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Cour d'appel de Paris, 16 december 1809, Lane c. Vochez

Title
Cour d'appel de Paris, 16 december 1809, Lane c. Vochez
Additional Information
This decision is commented by Bruno De Loynes De Fumichon in: Le droit de se faire juger par des arbitres appartient au droit des gens, CAPJIA 2019, p. 49, 2019.
Table of Contents
Content
 

ŒUVRES JUDICIAIRES,

OU

RECUEIL CONTENANT:

 
LES PLAIDOYERS du Procureur Général près la
Cour d’Appel de Paris, dans les Causes célèbres, suivis
des Arrêts ;
 
 
DISCOURS ET RÉQUISITOIRES sur des objets
d'ordre public ;
 
RÉPONSES A DIVERS MAGISTRATS sur des
questions de droit.
 
 
 

PAR M. MOURRE,

ANCIEN PROCUREUR GÉNÉRAL A LA COUR D'APPEL DE PARIS,
AUJOURD’HUI PRÉSIDENT A LA COUR DE CASSATION.


PARIS,

PATRIS, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, rue de la Colombe, n° 4, en la Cité.

1812.






(378)
 

DIX-SEPTIÈME CAUSE.

 
LE sieur LANE;

CONTRE la veuve VOCHEZ.


Sentence arbitrale rendue en pays étranger. — Son influence
en France.


    MESSIEURS,

La question principale du procès consiste à savoir comment on doit considérer la sentence arbitrale rendue à Londres entre le sieur Lane et le sieur Vochez ; si cette sentence est exécutoire en France ; quel empire et quelle influence elle peut y exercer.

L'article 121 de l’Ordonnance de 1629 porte :

« Les jugements rendus, contrats ou obligations reçus ès royaumes et souverainetés étrangères, pour quelque cause que ce soit, n’auront aucune hypothèque ni exécution en notre dit royaume, ains tiendront les contrats lieu de simples promesses, et nonobstant les jugements, nos sujets contre lesquels ils auront été rendus, pourront de nouveau débattre leurs droits, comme entiers, pardevant nos officiers. »


(379)
Cet article était exécuté dans toute la France, non seulement comme disposition législative, mais encore comme principe de notre droit public.

Il était encore une autre maxime de notre droit commun et politique ; c’est que le Français ne pouvait plaider devant les tribunaux étrangers, ni en demandant, ni en défendant.

Il fallait bien pourtant, lorsqu'un Français avait quelque chose à demander à un étranger et que celui-ci ne possédait aucun bien en France, il fallait bien, disons nous, que le Français portât son action devant les tribunaux étrangers.

Mais ce cas particulier ne changeait rien au principe ; car tant que le Français ne se plaignait pas et qu’on ne produisait pas en France devant nos tribunaux un jugement rendu par une juridiction étrangère, la conduite du Français qui avait plaidé hors du territoire national, était une chose légalement inconnue et la justice n’avait pas à s’en occuper.

Quand un jugement était rendu dans un pays étranger et qu’on voulait s’en prévaloir en France, on faisait cette distinction: ou la partie condamnée était un étranger, ou c'était un Français. Si c'était un étranger, il suffisait d’un pareatis au grand sceau ; si c'était un Français, il avait le droit de débattre de nouveau son affaire et de la mettre en jugement(I).

Il aurait été à désirer que le Code Napoléon nous donnât quelques principes sur la matière. Il ne s’en explique qu’au titre des hypothèques, article 2123.

Voici ce qu’on y lit :

« L’hypothèque ne peut résulter des jugements rendus en pays étranger, qu’autant qu’ils ont été déclarés exécutoires


(380)
par un tribunal français ; sans préjudice des dispositions contraires qui peuvent être dans les lois politiques ou dans les traités ».

Tout cela posé, que faut-il penser du jugement arbitral rendu à Londres le 31 août 1801 ?

C’est le sieur Lane, étranger, qui ne veut pas le reconnaître, et c’est le sieur Vochez, français, ou, ce qui est la même chose, sa veuve qui le représente à titre universel, qui veut ramener le sieur Lane aux dispositions de cette sentence.

Qui peut empêcher les tribunaux français de la reconnaître ? qui peut les empêcher de la déclarer exécutoire ? La veuve Vochez y a conclu formellement.

Le sieur Lane voudrait écarter la sentence arbitrale. Il est non recevable sous deux rapports ; 1°. parce qu’il est étranger ; 2°. parce que le jugement n’est pas émané d’une autorité publique, mais d’une autorité volontairement créée qui a pris sa force et son pouvoir dans le compromis, dont la décision n’est que la suite d’une soumission, ou, en d’autres termes, la conséquence et le résultat d’un engagement volontairement souscrit.

Sous le premier rapport et par cela seul que le sieur Lane est étranger, on pourrait lui opposer non seulement une sentence arbitrale, mais même des jugements émanés de l'autorité publique, pourvu qu’on ne les fit pas exécuter sous le sceau d’une domination étrangère. Il suffisait en ce cas qu’on obtînt anciennement un pareatis, et il suffit aujourd’hui qu’on fasse déclarer les jugements exécutoires par un tribunal français.

Sous le second rapport, et attendu qu’on excipe contre le sieur Lane d’une sentence arbitrale, il y a dans la nature des choses un motif de plus, pour que les tribunaux français re-


(381)
gardent la contestation comme jugée et qu’ils ordonnent l’exécution du jugement.

Les juges qui ont rendu la sentence étaient du choix des parties. Elles ont reconnu sans doute en eux les lumières suffisantes et l’intégrité nécessaire ; elles se sont décidées dans leur choix, non parce qu’ils étaient de telle nation ou de telle autre, mais parce qu’elles les ont réputés justes et éclairés ; elles ont eu recours non à l’autorité, mais à la sagesse; elles ont donné elles-mêmes le pouvoir dont ils avaient besoin. Le compromis est le mandat ; la sentence n’en est que l’exécution.

De quoi se plaindrait donc la partie condamnée, quand même ce serait un français ? À quel titre pourrait-elle demander qu’il lui fût permis de débattre de nouveau ses droits et de les remettre en jugement ?

Les hommes qui l’ont jugée, n’exerçaient pas une juridiction territoriale. Ils pouvaient rendre leur sentence dans un lieu comme dans un autre. L'autorité qu'ils ont exercée n'avait rien de civil ni de politique, elle appartenait toute entière au droit des gens.

Si le droit de se faire par des arbitres appartient au droit des gens, leurs décisions doivent être reconnues chez tous les peuples, et les tribunaux doivent s’empresser d’en ordonner l'exécution.

Ce principe est si sacré, que malgré l’Ordonnance de 1629, ou plutôt malgré le principe général que les actes passés sous le sceau d’une domination étrangère ne sont point exécutoires en France, on jugeait pourtant que les contrats de mariage n'avaient pas besoin d’une formalité particulière et qu’ils étaient exécutoires dans tous les pays.

Nous avons sur ce point la jurisprudence du parlement de

 
(382)
Bordeaux, attestée par Lapeyrere, édition de 1717, page 170 (II).

Et cependant le parlement de Bordeaux avait enregistré Ordonnance de 1629. Il avait apposé quelques modifications, mais ces modifications ne frappaient pas sur l’article 121, de manière qu'il reconnaissait formellement, d’un côté, que les contrats passés en pays étranger ne donnaient point hypothèque en France, et qu’il jugeait de l’autre qu’il fallait excepter de cette règle les contrats de mariage, parce qu’ils tiennent au droit des gens.

Nous ne prétendons ni approuver, ni censurer cette jurisprudence.

Notre intention est seulement de faire remarquer combien des hommes sages et des magistrats recommandables ont pensé qu’il fallait accorder de faveur aux engagements qui tiennent à un droit universel.

Nous ne disons pas que la décision des arbitres n’est soumise à aucune formalité ; mais nous pensons que celle dont il s’agit dans la cause, quoique signée à Londres, doit être reconnue en France, et qu’il n’y a aucune difficulté d’en ordonner l’exécution.

Qu’oppose le sieur Lane à des idées aussi simples et à des principes si importants, qu’il serait vraiment malheureux de les méconnaître ?

Il observe que la sentence arbitrale n’a pas été homologuée à Londres. C’est un point de fait dont nous avons cru inutile d'entretenir la cour ; car cette homologation, si elle avait eu lieu, n’aurait aucun empire sur le territoire français, et il fau-

 
(383)
drait toujours procéder en France, en vertu d’une autorisation émanée de nos tribunaux.

Le sieur Lane observe encore qu’il aurait pu proposer à Londres ses moyens de nullité.

Le sieur Lane peut le proposer devant vous comme il l'aurait pu devant les tribunaux anglais : nous n’avons rien vu dans sa défense qui puisse faire naître l’idée que les arbitres aient irrégulièrement procédé.

Le sieur Lane peut aussi (s'agissant d’un compte jugé par les arbitres) relever les erreurs, omissions ou faux emplois, s’il en existe. Mais il faut des articulations précises, et ce n’est point une demande de cette nature qui est aujourd’hui soumise à la décision de la cour.


DANS CES CIRCONSTANCES et par ces considérations, nous estimons qu’il y a lieu de déclarer la sentence arbitrale exécutoire, etc.


Nota. Le procès se composait d’un grand nombre de demandes et questions, que nous n'avons pas cru intéressant de faire connaître. — L’exécution de la sentence arbitrale n’était demandée qu’incidemment et en tant que de besoin.

Arrêt du 16 décembre 1809.


La Cour, en ce qui touche la décision arbitrale du 31 août 1801, considérant qu’une pareille décision rendue en pays étranger, mais appartenant au droit des gens, comme n'étant que la conséquence et le résultat d’une convention primitive et libre des parties, peut, sans contredit, être exécutée en France, pourvu qu’elle soit déclarée exécutoire par un tribunal français. — Déclare exécutoire la décision arbitrale du 31 août 1801, dûment enregistrée à Paris ; en conséquence ordonne qu’elle sera exécutée selon sa forme et teneur, et qu’à cet effet elle demeurera déposée au greffe de la Cour, etc.
 

(I)Voyez Brillon, v° étrangers-paréatis ; Serres, instut. liv. 1, tit. 3, in fine.
(II)Voyez aussi Brillon, v° Contrat-Hypothèque.

A project of CENTRAL, University of Cologne.