien que n'ayant pas été effectivement versé à la Caisse du Gouvernement impérial (pour avoir été aliéné au groupe de prêteurs), a du moins été porté au crédit de ce dernier.
Le Tribunal ne saurait se mêler de cette controverse du passé. Sur les ordres des Grandes Puissances, la Société a payé aux prêteurs pour le compte de la Turquie et, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de donner suite à la contre-réclamation hellénique dont l'allocation reviendrait à méconnaître à posteriori une décision d'autorité des Grandes Puissances.
Le troisième groupe de réclamations de la Société se compose de celles qui trouvent leur origine dans des actes commis par les autorités militaires ou civiles de la Grèce en sa qualité de Puissance belligérante (occupante). Ce groupe se subdivise en deux, selon que les faits générateurs de responsabilité ont été accomplis pendant les guerres balkaniques de 1912 et 1913, ou pendant la première guerre mondiale, notamment dans la période de liquidation avec la Turquie de 1919 à 1924. Ont pris naissance, avant ou sans que la Grèce eût acquis la souveraineté du territoire en question, pendant les guerres balkaniques: les réclamations n°s 8, 7, 1 et 10, et pendant la phase finale de la grande guerre: les réclamations n°s 3, 13 et 14. Mais ainsi que le Tribunal le constatera dans la suite, deux de ces réclamations, n° 8 et 1, nées sous le régime de l'occupation militaire hellénique, ont continué de diviser les parties sous le régime de la souveraineté territoriale de la Grèce définitivement acquise. Puisque les deux réclamations en question se présentent sous un autre jour dans chacune des deux périodes, le Tribunal en scindera l'examen en deux, relativement sous C 1 et D.
La réclamation n° 8 est un exemple typique des événements qui se sont déroulés pendant les guerres balkaniques en 1912 et 1913. Les faits qui sont à la base de cette réclamation paraissent assez simples, mais leur appréciation juridique ne l'est pas.
201 Lorsqu'en novembre 1912, les forces helléniques occupèrent Salonique, elles procédèrent tout de suite à la saisie de tous les objets qu'elles s'estimaient en droit, d'après les lois de la guerre, de saisir comme propriété publique ennemie (ottomane). Elles considéraient comme telle le numéraire et les recettes provenant de la perception des droits de phare qu'elles menaçaient de saisir à ce titre. La Société contesta aussitôt la légitimité de cette manière de voir et invoqua l'intervention de la Légation de France à Constantinople. Cette intervention provoqua un
modus vivendi consistant en ce que les recettes perçues par la Société à Salonique dans l'exploitation de la concession seraient provisoirement déposées dans la caisse publique hellénique, considérée comme caisse de consignation, déduction faite des frais réels que lui occasionnait l'exploitation de ses phares. Ce
modus vivendi provisoire prévoyait en termes exprès un règlement de comptes final, mais ce règlement n'a jamais suivi, pas même après que la région de Salonique eut définitivement été attribuée à la Grèce le 25 août 1913. Bien au contraire, les autorités helléniques ont continué après cette date de demander le versement des recettes dans leur caisse à Salonique, et toutes les sommes ainsi déposées sont définitivement restées aux mains du fisc hellénique, malgré les réclamations réitérées de la Société.
L'aspect de la contestation, tel qu'il se présente sous le jour de la situation légale après le 25 août 1913, sera examiné ci-après dans la partie D de cette sentence. Pour le moment le Tribunal se limitera à la situation juridique durant la période d'occupation militaire.
Le simple résumé des faits ci-dessus soulève certaines questions relevant du droit de la guerre, du régime juridique de la concession et des principes de droit relatifs au respect des droits privés acquis.
Selon le droit international public, tout Etat belligérant occupant le territoire de son adversaire peut, d'une part, saisir les propriétés mobilières de l'Etat ennemi énumérées à l'article 53 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la Convention IV de La Haye de 1907 et, sous certaines conditions strictes formulées à l'article 48 dudit Règlement, prélever, dans le territoire occupé, les impôts, droits et péages établis au profit de l'Etat, mais il doit, d'autre part, respecter la propriété privée (article 46 du même Règlement).
Dans quelle catégorie d'objets le numéraire et les recettes en question rentrent-ils?
Il n'est pas contestable que les droits de phare, quand l'exploitation du service est directement assumée par l'Etat, sont par nature des droits établis au profit de l'Etat. En conséquence, les sommes perçues à ce titre entrent normalement dans la catégorie des objets saisissables et leur perception par l'Etat occupant n'offre rien d'irrégulier. Il en est autrement dans le cas où la perception des droits a lieu en vertu d'une concession octroyée par l'Etat occupé à un particulier ou à une société. Le régime de la concession comporte en effet que les droits, bien que dans notre cas leur perception fût opérée au nom du Gouvernement ottoman par les concessionnaires (art. XIV
in fine de la Convention de 1860, demeuré en vigaeur après), sont en réalité perçus au profit de ces derniers, comme contrepartie des dépenses qu'ils ont dû faire pour la construction, l'entretien et l'exploitation des phares et feux relevant de la concession, et souvent à charge de verser après coup au concédant une part plus ou moins élevée des recettes brutes ou nettes. Mais les droits de phare tombent d'abord intégralement dans le patrimoine privé du concessionnaire et la part destinée à l'Etat concédant fait l'objet d'une simple dette due par le concessionnaire au fisc de cet Etat. Quand donc un belligérant se trouve confronté avec une telle situation dans un territoire qu'il occupe, les recettes elles-mêmes sont revêtues pour lui du caractère de la propriété privée.
202 Il s'ensuit que, dans une telle hypothèse, les recettes des droits de phare comme telles jouissent de la protection de la propriété privée et qu'en conséquence, elles ne sont point susceptibles de saisie par l'Etat occupant, n'étant ni « impôts, droits et péages établis au profit de l'Etat », ni « numéraire ou fonds appartenant en propre à l'Etat ». Il s'ensuit encore que l'Etat occupant ne serait même pas en droit de saisir la redevance due à l'Etat occupé par le concessionnaire, à moins que cette part, résultant d'un simple calcul de comptabilité, ne rentre dans le concept des « valeurs exigibles » mentionnées à l'article 53, alinéa 1er, du Règlement de 1907 concernant les droits et coutumes de la guerre sur terre, parmi les seuls objets saisissables. Or, cette question de droit n'est pas facile à résoudre dans le cas qui nous occupe. En effet, les droits de phare sont perçus en différents endroits et constituent seulement dans leur ensemble le montant des recettes qui sert de base au calcul de la part qui en revient à l'Etat concédant. Les recettes locales n'ont donc, en principe, aucun rôle à jouer dans ce système: il n'est pas permis de dire que l'Etat concédant ait droit, en chaque endroit où se perçoivent les taxes, à la part, stipulée globalement dans le contrat de concession, des recettes perçues. Des « valeurs » de ce type spécial, même entendues comme comprenant des créances de cette nature, ne sauraient donc être qualifiées comme « exigibles », tant qu'elles n'ont pas été fixées à une somme déterminée comme résultat d'un calcul et règlement de comptes global. Il est vrai que, dans le cas de la concession de 1860, la part afférente à l'Etat est déterminée sur les recettes brutes, mais d'après l'article XII (maintenu en vigueur sous les contrats de prorogation de la concession), il sera opéré un prélèvement sur ces recettes brutes jusqu'à concurrence de l'entier montant des dommages éventuels résultant pour le matériel de tous cas de force majeure et avant toute répartition de ces recettes entre le Gouvernement et les concessionnaires.
Et si l'Etat occupant n'a pas, par conséquent, le droit de s'approprier sans plus, par une saisie au sens de l'article 53 du Règlement de 1907, une part des recettes locales correspondante au pourcentage global stipulé dans le contrat de concession, il n'a, à plus forte raison, aucun droit de s'en approprier la totalité, pas même déduction faite des frais de l'exploitation des phares.
On pourrait se poser la question de savoir si un Etat occupant aurait le droit de s'approprier les créances de sommes dues à l'Etat occupé, qui ne seraient encore ni liquides ni exigibles, pour le cas où elles le deviendraient durant l'occupation, ou après la transformation de l'occupation militaire en souveraineté territoriale. Les arguments ne manqueraient pas dans le sens de l'affirmative, malgré la tendance du Règlement de 1907 à limiter strictement les pouvoirs de l'occupant. Mais il n'y a pas lieu d'insister sur ce point, parce qu'une raison de tout autre ordre s'oppose en l'espèce à l'admission de cette solution.
Le Tribunal signalera, en effet, plus amplement dans la partie II de cette sentence, à propos de la contre-réclamation hellénique n° 1, que la part afférente à l'Etat ottoman avait été, depuis longtemps déjà, non pas simplement gagée, mais aliénée à l'avance à un groupe de prêteurs par un contrat dans lequel la Société avait reçu, de la part du Gouvernement ottoman, l'ordre de verser la part des recettes afférente à ce dernier, non pas au fisc ottoman, mais au représentant des prêteurs. Il n'est donc pas douteux que cette part des recettes aliénée par la Turquie doit jouir de la protection accordée aux droits acquis par les particuliers et que la Grèce, comme Etat occupant, n'avait aucun droit de se l'approprier. A plus forte raison elle ne pouvait saisir la totalité des recettes, même déduction faite des frais de l'exploitation.
203 Cette quote-part des recettes revenant au concédant ayant été intégralement payée par la Société aux prêteurs, ainsi qu'il appert d'une attestation du groupe de prêteurs en date du 19 juillet 1956, sur laquelle le Tribunal reviendra dans l'examen de la contre-réclamation n° 1, la Grèce doit rendre à la Société l'intégralité des sommes déposées par elle au Trésor hellénique en vertu du
modus vivendi susvisé jusqu'au 25 août 1913.
Le montant total des versements effectués n'est pas contesté. Le tribunal reviendra à ce point ci-après dans la partie D, lorsqu'il examinera la situation depuis le 25 août 1913.
Le cas qui a donné lieu à la réclamation n° 7, relative à la saisie du numéraire existant dans les caisses de la Société à Tenedos après l'occupation de cette île par les forces helléniques en novembre 1912, est similaire au précédent avec cette différence qu'il y a eu saisie directe sans intervention d'un
modus vivendi et que la réclamation se limite à la période de l'occupation militaire. On peut affirmer que la solution dégagée sous le n° 8 ci-dessus doit
a fortiori s'appliquer à l'espèce et que, en conséquence, la Grèce doit restituer à la Société l'intégralité des sommes saisies à Tenedos.
Le montant des sommes déposées n'est pas contesté: il est de 941,50 livres turques (valeur 1912).
Dans ce cas aussi, comme dans celui
sub n° 8, il s'agit d'une réclamation qui a pris naissance dans la période de l'occupation militaire, mais qui a continué de diviser les parties après la substitution de la souveraineté territoriale de la Grèce au régime de l'occupation militaire.
Cette réclamation concerne le défaut ou le refus, par les autorités helléniques, de payer les droits de phare demandés par la Société pour des navires réquisitionnés par la Grèce. Le Tribunal n'envisagera la réclamation en cet endroit que pour autant qu'il s'agit de la période où la Grèce opérait comme Puissance belligérante et avant sa subrogation dans les droits et charges de la concession en qualité d'Etat successeur de l'ex-Empire Ottoman. Nombre de considérations applicables à cette période initiale sont également valables pour la période subséquente, pendant laquelle la Grèce a continué de refuser le payement (voir ci-après dans la partie D de la sentence).
Dans cette affaire aussi, l'attitude de la Grèce a été peu conséquente. D'abord, elle a estimé naturel de payer, même pour ces navires, les droits de phare régulièrement dus et elle a reconnu cette obligation de payer assez clairement.
Ce n'est que plus tard qu'elle a commencé par tergiverser, d'abord, de faire des réserves ensuite, et enfin de refuser nettement le payement. Dans cette dernière phase, qui tombe déjà dans la deuxième période, le Gouvernement Hellénique s'est fondé sur des arguments juridiques nouveaux et consistant à affirmer qu'aucun bâtiment réquisitionné par lui ne serait tenu de payer, pour le motif que tous seraient comme tels assimilés à des navires de guerre, exonérés du paiement des droits de phare d'après le contrat de concession.
Dans la période qui a précédé l'acquisition par la Grèce de la souveraineté territoriale — le 25 août 1913, le 19 décembre 1913, le 13 février 1914 ou le 6 août 1924 respectivement, selon l'analyse qui en a été donnée ci-dessus dans la partie introductive de la sentence pour les différentes parties de la Nouvelle-
Grèce —, le Gouvernement Hellénique ne pouvait évidemment pas encore invoquer sa position comme Etat concédant par subrogation, position qu'il n'occupait pas encore. Dans cette période initiale, il pouvait seulement invoquer, comme tout autre propriétaire ou armateur de navires, puissance publique ou entreprise privée, les clauses du tarif en vigueur dans l'Empire Ottoman, et réclamer seulement, comme tout autre Etat, les exonérations expressément prévues dans ce tarif et telles qu'elles étaient interprétées en Turquie.
204Pas plus que le Gouvernement Ottoman concédant lui-même, le Gouvernement Hellénique ne pouvait, ni en qualité d'exploitant de navires, ni en celle de pouvoir souverain, prétendre à des exonérations surpassant celles limitativement définies dans le tarif en vigueur dans l'Empire Ottoman. Ce que le Gouvernement Ottoman lui-même, et d'ailleurs tout autre Gouvernement étranger, allié ou neutre, faisant naviguer des navires sous son pavillon dans les eaux turques, devait payer à la Société conformément aux conditions du tarif légal à elle octroyé, le Gouvernement Hellénique le devait également. Et ni sa qualité de pouvoir occupant une partie du territoire ottoman, ni celle de puissance ennemie en général ne le libérait non plus du paiement de droits de phare régulièrement dus à une société concessionnaire française. Notamment en tant qu'Etat occupant, la Grèce devait se conformer aux règles régissant le régime de la concession et incorporées dans la législation nationale de l'Etat occupé. Envisagée sous cet angle, la réclamation doit, même durant la période de l'occupation militaire, être jugée à la lumière des conditions du tarif accordé à la Société concessionnaire et d'une interprétation raisonnable de ses clauses.
Le Tribunal a déjà fait entrevoir son opinion sur ce point en des termes généraux dans son Ordonnance de procédure n° 4 et il doit maintenant s'étendre plus longuement sur cette controverse qui est devenue de plus en plus vive au cours des années.
Les exemptions des droits de phare sont prévues aux alinéas 5 et 6 de l'article XIV de la concession du 8/20 août 1860 (encore en vigueur en 1912):
(5) Les navires de guerre seront exonérés du paiement des droits de phares sur tous les points de l'Empire pendant toute la durée de la concession.
(6) Il est entendu que cette exonération de droits n'est accordée qu'aux navires de guerre proprement dits; elle n'est applicable ni aux compagnies subventionnées ou privilégiées, ni aux navires de l'Etat qui pourraient être affectés à des services postaux, commerciaux, ou autres de même nature.
Il appert du texte de l'alinéa 5 que la clause relative à l'exonération des navires de guerre opère comme une clause d'exception aux règles générales contenues aux alinéas précédents. Cette circonstance en elle-même appelle déjà de la circonspection dans son application. Mais il y a plus: l'alinéa suivant (6) énonce en termes exprès que la clause d'exonération ne vise que les navires de guerre « proprement dits ». La netteté de la conclusion à tirer de ces deux indices réunis relativement au caractère restrictif de l'exonération semble toutefois à première vue être affaiblie par la clause suivante qui a l'air de vouloir, moyennant un argument
a contrario, étendre au contraire la portée du terme « navires de guerre proprement dits » à des bâtiments qui ne sont aucunement, dans le sens strict du mot, des navires de guerre. Ainsi, pourrait-on prétendre, si on a estimé nécessaire de stipuler en termes exprès que l'exonération des droits de phare ne serait applicable ni aux compagnies subventionnées ou privilégiées ni aux navires d'État qui pourraient être affectés à des services postaux, commerciaux ou autres de même nature, cela ne veut-il pas dire que, sans cette clause explicative, ces deux groupes spéciaux de navires pourraient, eux aussi, être classés dans la catégorie des navires de guerre?
Le Tribunal n'est pas convaincu par ce raisonnement. S'il présente une première apparence logique, il ne tient pas si on considère, d'une part, qu'une clause aussi claire que celle qui limite l'exonération des droits de phare aux navires de guerre proprement dits ne saurait être invalidée que par une clause aussi claire et sans ambiguïté et, d'autre part, qu'il est parfaitement possible d'interpréter ladite référence aux deux groupes spéciaux de navires mentionnés dans la deuxième phrase de l'alinéa 6 de façon à l'expliquer sans affecter le moins du monde la clause précédente.
205En effet, un navire de guerre du type normal est caractérisé avant tout par son affectation réelle à des buts militaires de combat. Il se comprend donc très bien que les auteurs du contrat de concession de 1860 aient voulu accentuer cette caractéristique d'un navire de guerre en lui opposant, se basant sur la situation de fait existant à cette époque, deux autres types de navires qui ne le sont certainement pas. C'est pourquoi ils ont ajouté que ne peuvent être considérés comme navires de guerre ni un navire qui n'est que virtuellement utilisable comme bâtiment de combat en cas de nécessité urgente, mais sans être utilisé comme tel actuellement (comme c'est le cas des croiseurs auxiliaires de la « flotte volontaire », éventuellement construits à l'avance aux fins d'affectation éventuelle à des buts militaires moyennant leur transformation de navire de commerce en navire de guerre), ni un navire qui, bien qu'étant navire d'Etat, n'est pas affecté à des opérations militaires, mais à d'autres buts publics (comme par exemple un paquebot postal, un navire de douane, un navire de police ou de quarantaine, etc.). Interprétée de la sorte, la clause additionnelle, suivant immédiatement celle qui est relative aux navires de guerre proprement dits, est parfaitement compréhensible.
Le Tribunal s'est encore demandé s'il y aurait lieu d'interpréter l'article XIV, alinéas 5 et 6, à la lumière de certaines définitions de navires de guerre qui ont été dressées de temps à autre dans un passé lointain ou récent dans des buts divers, mais il est arrivé à une réponse négative. Toutes ces définitions, en effet, diffèrent sensiblement entre elles parce que leur contenu est jalonné sur le but qu'elles poursuivent, selon qu'il s'agit de définir le concept « de navire de guerre », par exemple, aux fins de l'exercice du droit des prises ou d'autres activités de guerre ou pour préciser les navires qui en peuvent être l'objet, pour déterminer les navires battant pavillon d'un Etat belligérant qui pourront entrer dans un port neutre, ou pour énumérer les navires qui jouiront d'un droit d'immunité dans des eaux étrangères, ou qui pourront exercer un droit de surveillance dans la haute mer, etc. Telle par exemple la définition donnée dans l'article 10 du Règlement de l'Institut de droit international arrêté à Stockholm en 1928 (
Annuaire, vol. XXXIV, p. 736 et ss.) sur le régime des navires de mer et de leurs équipages dans les ports étrangers en temps de paix, définition qui comprend les navires de guerre, dans un sens plus strict, ensemble avec d'autres navires sous la dénomination d'auxiliaires et avec les navires hôpitaux, dans une catégorie plus générale, dite de bâtiments militaires. Une telle définition, dressée en 1928 dans le but spécial indiqué, ne permet aucune conclusion relativement au vrai sens d'une clause de concession rédigée en 1860 pour réserver, d'une part, aux navires de guerre ottomans un régime exceptionnel d'exonération des droits de phare, mais pour garantir, d'autre part, aux concessionnaires qui allaient s'engager à de très fortes dépenses pour la construction de travaux d'intérêt public, une interprétation stricte de la clause d'exception qui devait en exclure de possibles abus à l'avenir.
S'il y a lieu de se référer à un précédent autorisé, emprunté à l'histoire de ce chapitre du droit international public, c'est plutôt le fait que, pendant la Deuxième Conférence de la Paix de 1907, la Grande-Bretagne a proposé de considérer comme des bâtiments de guerre les nommés « vaisseaux auxiliaires », proposition qui n'a pas trouvé beaucoup de sympathie et qui a fini par être retirée. Par ce groupe spécial de « vaisseaux auxiliaires » on entendait alors spécialement les navires de commerce, soit belligérants, soit neutres, qui sont employés pour le transport de troupes, de munitions, de vivres, etc., ou pour la transmission de communications, et qui se trouvent sous le commandement de la flotte belligérante. (Voir Actes, t. III, p. 1135, 847, 862 et 917.)
206 Le Tribunal a déjà laissé entrevoir également, dans son Ordonnance de procédure n° 4 sur la réclamation n° 1, quelles conséquences juridiques il déduit de sa conclusion relative au sens du terme « navires de guerre proprement dits » par rapport à la catégorie spéciale des navires réquisitionnés par un Etat en temps de guerre ou en vue d'hostilités imminentes. Une telle réquisition ne transforme pas, par elle-même, en navires de guerre des navires privés de commerce ou des paquebots privés; ces derniers ne passent dans cette catégorie que par leur affectation aux mêmes buts que les navires, de combat. Inversement, le simple fait qu'un navire reste propriété privée ne suffit pas à lui dénier le caractère de navire de guerre, du moment et aussi longtemps qu'il est susceptible de participer aux opérations de combat. Le transport de troupes, de munitions ou de vivres, des opérations d'évacuation, des services hospitaliers, etc. ne transforment pas ces navires en bâtiments de guerre proprement dits, bien que des bateaux affectés à ces derniers services puissent, comme « navires auxiliaires », sous certains aspects être soumis à un régime similaire à celui des navires de combat, qui seuls sont de véritables « navires de guerre proprement dits ».
L'interprétation restrictive donnée ci-dessus au terme « navires de guerre proprements dits » cadre, d'ailleurs, avec l'interprétation qu'en ont donnée la Turquie elle-même, les Gouvernements étrangers et les Hauts Commissaires Alliés lors de l'occupation de Constantinople en 1922. Elle cadre également avec l'attitude initiale prise par les autorités helléniques.
Le Gouvernement Hellénique ne saurait donc faire bénéficier les navires réquisitionnés par lui du traitement exceptionnel réservé aux « navires de guerre proprement dits » en les « assimilant » à ceux-ci, ou en les « encadrant » dans la marine de guerre, méthode qui entraînerait aussi une grave rupture de l'équilibre de la concession.
Les conséquences que doit comporter cette analyse de la réclamation n° 1 seront déterminées ci-après sous D à propos de la même réclamation pour la période qui a suivi le transfert de la souveraineté territoriale à la Grèce.
En ce qui concerne la perception illégale de droits de douane à Nirarie et à Lemnos au mois de septembre 1913, le Tribunal fait observer ce qui suit.
Sous ce numéro la Société réclame une petite somme du chef de la perception de droits de douane par les autorités helléniques lors de leur occupation des îles de la mer Egée en 1913. La Grèce, n'ayant pas encore été subrogée dans la concession à cette époque, n'était pas liée par cette concession directement comme partie contractante. Mais comme puissance occupante elle était obligée de respecter l'ordre légal du territoire occupé, dont la clause d'exonération des droits de douane figurant dans l'article VI, alinéa 1 du contrat de concession de 1860 (demeuré en vigueur depuis) constituait un des éléments. Cette disposition visait, dans une formule très large, les « matériaux destinés à la construction ou à la réparation des tours et feux, l'outillage, les approvisionnements nécessaires à l'éclairage, enfin tous les objets qui seront nécessaires à l'Administration des Phares ».
Le principe de cette réclamation n'est pas contesté par la partie hellénique et le montant ne l'est pas non plus après limitation par la Société de la réclamation aux sommes indiquées dans quelques reçus qu'elle a pu produire et qui prouvent les faits qu'elle invoque. Le montant, exprimé dans sa monnaie d'origine, est de 40 drachmes (valeur 1913).
L'autre chef de réclamation figurant primitivement sous le n° 10, mais qui s'en est graduellement dégagé au cours des débats et qui concerne la perception illégale d'impôts fonciers en 1927-1929, sera traité ci-dessous dans la partie D de la sentence, sous le n° 10
bis.
207
La réclamation relative au non-paiement par la Grèce d'un triplement rétroactif des droits de phare dus par elle pour des navires réquisitionnés fréquentant le port de Constantinople en 1919, se fonde sur les faits suivants.
Nombre de navires helléniques réquisitionnés par le Gouvernement ont fait escale au port de Constantinople entre le 18 janvier et le 8 septembre 1919. Ces navires devaient de ce chef à la Société des droits de phare selon le tarif alors en vigueur jusqu'au montant de 59 662,25 piastres turques. Le paiement effectif en est resté en suspens pour quelque temps, mais le Gouvernement Hellénique n'a jamais contesté qu'il dût les payer, et les a en effet payés sans aucune réserve en décembre 1921. Peu après, les Hauts Commissaires Alliés à Constantinople ont, par leur décision du 7 janvier 1922, produite en copie par la partie française, triplé le tarif avec effet rétroactif jusqu'au 17 mai 1919. A la suite de cette décision, la Direction de la Société à Constantinople a présenté au Haut Commissaire hellénique, le 26 janvier 1922, un bordereau supplémentaire jusqu'au montant de 83 599,50 piastres turques et couvrant la période du 17 mai jusqu'au 8 septembre 1919, mais la somme indiquée dans ce bordereau est restée impayée.
Le mémoire hellénique, se conformant à la thèse exposée ci-dessus sur la réclamation n° 1, maintenait que la Grèce était en droit de faire valoir une exonération des droits de phare pour tous les navires réquisitionnés qui ont fait escale dans des ports situés dans des territoires annexés à la suite des guerres balkaniques ou dans des territoires militairement occupés (tels que Smyrne), mais reconnaissait que cette exonération invoquée ne couvrait pas les navires réquisitionnés qui faisaient escale à Constantinople. Cette reconnaissance est d'ailleurs en conformité avec son paiement, sans réserve, du montant non encore majoré en décembre 1921. Le mémoire hellénique se contentait donc de contester le montant de la majoration réclamée en francs français au lieu de piasties turques. Après contestation de la thèse hellénique dans le contre-mémoire français, le contre-mémoire hellénique n'en disait plus mot.
Ce n'est qu'au cours des débats oraux que l'Agent hellénique (p. 6 de la plaidoirie de M. Tsagarakis) a commencé de défendre la thèse nouvelle selon laquelle la Grèce n'est point obligée de payer le supplément de taxes, et cela pour une raison empruntée au droit civil: la Grèce ayant payé sa dette à la date du 14 décembre 1921, était finalement libérée; sa dette, étant par cela définitivement éteinte, ne pouvait plus être remise en discussion, pas même à la suite d'une décision des Hauts Commissaires Alliés.
Ce n'est qu'à la suite de l'Ordonnance de procédure n° 4 sur la réclamation n° 3 que l'Agence hellénique a formulé une deuxième thèse toute nouvelle, à savoir que l'article 137 du Traité de paix de Lausanne maintenant en vigueur certaines décisions des Hauts Commissaires Alliés ne peut pas être interprété dans le sens de couvrir aussi la décision du 7 janvier 1922 portant triplement des droits de phare. Le « mémoire responsif » de l'Agence hellénique en date du 22 août 1955 ne donne aucun argument en faveur de cette thèse. Il prétend que cette argumentation a été déjà présentée antérieurement, mais c'est inexact: l'Agence hellénique n'y a jamais fait allusion ni dans la procédure écrite ni lors des débats oraux et, contrairement à ce que dit à ce sujet le « mémoire responsif », même la Commission de 1935, dont le procès-verbal y est joint, n'excipe aucunement de cette interprétation restreinte de l'article 137 précité; bien au contraire, elle semble plutôt l'admettre comme couvrant la décision du 7 janvier 1922.
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