par Bruno Oppetit
Professeur à l'Université Paris XI
1. La durée de certains contrats successifs permet de penser que leur exécution soulèvera des difficultés croissantes au fur et à mesure que s'éloigne leur date de conclusion ; cette donnée, inséparable de tous les contrats de longue durée, est ressentie avec une particulière acuité dans certains contrats internationaux : il en est tout spécialement ainsi dans les transactions portant sur des matières premières ou des sources d'énergie, telles que le gaz ou le pétrole brut.
En effet, ces contrats s'insèrent dans un environnement politique et économique en mutation constante, générateur de lourdes incertitudes : des conflits peuvent opposer les pays producteurs aux pays consommateurs, ou bien encore risque toujours de se produire un changement des conditions du marché en fonction du volume de la production et de la consommation, sans oublier la menace permanente de variation de la parité des unités monétaires dans lesquelles sont exprimées les prestations ; l'aléa technique, résultant par exemple d'une évolution des méthodes de production et de transformation, n'est pas non plus à exclure. La survenance de l'un quelconque de ces événements suffit souvent à provoquer de telles variations de cours que la modification des charges ou des prix de revient qui s'ensuit compromet en général irrémédiablement l'économie d'une telle convention et rend problématique son maintien.
Or, l'exécution de ces contrats présente une importance primordiale non seulement pour les parties, évidemment, en raison des intérêts en jeu, mais aussi pour les Etats dont les parties sont les ressortissantes ou même parfois une émanation plus ou moins directe : pour les pays consommateurs et importateurs, le marché correspond à un contrat d'approvisionnement conditionnant l'activité de nombreux autres secteurs ; pour les pays producteurs et exportateurs, le contrat s'inscrit souvent dans un plan de développement économique et dans un processus d'industrialisation.
On mesure ainsi le caractère quelque peu contradictoire des données qui sous-tendent ces opérations : il s'agit nécessairement de contrats de
795longue durée, dont l'équilibre peut être bouleversé par la survenance d'événements difficilement évitables, mais dont les partenaires souhaitent néanmoins, dans toute la mesure du possible, assurer la continuation et l'exécution. Ces préoccupations apparaissent dans l'aménagement de ces contrats, dont certaines clauses ne sont conçues qu'en fonction de la mutabilité du futur ; on peut même dire que, dans ce type de contrat, de telles clauses constituent bien souvent l'un des enjeux essentiels des pourparlers contractuels, car les parties n'acceptent de s'engager qu'à la condition de disposer d'un moyen permettant de sauvegarder l'équilibre contractuel en dépit d'un bouleversement des données initiales.
2. - Quels moyens la technique juridique offre-t-elle pour atteindre cet objectif ? Si l'on observe la pratique contractuelle, il apparaît que deux types de clauses peuvent répondre à ces préoccupations : des clauses dites « de maintien de la valeur p et des clauses que l'on pourrait qualifier de clauses de « réadaptation ».
a) On peut définir de manière générique une clause « de maintien de la valeur » comme « une méthode permettant de répartir les risques monétaires entre les parties à une transaction internationale »1. On sait que l'ingéniosité des juristes a permis de mettre au point une gamme assez étendue de clauses de ce type ; telles que les clauses d'indexation, les clauses d'échelle mobile ou les clauses de référence à une monnaie de compte. Le recours à ces méthodes aurait été concevable ici, de prime abord ; mais, en réalité, ces clauses se révèlent inadaptées au type de contrat étudié et au but poursuivi par les parties en raison de leurs insuffisances et de leurs imperfections :
- de telles clauses ne couvrent que les risques monétaires : elles n'intéressent donc que les seules prestations exprimées en termes monétaires, c'est-à-dire, en règle générale, celle de l'acheteur ; or, il est bien d'autres aléas, de caractère économique ou autre, susceptibles d'affecter indifféremment n'importe laquelle des prestations du contrat considéré ;
- certaines clauses, notamment dans les prêts internationaux à long terme et tout spécialement dans les emprunts lancés sur le marché international des capitaux, revêtent une complexité telle, par les paramètres choisis et le mécanisme retenu, que les investisseurs risquent d'être dissuadés d'y recourir : il en va ainsi, par exemple, pour les clauses d'option de change ou les clauses d'unité de compte parfois utilisées dans les euro-émissions2 ; comme on l'a bien noté3, « l'expé-
796rience montre que plus une clause de maintien de la valeur devient complexe, moins elle a de chances d'être accueillie favorablement sur l'ensemble du marché » ;
- ces clauses sont frappées d'une certaine précarité en raison des incertitudes régnant sur leur validité : c'est ainsi qu'en France les juristes demeurent partagés sur l'applicabilité aux contrats internationaux de l'ordonnance du 4 février 1959 subordonnant la licéité d'une indexation à la relation directe de l'indice choisi avec l'objet du contrat ou l'activité de l'une des parties et interdisant d'autre part toute indexation dans les obligations réciproques à exécution successive4 ; or les contractants sont toujours exposés, en période d'inflation galopante, aux rigueurs juridiques imposées par la politique économique ;
- enfin le mécanisme de ces clauses manque quelque peu de souplesse, car il intervient de façon quasi automatique, et les parties sont ainsi incitées à lui préférer une autre formule de réajustement des prestations.
b) Les clauses dites « de réadaptation » échappent dans l'ensemble à la plupart des inconvénients ci-dessus décrits et leur usage paraît s'être très largement répandu depuis quelques années dans la pratique des contrats internationaux5. Il en existe une grande variété, selon le secteur économique considéré ou même selon le type de contrat ; pour nous en tenir aux contrats de fourniture et d'approvisionnement, on peut citer :
- la « government take clause » : introduite dans les contrats de fourniture par les sociétés pétrolières ; elle permet à ces dernières de répercuter sur leurs acheteurs toute augmentation du prix du pétrole au départ des pays producteurs ;
- la « first refusal clause » : c'est une clause d'alignement sur offres concurrentes, par laquelle le vendeur s'engage à accorder à son acheteur une baisse de prix égale à celles pratiquées par ses concurrents ;
- la clause du « client le plus favorisé » : c'est celle par laquelle un vendeur s'engage à faire bénéficier son acheteur actuel des avantages qu'il pourrait être appelé à accorder à des clients ultérieurs ;
- la clause dite « de hausse et de baisse », qui permet de réviser les conditions financières du contrat en cas de hausse ou de baisse du niveau des salaires ou du coût des matières premières ;
797- la clause de force majeure : comme on l'a bien montré6, on peut la considérer dans une certaine mesure comme un substitut des clauses de réadaptation, car elle vise la plupart du temps, dans de tels contrats, à assurer la continuité de la convention et à adapter celle-ci à la situation créée par la survenance de l'événement exonératoire ; ainsi une telle clause prévoit souvent, en pratique, qu'après une période de suspension, le contrat recommencera à développer ses effets sur de nouvelles bases, négociées dans l'intervalle ;
- la clause de « hardship », enfin : c'est celle qui nous retiendra tout spécialement ici, car c'est certainement celle qui correspond au mécanisme le plus élaboré et le plus général d'adaptation d'un contrat international à de nouvelles données et qui, à ce titre, soulève les problèmes juridiques les plus intéressants. Précisons que les observations qui seront présentées ci-après ont été dégagées à partir d'un matériel documentaire assez réduit, mais tout de même assez représentatif de la pratique contractuelle dominante7, et qui se trouve reproduit en Annexes.
3. - La clause de « hardship » peut se définir comme celle aux termes de laquelle les parties pourront demander un réaménagement du contrat qui les lie si un changement intervenu dans les données initiales au regard desquelles elles s'étaient engagées vient à modifier l'équilibre de ce contrat au point de faire subir à l'une d'elles une rigueur (« hardship ») injuste. Ce type de clause illustre bien la caractéristique essentielle des clauses de réadaptation, qui les oppose fondamentalement aux clauses de maintien de la valeur : alors qu'une clause monétaire opère en général de manière automatique, sans intervention des parties ou du juge, et se traduit par la substitution d'une nouvelle prestation à celle que la variation de l'indice rend caduque, la clause de « hardship », elle, n'a pas d'effet déterminateur automatique : elle consiste essentiellement à provoquer une renégociation du contrat lorsque le changement envisagé s'est produit.
L'intérêt scientifique de cette clause est multiple. Il tient d'abord à ce que cette modalité, quoique introduite dans la pratique contractuelle internationale à l'instigation des juristes anglo-saxons, semble inconnue dans les droits internes tant de l'Angleterre que des Etats-Unis, et son apparition correspondrait donc à une création de la pratique sécrétée par les besoins spécifiques du commerce international. D'autre part, il faut également fortement souligner combien cette technique (qui paraît d'ailleurs se développer actuellement dans d'autres types d'opérations, comme les emprunts internationaux, qui sont pourtant la terre
798d'élection des clauses purement monétaires)8 s'éloigne de celle des contrats civils et emprunte à celle du droit public9 ou d'autres branches du droit privé qui tendent à affirmer leur autonomie10 : cette parenté s'explique sans doute par la qualité des partenaires que ces contrats unissent et aussi par le grand nombre de données extérieures à la sphère d'activité des contractants qui conditionnent l'exécution du contrat. A cet égard, ces divers rapprochements témoignent à quel point la conclusion d'un tel accord, qui s'inscrit dans un devenir incertain, diffère du processus contractuel envisagé par le droit civil, et l'on pourrait sans doute transposer à notre matière les observations pénétrantes présentées récemment en doctrine pour montrer combien la théorie de la négociation, qui reste à faire en droit social, s'opposait à celle de la formation du contrat en droit civil11 ; en effet, les nouvelles figures que la pratique contractuelle internationale propose à la réflexion des juristes infirment sensiblement le schéma contractuel classique du droit civil, qui repose sur l'idée que le contrat traduit la conciliation des intérêts opposés de deux personnes et se trouve dès lors doté d'une stabilité dans le temps et d'une force obligatoire à l'égard des parties : ici, au contraire, rien n'est définitif, tout peut être remis en cause, et les parties elles-mêmes intègrent le changement dans l'économie de leur contrat, subordonnant dès lors l'existence et l'exécution de ce dernier à des mécanismes complexes de négociation, de propositions et de contre-propositions, de délais, d'intervention de tiers pour faciliter la solution des conflits, etc. On est bien loin, désormais, dans ce type de contrat, du cadre traditionnel et, devant cette évolution et le développement de ces techniques de réadaptation, on peut penser que la notion de contrat international tend à acquérir un contenu assez différent de celui qui correspond au concept du droit interne, et il paraît bien difficile, en tout cas, d'affirmer aujourd'hui, comme on pouvait encore le faire en d'autres temps, qu' « il n'y a qu'à chercher dans les princi-
799pes généraux du droit civil contractuel les règles applicables aux contrats internationaux »12. Peut-être assiste-t-on plutôt à la formation d'une coutume internationale dans laquelle le principe de la force obligatoire du contrat serait remplacé par le principe de l'adaptation aux situations nouvelles13.
4. - Pour qu'une telle clause puisse fonctionner de manière satisfaisante, il est indispensable qu'elle prévoie les modalités de sa mise en œuvre : le critère qui détermine la réadaptation, les personnes habilitées à y procéder, les modalités de la négociation et les conséquences qui en découlent. Les clauses étudiées ici envisagent ces modalités avec plus ou moins de précision ; mais, quel que soit leur degré d'affinement, ni les unes ni les autres n'excluent les difficultés d'application, et nous essaierons de résoudre ces dernières en examinant d'abord l'opportunité de l'adaptation (I), puis sa réalisation (II).
5. - L'intervention du mécanisme de réadaptation prévu par les clauses ci-dessous analysées se trouve très généralement subordonnée à la survenance d'un « hardship » (A), à la condition que celui-ci soit dûment constaté et reconnu pour tel (B).
6. - Le « hardship », seuil de déclenchement de la procédure mise au point dans la clause, se trouve défini de la manière suivante dans les contrats étudiés :
- « In the event that during the period of this agreement, the general situation and/or the data on which this agreement is based are substantially changed so that either party suffers severe and unforeseeable hardship, they shall consult and show mutual understanding with a view to making such adjustments as would appear to be necessary and such revisions as would be justified by circumstances which could not rea-
800sonably be foreseen, as of the date on which this agreement was entered into, in order to restore the equitable character of this agreement » (contrat Occidental - S.C.A.P.).
- « Substantial hardship shall mean if at any time or from time to time during the term of this agreement without default of the party concerned there is the occurrence of an intervening event or change of circumstances beyond said party's control when acting as a reasonable and prudent operator such that the consequences and effects of which are fundamentally different from what was contemplated by the parties at the time of entering into this agreement (such as, without limitation, the economic consequences and effects of a novel economically available source of energy), which consequences and effects place said party in the situation that then and for the foreseeable future all annual costs (including, without limitation, depreciation and interest) associated with or related to the processed gas which is the subject of this agreement exceed the annual proceeds derived from the sale of said gas » (contrat Ekofisk).
- « Si, au cours du présent contrat, la situation générale en vigueur au moment de sa conclusion venait à subir des modifications importantes, ou si les circonstances sur lesquelles les parties se sont fondées au moment de sa conclusion venaient à se développer d'une façon telle que l'une des parties aurait à subir des rigueurs que l'on ne pourrait pas équitablement lui demander de supporter, les parties se mettraient d'accord pour adapter les conditions du présent contrat à la nouvelle situation d'une façon équitable pour les deux contractants » (Contrats Ozo-Erap et Sofrepal - C.F.R., cités par Paris (1re ch.) 13 janvier 1971 : Rev. Arb. 1973, 69, note Fouchard).
Ces différentes clauses font apparaître que le « hardship », critère de l'opportunité de la réadaptation du contrat en cause, se définit en fonction de deux éléments : son origine, d'une part, et ses caractères, d'autre part.
7. - a) Généralité. - La cause du « hardship » est pratiquement toujours prévue dans une formule d'une grande généralité. En effet, les clauses analysées n'envisagent pas spécialement la survenance d'un événement précis comme critère de la nécessité de réadapter le contrat : elles visent simplement une modification de la situation générale, des données ou encore des circonstances sous l'empire desquelles les parties ont contracté. A ce titre, la clause de « hardship » diffère sensiblement tant des clauses habituelles de révision, qui précisent en général le seuil de révisibilité en fonction de l'intervention de modifications bien déterminées, telle la variation de l'unité monétaire dans laquelle est libellée une prestation, que des clauses de force majeure, qui énumèrent
801presque toujours les événements susceptibles d'être considérés comme constitutifs de force majeure.
L'impact de ce changement est d'ailleurs prévu de manière non moins générale. Il faut en effet souligner que, dans les clauses étudiées, les deux parties ont également vocation à se prévaloir de la modification des circonstances pour demander la réadaptation du contrat. D'autre part, l'incidence du changement est envisagée à travers l'ensemble du contrat, et non pas seulement dans l'un de ses éléments. Or les clauses de révision ne sont généralement stipulées qu'au profit d'une seule partie (le vendeur, la plupart du temps) et à propos d'un élément bien précis du contrat (le prix).
La généralité des termes dans lesquels est conçue la clause de « hardship » dénote bien que c'est l'équilibre général du contrat qu'il s'agit de rétablir et de maintenir ; ce n'est pas nécessairement telle ou telle partie ni telle ou telle prestation qui peut être affectée par le changement, et ce dernier peut procéder de causes très variées, et pas seulement monétaires ou économiques : le changement de circonstances vise toute modification intervenue dans les données sur lesquelles reposait l'accord initial.
8. - b) Extériorité. - La notion d' « extériorité » convient sans doute mieux que celle d' « imprévisibilité » (pourtant employée par le Contrat Occidental, qui vise un « unforeseeable hardship » pour qualifier la cause du « hardship » ; celle-ci se présente comme un événement échappant au contrôle raisonnable des parties et que l'on ne pouvait raisonnablement demander à ces dernières de prendre en compte au moment où elles ont conclu leur contrat :
- « ... circumstances which could not reasonably be foreseen, as of the date on which this agreement was entered into... » (contrat Occidental).
- « ... an intervening event or change of circumstances beyond said party's control when acting as a reasonable and prudent operator such that the consequences and effects of which are fundamentally different from what was contemplated by the parties at the time of entering into this agreement... » (contrat Ekofisk).
Cette exigence appelle plusieurs remarques :
1) La cause du « hardship » doit bien apparaître comme extérieure aux parties, en ce sens que, en aucun cas, le bouleversement de la situation nouvelle ne puisse être imputé à la partie qui en est victime (contrat Ekofisk : « without default of the party concerned »).
2) Les formules employées par les clauses étudiées tendent à objectiver l'appréciation du comportement de la partie qui invoque la survenance du « hardship » ; en effet, on vérifiera si véritablement la partie intéressée se trouvait ou non en mesure de parer au changement de circonstances, ou tout au moins aux conséquences de ce changement,
802par référence à la conduite qu'aurait eue en pareil cas un opérateur prudent et raisonnable. Cette précision est intéressante, et appelle un rapprochement avec la formule de plus en plus couramment employée, dans les contrats internationaux concernant les opérations de production principalement, dans les clauses. relatives aux causes d'exonération : la plupart du temps, l'événement exonératoire s'y trouve également défini comme celui qui est en dehors du contrôle raisonnable des parties14. L'emploi de standards identiques, que révèle la comparaison des clauses d'exonération et de « hardship », s'explique certainement par la vocation souvent très proche que poursuivent ces deux types de clauses, qui consiste dans l'adaptation du contrat à une situation nouvelle ; si, comme on l'a très justement noté15, la notion de « raisonnable » ne possède sans doute pas une signification juridique aussi précise que celles d'« imprévisibilité ou d'« irrésistibilité », en revanche seule cette notion parait susceptible d'une appréciation économique : tel événement pourrait ne pas être considéré comme irrésistible selon les critères traditionnels, tout en paralysant pourtant, en fait, l'exécution d'un contrat par le déséquilibre qu'il cause ; la notion de raisonnable permet au contraire une évaluation plus exacte de ce que l'on peut demander à un contractant par un calcul comparé des charges et des profits (Cf. Contrat Ekofisk).
9. - a) Caractère substantiel. - Envisagé de manière assez large quant à sa cause, le « hardship » doit cependant revêtir une certaine intensité pour justifier le réajustement du contrat : les diverses clauses exigent une modification « substantielle » (contrats Occidental et Ekofisk) ou « importante ». Certes, l'emploi de ces qualificatifs ne coupe pas court à toute difficulté d'interprétation : à partir de quel moment pourra-t-on considérer qu'un « hardship » revêt un caractère substantiel ? Pour répondre à cette question, on est inévitablement conduit à considérer les conséquences du changement apporté au contrat : le caractère substantiel du « hardship » ne s'apprécie pas dans l'absolu, mais relativement, par rapport à l'équilibre contractuel ; il est évident qu'un changement de circonstances important, mais de nul ou de faible effet sur l'économie du contrat (dans la mesure où cela est possible...), n'ouvrirait pas la voie d'un réaménagement du contrat ; seuls un événement ou une modification des données provoquant un bouleversement du contrat seraient de nature à déclencher le mécanisme de la réadaptation :
803il faut que le changement entraîne des résultats fondamentalement différents de ceux qu'avaient envisagés les parties en s'engageant : ce n'est plus le même contrat qui les lie aujourd'hui. Le contrat Ekofisk propose à cet égard un critère d'appréciation de l'importance du « hardship », qui résiderait dans l'excédent des charges financières annuelles par rapport au profit annuel de l'opération de vente de gaz. En outre, un autre élément d'appréciation de l'importance du « hardship » tient au facteur temps ; sans doute, toutes les clauses autorisent le réajustement des prestations pendant toute la durée du contrat du seul fait que cette modification substantielle s'est produite ; on peut toutefois supposer que, dans l'intention commune des parties, cette réadaptation ne doit tout de même pas intervenir à tout moment et que seule une grave raison pourrait l'imposer ; le contrat Ekofisk possède à ce titre une valeur indicative, qui exclut le jeu de la clause de « hardship » avant l'expiration de la cinquième année suivant la conclusion du contrat et qui, pour la suite du contrat, n'en admet le fonctionnement qu'à raison d'une fois tous les deux ans.
10. - b) Caractère inéquitable. - La référence à l'équité, constante dans les clauses de « hardship », introduit un élément de justice dans le mécanisme de réadaptation du contrat, que la seule impossibilité d'exécution due à un changement de données techniques, économiques ou autres ne saurait suffire à mettre en mouvement : il ne faut pas faire supporter à l'une des parties une rigueur injuste.
- « ... l'une des parties aurait à subir des rigueurs que l'on ne pourrait pas équitablement lui demander de supporter ; ... les parties se mettraient d'accord pour adapter les conditions du présent contrat à la nouvelle situation d'une façon équitable pour les deux contractants » (contrats Ozo).
- « ... in order to restore the equitable character of this agreement » (contrat Occidental).
- « ... adjustment ... is justified in the circumstances in fairness to the parties to alleviate said consequences... » (contrat Ekofisk).
Cette nécessité de rétablissement d'une équité disparue du fait de circonstances nouvelles paraît même parfois au premier plan des préoccupations des parties, comme en atteste la place de cette notion dans la clause de « hardship » ; c'est ainsi que la clause du Contrat Occidental, en énonçant de manière liminaire que « buyer and seller are aware of the fact that this agreement is fair and equitable as of the date on which it was entered into », semble bien placer la réadaptation sous le signe de cette exigence.
11. - L'appel au concept d'équité paraît tout de même curieux, en ce qu'il donne une coloration morale à une appréciation reposant par ailleurs sur un critère beaucoup plus neutre et objectif, tant à propos de l'origine du « hardship » que de son importance. L'équité est une notion
804vague, difficile à apprécier en termes économiques, dangereuse même par l'insécurité qu'elle crée. La combinaison de ces deux critères n'en paraît donc que plus étonnante (notons d'ailleurs que le contrat Ekofisk ne fait qu'une brève allusion à l'équité et insiste surtout sur les éléments économiques).
Il est intéressant, à ce propos, de rapprocher la notion de « hardship », telle qu'elle est caractérisée dans les clauses étudiées, de celle d'impossibilité d'exécution du droit anglais, qui s'exprime dans le concept de « frustration of the contract », car ce dernier, pourtant assez voisin, paraît obéir à une appréciation purement objective, d'où tout appel à l'équité semble exclu. En effet, selon une analyse très autorisée16, « le critérium de base, pour décider s'il y a ou s'il n'y a pas "frustration", est pour les juges anglais le suivant : le contrat, tel qu'il se présente et pourrait être exécuté à la suite du changement intervenu dans les circonstances, est-il encore, envisagé par un homme raisonnable, le même contrat que celui dans lequel les parties se sont engagées ? La doctrine de la "frustration of the contract" ne veut pas se présenter comme une doctrine d'équité ; il ne s'agit pas de porter secours à une partie, que les circonstances ont mise dans l'embarras et risquent de conduire à la ruine. Il faut que, objectivement, le changement intervenu affecte la signification économique même du contrat, lequel se présente désormais comme différent de celui que les parties ont conclu ».
On retrouve dans cette analyse la parenté déjà signalée à propos des clauses concernant les causes d'exonération : l'impossibilité d'exécution tend à être caractérisée dans les mêmes termes, qu'elle conduise à l'exonération d'un contractant ou à l'adaptation du contrat. Mais peut-être l'emploi dans les clauses de « hardship » de notions aussi antinomiques que celles d'imprévisibilité, de contrôle raisonnable et d'équité s'explique-t-il par une interférence d'inspirations anglo-saxonnes et continentales dans la rédaction des contrats. II reste que la dominante du critère réside certainement dans une appréciation de caractère économique, comme paraît le confirmer le contrat Ekofisk, le plus récent et le plus élaboré.
12. - L'existence du « hardship » susceptible de conduire à une réadaptation du contrat suppose toujours, eu égard aux éléments qui caractérisent ce critère, une appréciation qualitative, et c'est seulement si le « hardship » obéit aux spécifications requises qu'il y aura lieu de
805procéder à un réajustement des prestations. Dès lors, il importe de déterminer les modalités aux termes desquelles le « hardship » sera considéré comme acquis et justifiera le passage à la phase suivante.
En général, les clauses de « hardship » prévoient que la partie qui estime réunies les conditions de la réadaptation doit aviser son co-contractant de la survenance de l'événement à l'origine du changement allégué ainsi que de l'étendue de la rigueur subie et des moyens proposés pour y remédier ; l'autre partie doit alors faire connaître sa position dans un bref délai.
Plusieurs situations peuvent alors se présenter : la partie destinataire de la notification peut accepter la proposition ou bien solliciter une rencontre avec son partenaire afin d'en débattre (dans le contrat Ekofisk, c'est même dès l'avis initial que la rencontre doit être organisée) ; elle peut aussi refuser de se concerter avec l'autre partie, soit de manière formelle, soit en s'abstenant de répondre à son avis.
13. - Le désaccord entre les parties peut donc se manifester à des niveaux différents : il peut intervenir soit lors de la phase de négociation sur l'objet du réajustement, soit même initialement à propos de l'existence des conditions de la réadaptation.
Le contrat Ekofisk paraît lier les deux choses, car il envisage globalement et les conditions et le réajustement lui-même. Le contrat Occidental prévoit au contraire une procédure permettant de vider le différend se manifestant sur les conditions mêmes de la révision, et notamment sur le « hardship » allégué ; dans ce cas, en effet, la partie qui se prévaut du changement de circonstances a le droit de saisir de ce désaccord l'arbitre, dont une autre clause du contrat prévoit au demeurant l'intervention pour tout différend se rapportant au contrat ; l'arbitre a alors pour mission de déterminer si la rigueur invoquée répond ou non aux exigences formulées par la clause de « hardship » ; si l'arbitre estime que les conditions ne sont pas remplies, le contrat reste en vigueur et développe tous ses effets ; dans le cas contraire, il convient alors de passer à la phase de négociation. De même, à propos des contrats Ozo déjà cités, un arbitre avait été chargé de dire si l'acheteur, au vu de nouveaux contrats plus avantageux conclus par son vendeur avec d'autres acheteurs, était fondé à invoquer l'application de la clause permettant l'adaptation du contrat aux situations nouvelles17.
On a souligné18 que la mission impartie à l'arbitre en ces circonstances différait sensiblement de la fonction juridictionnelle classique. Nous retrouverons cette idée en analysant le mécanisme de la réadaptation proprement dit, qui illustrera encore le rôle très important souvent assigné aux arbitres dans l'exécution des contrats internationaux.
80614. - L'originalité de la clause de « hardship » tient essentiellement à ce qu'elle exclut tout automatisme, à la différence des clauses de maintien de la valeur. A cet égard, elle est beaucoup plus proche de la clause de révision que de la clause d'indexation19. Mais, précisément, la souplesse du mécanisme de réadaptation, les différentes phases qu'il suppose, la complexité de ses modalités, font naître un certain nombre d'interrogations, auxquelles nous tenterons d'apporter une réponse au fur et à mesure qu'elles se poseront dans le déroulement du processus de réajustement, en envisageant d'abord la situation des parties au seuil de la réadaptation, puis les modalités de cette dernière, et enfin l'issue des opérations.
15. - Lorsque les conditions de la réadaptation du contrat sont réunies, soit que les parties en soient tombées d'accord, soit que l'arbitre en ait décidé ainsi, les parties se trouvent alors dans la situation juridique suivante :
a) Une obligation de procéder à une négociation en vue de modifier les prestations qui leur incombent pèse indiscutablement sur elles. Cette obligation prend sa source soit dans l'accord des parties, soit dans une décision ayant valeur d'acte juridictionnel, et son inexécution par l'une des parties ouvrirait sans aucun doute la voie à une condamnation à dommages-intérêts au profit de l'autre partie, l'exécution ; forcée en nature paraissant inconcevable tout autant qu'une réadaptation opérée d'autorité par le juge en dehors de la volonté des parties.
Faut-il aller plus loin et considérer que les parties ont l'obligation, non seulement de se prêter à une renégociation du contrat, mais encore d'aboutir à un accord sur la réadaptation ? Il paraît difficile de mettre à leur charge une obligation de parvenir à un tel résultat, car, dans la situation nouvelle provoquée par la survenance du « hardship », un désaccord sur l'aménagement du contrat persistant après une renégociation menée loyalement reste une éventualité possible, sans qu'il puisse être imputé à faute à l'un des partenaires. Toutefois, sans conclure à l'existence d'une stricte obligation d'aboutir à la réadaptation,
807on peut néanmoins estimer que tant les exigences de la bonne foi que l'intention des parties, concrétisée par l'existence même de la clause de « hardship », imposent aux partenaires les obligations respectives de faire une proposition raisonnable et d'accepter une telle proposition, sous peine d'engager leur responsabilité.
Notons cependant que, la plupart du temps, la situation se dénouera rarement selon l'analyse juridique ci-dessus présentée, car les parties sont en général animées d'une volonté commune d'aboutir et de maintenir le contrat.
b) On peut hésiter sur le point de savoir si les parties, du jour de la naissance de cette obligation de négociation, se trouvent toujours engagées dans les liens du contrat initial. Les stipulations contractuelles antérieures perdent-elles toute efficacité du fait de la survenance de ce «hardship » dûment constaté ? Sont-elles frappées de caducité pour ne reprendre leur force qu'à l'issue d'un accord éventuel sur la réadaptation du contrat ?
Cette délicate question du sort du contrat au cours de la période s'écoulant de l'avis ou de la constatation du « hardship » à l'issue de la négociation n'est pas prévue par les clauses étudiées. Certes, ces dernières enferment la négociation dans un délai assez bref, de l'ordre de trois mois : il n'empêche que le problème de l'existence du contrat durant cette phase peut être soulevé, compte tenu de l'importance des intérêts en jeu.
S'il s'agissait d'une simple clause de révision de prix, la seule atteinte du seuil de révisibilité ferait sauter le prix initialement convenu, et la convention serait frappée de caducité pour indétermination du prix et ne reprendrait vigueur qu'avec un nouvel accord sur le prix. Dans le cas de la clause de « hardship », la survenance du « hardship » crée simplement pour les parties une obligation de renégociation en vue d'une réadaptation éventuelle du contrat ; par suite, sauf volonté contraire des parties clairement exprimée, on doit admettre que le contrat continue à développer ses effets au cours de cette période, et on peut trouver un argument en faveur de cette solution dans le fait que les diverses clauses prévoient qu'à défaut d'accord sur la réadaptation les parties (ou seulement celle qui a invoqué le « hardship ») ont le droit, selon certaines modalités, de mettre fin au contrat et de s'en dégager : on doit donc en conclure que tant que cette faculté n'a pas été exercée, le contrat demeure en vigueur et s'impose toujours aux parties ; a fortiori produit-il toujours ses effets lors de la période séparant la survenance du changement de la réalisation de l'adaptation.
16. - En général, les intéressés se voient impartir un délai assez bref pour parvenir à un accord sur l'adaptation du contrat à la situation
808nouvelle : deux mois (contrat Ekofisk) ou trois mois (contrat Occidental).
En principe, ce sont les parties elles-mêmes qui devront se rencontrer et négocier les modifications à apporter au contrat, et c'est cette modalité que prévoient les contrats étudiés. Ceci étant, rien n'interdirait aux parties, en droit français, de s'en remettre à la décision d'un tiers (expert, juge ou arbitre) pour cette adaptation du contrat, par exemple pour la fixation d'un nouveau prix (art. 1592, al. 2, C. civ.) ; mais encore faudrait-il que les parties chargent expressément un tiers d'une telle mission ; à défaut de disposition formelle, le juge ne pourrait, de lui-même ou à la requête d'une seule des parties, se substituer à ces dernières et modifier le contrat ; pas davantage, il ne saurait, en l'absence de consentement des parties, désigner un expert à cette fin ; de la même manière, la seule insertion dans un contrat d'une clause compromissoire ne saurait être assimilée à la désignation d'un expert chargé de fixer un nouveau prix.
17. - La clause de « hardship » du contrat Ekofisk prévoit expressément qu'au cas où les parties ne pourraient se mettre d'accord sur le réajustement des prestations, l'un et (ou) l'autre des vendeurs ou des acheteurs pourrait alors recourir à l'arbitrage, organisé en conformité de la clause compromissoire contenue également dans le contrat, et demander aux arbitres de déterminer les nouvelles conditions du contrat.
Un délicat problème surgit alors, concernant la nature et la portée de la décision qui sera prise. Il est en effet permis de se demander si la convention chargeant un tiers de remodeler un contrat relève bien de l'arbitrage ou bien doit être considérée comme étrangère à la matière. L'intérêt pratique de la distinction est bien connu et concerne principalement l'efficacité de la décision prise par le tiers : si la convention en question relève de l'arbitrage, la décision du tiers est une sentence arbitrale, dont l'exécution sera seulement subordonnée à l'obtention' de l'exequatur ; dans le cas contraire, la décision n'est pas un acte juridictionnel : elle s'incorpore purement et simplement à la convention, et ne s'impose aux parties qu'au titre de l'effet obligatoire du contrat, si bien que, à défaut d'exécution volontaire, elle ne pourra être exécutée que comme la convention elle-même par les voies judiciaires habituelles.
On sait que la jurisprudence française fait de l'existence d'un litige préalable à la décision d'un tiers le critère de l'arbitrage20, qui per-
809mettrait ainsi de distinguer l'arbitre, au plein sens du terme, du tiers dont le concours est requis pour parfaire un contrat, les parties ayant préféré s'en remettre à son appréciation ; et il n'y a pas à tenir compte de la qualification donnée par les parties à l'opération par laquelle elles investissent le tiers : l'emploi du terme arbitrage n'est pas en soi déterminant21. Toutefois tant le critère du litige que celui de l'acte juridictionnel ne sont pas d'utilisation commode, car s'il est relativement facile de déceler l'absence d'arbitrage lorsque le tiers intervient au stade de la formation du contrat pour déterminer l'un de ses éléments, cette opération ne revêtant alors aucun caractère contentieux, il n'en va pas de même lorsque ce même tiers s'acquitte de la même mission à l'occasion de la modification du contrat : à ce stade, le recours à un tiers peut aussi bien être dû à l'indécision des parties ou à leur souci de s'en remettre à un expert qu'à l'existence d'un litige qui les oppose sur les modalités de cette modification : en fonction de quel élément opter alors pour l'une ou l'autre qualification ? Selon une opinion autorisée22, on ne serait pas en présence d'un arbitrage lorsque le recours à un tiers pour opérer la modification du contrat avait été prévu dès la conclusion de ce dernier. La distinction n'en demeure pas moins extrêmement délicate à mettre en œuvre, car elle procède finalement d'une investigation exclusivement psychologique : la qualification dépend du point de savoir si les parties, en recourant à un tiers, entendent réellement coopérer et faire aplanir à l'amiable leurs éventuels désaccords, ou si au contraire elles veulent opposer leurs prétentions et obtenir une décision juridictionnelle suit ces dernières23, et, selon les cas, on aura affaire à un mandataire ou à un arbitre.
Dans le cas du contrat Ekofisk, il paraît d'autant plus difficile de conclure dans un sens ou dans l'autre que la clause de « hardship » mêle, comme nous l'avons vu, la question de l'existence des conditions de la réadaptation et celle de la réadaptation proprement dite : le désaccord des parties autorise l'une d'elles à déférer à un arbitre l'ensemble des deux questions, dont la première, plus que la seconde, semble impliquer un véritable différend ; d'ailleurs, ainsi que nous le verrons plus loin (infra, n° 20), la clause ménage à celle des parties qui n'a pas provoqué le recours à l'arbitrage la possibilité de refuser la décision de l'arbitre, ce qui semblerait indiquer que l'on se trouve en matière contractuelle et non juridictionnelle. Mais si l'on devait estimer que le tiers ainsi saisi du désaccord est un mandataire et non un véritable arbitre, une difficulté supplémentaire ne manquerait pas de surgir au cas où un véritable litige opposerait ultérieurement les parties à propos de l'exécution du contrat : il serait inconcevable que ce tiers, ayant déjà connu à un autre titre de l'application de ce contrat, puisse se prononcer à nouveau en tant qu'arbitre.
81018. - Quelle que soit la qualification retenue, il convient en tout cas de souligner l'évolution très intéressante du rôle joué par les arbitres à l'époque actuelle dans les contrats internationaux relatifs à des opérations de production ou d'approvisionnement ; dans ces contrats de longue durée, mettant en jeu des intérêts considérables, les parties ne souhaitent pas aboutir à une rupture, trop lourde de conséquences pour elles, et s'efforcent au contraire de maintenir le lien contractuel en adaptant leurs prestations aux changements intervenus, ainsi qu'en témoignent tant les clauses de « hardship » que celles relatives aux causes d'exonération : or c'est souvent à un arbitre que les parties assignent pour mission d'aplanir les désaccords s'élevant entre elles en cours d'exécution du contrat ; dans cette tâche, l'arbitre sort sensiblement de sa fonction juridictionnelle classique pour devenir en quelque sorte le régulateur d'une situation contractuelle, chargé de l'adapter aux données nouvelles24. Peut-être assiste-t-on à l'heure présente, à la faveur de ce genre d'opérations, à un retour à sa vocation initiale de l'arbitrage qui, dans les droits de la famille romano-germanique, a été essentiellement une institution du droit des obligations avant de devenir également une institution du droit de la procédure25.
19. - Lorsque les parties ont pu parvenir à un accord, ou que l'arbitre a décidé du réajustement à opérer, le lien contractuel est donc maintenu ; mais est-ce un nouveau contrat qui se greffe sur le précédent ou le même qui continue, quoique à des conditions nouvelles ? Rappelons que le contrat n'a jamais cessé de développer ses effets au cours de la période des négociations (cf. supra, n° 15, b) ; pour l'avenir, il faut considérer que c'est le même contrat qui se poursuit, en l'absence de toute volonté affirmée des parties de procéder à une novation par changement de dette.
Dans l'éventualité où le « hardship » viendrait à diminuer ou à disparaître, certaines clauses (Cf. contrat Ekofisk) prévoient qu'il devra en être tenu compte dans la réadaptation du contrat et qu'éventuellement les anciennes dispositions du contrat retrouveraient toute leur valeur.
81120. - Faute d'accord entre les parties sur les réajustements à apporter au contrat, il faut en principe décider que ce dernier, sauf clause expresse, reste en vigueur dans toutes ses stipulations. Il n'en irait autrement que si le libellé de la clause permettait de penser que le prix de vente est devenu caduc par l'atteinte d'un certain seuil, auquel cas, au regard du droit français, le contrat tout entier, faute d'accord sur un nouveau prix, serait frappé de nullité pour indétermination du prix par application de l'article 1591 du Code civil26 : mais nous avons vu que la clause de « hardship » différait sensiblement des clauses de révision de prix, et il est donc peu probable qu'elle en prenne le visage au point de produire des conséquences identiques.
Mais il est évident que le maintien en vigueur de stipulations contractuelles inchangées malgré la survenance du « hardship » ne correspond guère à l'esprit de la clause et à l'intention des parties : si ces dernières, malgré leur volonté commune d'aboutir, n'ont pu parvenir à un accord, la survie du contrat paraît inconcevable. Aussi bien les contrats étudiés prévoient-ils le moyen de dénouer un tel désaccord :
- le contrat Occidental donne à la partie qui allègue le « hardship » le droit de se dégager de ses liens contractuels si elle n'est pas parvenue à un accord avec son partenaire au terme d'une période de 90 jours ;
- le contrat Ekofisk, comme nous l'avons vu, préfère une procédure plus souple, ménageant une chance supplémentaire de survie du contrat, en permettant aux intéressés de déférer la question à un arbitre, dont la décision s'imposera à eux ; mais la clause réserve à celle (s) des parties qui n'a pas sollicité l'intervention de l'arbitre le droit de ne pas accepter sa décision et de choisir de se dégager du contrat ainsi réadapté : après notification de son refus à ses partenaires, ceux-ci disposeront alors d'un délai pour opter entre soit l'acceptation du retrait de leur co-contractant, soit la continuation du contrat avec leur partenaire, mais sur les bases anciennes.
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21. - L'hétérogénéité du milieu international, l'instabilité du marché des sources d'énergie, les nécessités d'approvisionnement, ont ainsi conduit les opérateurs à forger les instruments de nature à permettre une adaptation de leurs accords aux situations nouvelles. Les difficul-
812tés examinées dans cette étude commandent les améliorations à apporter aux mécanismes mis en place par les clauses de « hardship ». Mais au-delà de la technique et des nécessités économiques, l'observation de la pratique contractuelle internationale ne peut qu'inciter à réviser la typologie contractuelle classique et à systématiser les nouveaux standards juridiques du droit des obligations, souvent assez éloignés des traditions juridiques européennes.
Conclu en 1973 entre un consortium de vendeurs conduit par Phillips Petroleum Cy Norway, agissant comme chef de file mandataite de neuf autres co-vendeurs (dont le Groupe français, composé de E.L.F., C.F.P., Aquitaine), et un consortium d'acheteurs (comprenant notamment Gaz de France).
Section 13-9. - Hardship. When entering into this Agreement the parties contemplate that the effects and/or consequences of this Agreement will not result in economic conditions which are substantial hardship to any of them; provided that they will act in accordance with sound marketing and efficient operating practices. They therefore agree on the following:
a) Substantial hardship shall mean if at any time or from time to time during the term of this Agreement without default of the party concerned there is the occurrence of an intervening event or change of circumstances beyond said party's control when acting as a reasonable and prudent operator such that the consequences and effects of which are fundamentally different from what was contemplated by the parties at the time of entering into this Agreement (such as, without limitation, the economic consequences and effects of a novel economically available source of energy), which consequences and effects place said party in the situation that then and for the foreseeable future all annual cost (including, without limitation, depreciation and interest) associated with or related to the processed gas which is the subject of this Agreement exceed the annual proceeds derived from the sale of said gas. Notwithstanding the effect of other relieving or adjusting provisions of this Agreement the party claiming that it is placed in such position as aforesaid may by notice request the other for a meeting to determine if said occurrence has happened and if so to agree upon what, if any, adjustment in the price then in force under this Agreement and/or other terms and conditions thereof is justified in the circumstances in fairness to the parties to alleviate said consequences and effects of said occurrence. Price control by the Government of the state of the relevant Buyer(s) affecting the price of natural gas in the market shall not be considered to constitute substantial hardship.
b) If the Seller(s) and the Buyer(s) have not agreed a mutually acceptable solution within sixty (60) days after the notice requesting a meeting under the provisions of this Section 13-9, either party may request the matter to be submitted to arbitration in accordance with Section 11-3. The arbitrators shall determine whether the aforesaid occurrence bas happened, and if so what adjustment, if any, in the said price or in the other terms and conditions should be made for the purposes of paragraph (a) having due regard for the interests of the other party, and any revised prices or other conditions so determined by said arbitrators shall take effect on the date when notice of arbitration was first given unless the arbitrators decide a later date. Not-
813withstanding the foregoing any of the Sellers or any of the Buyers concerned in the arbitration who did not request arbitration may, not later than sixty (60) days from the date arbitration award is issued, give notice of termination of its portion of the Agreement the termination to be effective either at the end of the next succeeding Contract Year or at the end of the second succeeding Contract Year, which termination date shall be stated in said notice. The other party shall have sixty (60) days from the date or receipt of said notice of determination to elect by notice to the party giving notice of termination whether to accept said termination or to continue the Agreement under the terms and conditions prevailing prior to said award as though such award had never been made; provided that if said party elects to accept termination of the Agreement it may nevertheless elect in said notice to change the termination date to a day at the end of a month not less than one year nor more than two years from the date the said notice of termination was given by the other party. If the Agreement is to be terminated then it shall continue in force in accordance with the terms and conditions hereof as if there had been no award until the date of termination; provided that(i) if Seller(s) are the cancelling party then the said termination shall be limited to said Seller(s)' percentage interest share hereunder and shall only apply with respect to the share of the Economically Recoverable Reserves and the Daily Contract Quantity committed to the Buyer(s) claiming relief under this clause and (ii) if the Buyer(s) are the cancelling party then the said termination shah apply with respect to the share of the Economically Recoverable Reserves and the Daily Contract Quantity committed to the Buyer(s) cancelling the Agreement.
c) This Section 13-9 may not be invoked by any Seller(s) or any Buyer(s) prior to the First day of October, 1978 and no more often than once every two (2) years. This Section 13-9 shall be applied to each of the Buyers separately without prejudice to the position of the other Buyer(s) and to each of the Sellers separately without prejudice to the position of the other Seller(s).
d) To the extent that any occurrence of hardship as determined under this Section 13-9 shall have decreased or ended then any revision of prices or other conditions pursuant to an arbitration award shall likewise be changed or ended and the terms and conditions of the Agreement (if not already terminated pursuant to paragraph b) hereof) shall be restored to take account of the said decrease or ending of the occurrence of hardship. Where an alteration has been made to the terms of this Agreement pursuant to a claim for substantial hardship made by any of the parties under this Section 13-9, then such party(ies) as invoked this Section 13-9 shall not thereafter be entitled to sell or to purchase (as the case may be) any subsequent increase in quantities of processed gas pursuant to Section 2-3 hereof.
Conclu en 1970 entre la Société Occidentale Crude Sales, vendeur, et la Société Commerciale auxiliaire des Pétroles, acheteur.
Section XIII - Hardship.
13-1. Buyer and Seller are aware of the fact that this Agreement is fair and equitable as of the date on which it was entered into.
13-2. In the event that during the period of this Agreement, the general situation and/or the data on which this Agreement is based are substantially changed so that either -party suffers severe and unforeseeable hardship, they shall consult and show mutual understanding with a view to making such adjustments as would appear to be necessary and such revisions as would be justified by circumstances which could not reasonably be foreseen, as of the date on which this Agree-
814ment was entered into, in order to restore the equitable character of this Agreement.
13-3. The party who considers that the conditions set forth in Section 13-2 are met, shall give notice thereof to the other party by registered letter, return receipt requested, which will specify the date and nature of the event or events which caused the change alleged by it, an evaluation of the hardship which is or will be suffered and the proposal made by it to remedy that change. Any notice given more than twelve (12) months after the date of occurrence of the event(s) which caused the change alleged by the party giving the notice shall be of no effect.
13-4. Within thirty (30) days from the date of receipt of the notice, the other party shall:
(a) agree to the proposal contained in the notice; or
(b) advise the party giving the notice that it recognizes that a consultation between the parties is necessary but wishes to discuss the manner in which the hardship suffered by the party giving the notice should be remedied; or
(c) advise the party giving the notice that, in its opinion, the conditions of Section 13-2 are not met and that consequently a consultation between the parties is not required.
13-5. In the event that the parties agree to a consultation, they shall, within ninety (90) days from the date of receipt of the notice by the other party, pursue the objectives set forth in Section 13-2.
13-6. In the event that the parties cannot reach an agreement within that period of ninety (90) days, the party giving the notice shall have the right to terminate this Agreement by notice given to the other party by registered letter, return receipt requested, mailed within a period of fifteen (15) days following the expiration of the period of ninety (90) days set forth above, in which event this Agreement shall terminate ninety (90) days after the date of receipt by the other party of the notice of termination.
13-7. In the event that the party receiving the notice referred to in Section 13-3 does not agree to a consultation or does not reply to the party giving the notice within thirty (30) days following the date of receipt of the notice, the party giving the notice shall have the right to refer the matter to arbitration in accordance with the procedure set forth in Section XV of this Part III. The purpose of the arbitration shall be to determine whether the event alleged by the party giving the notice meets the conditions set forth in Section 13-2. If the arbitration determines that these conditions are not met, this Agreement shall continue in full force and effect. If the arbitration determines that these conditions are met, the parties shall consult in accordance with the provisions of Section 13-5, it being understood that the period of ninety (90) days provided in that Section 13-5 shall run from the date on which the arbitration award bas been rendered and that the provisions of Section 13-6 shall be applicable.
-full-text-end--full-text-end-1S.-A. Silard, « Clauses de maintien de la valeur dans les transactions internationales » : Clunet 1972, 214.
2Sur l'ensemble de la question, V. Les euro-obligations (Librairies Techniques, Paris, 1972), tout particulièrement p. 97 s. (Rapports de MM. Eck, Lee, man, Cosserat, Treves).
3S.-A. Silard, loc. cit., p. 247.
4Sur J'ensemble de la question, V. l'excellente thèse de J.-L. Bismuth, Etude des problèmes monétaires dans les contrats privés internationaux, Thèse (dactyl.), Paris, 1973.
5D'après une enquête menée en Belgique par l'Université catholique de Louvain sur la fréquence de certaines clauses dans la pratique contractuelle, 90 % des entreprises interrogées reconnaissent qu'elles prennent soin de prévoir de semblables clauses ans les contrats conclus avec des partenaires étrangers ou dans ceux à exécuter à l'étranger (cf. Le contrat économique international, VIIes Journées d'Etudes Juridiques Jean Dabin, Louvain-la-Neuve, 22-23 novembre 1973, Fasc. 3).
6V. Ph. Kahn et collaborateurs, à propos de la vente internationale de gaz, in Les hydrocarbures gazeux et le développement des pays producteurs (Litec, 1974), p. 271, 275 s.
7Il convient cependant de souligner que, à l'heure actuelle, cette clause ne paraît figurer que dans les contrats liant des opérateurs appartenant à des pays industrialisés (sur l'explication possible de l'absence de ce type de clause dans les contrats conclus avec des pays en voie de développement, V. Ph. Kahn, loc. cit., p. 271).
8C'est ainsi que, dans les euro-crédits (qui tendent de plus en plus à remplacer les euro-émissions comme modal té d'emprunt sur le marché international des capitaux), les banques cherchent désormais à se protéger contre le risque de non-disponibilité du marché bien plus par des clauses de renégociation du taux d'intérêt que par des clauses de changement de monnaie. - V. J. du Pré de Saint-Maur, « Les euro-crédits financiers » : Banque 1974, 667 s., spéc. 674.
9On ne saurait manquer d'évoquer à ce propos la fameuse clause « rebus sic stantibus » selon laquelle un changement essentiel dans les circonstances en considération desquelles un traité a été conclu serait susceptible de provoquer soit la caducité de ce traité, soit sa réadaptation aux nouvelles données, selon la conception que l'on adopte du mécanisme de cette clause. - V. Ch. Rousseau, Droit international public, Sirey, 1971, t. I, nos 201 s.
10En droit du travail, on peut observer le développement récent dans la pratique des conventions collectives de clauses d'indexation des salaires prévoyant, non pas un ajustement automatique des salaires à la hausse des prix, mais une reprise des négociations sur le montant salarial, généralement subordonnée à l'atteinte d'un seuil par l'indice des prix (sur les différents types de clauses, cf. B. Méry, « La pratique de l'indexation dans les conventions Collectives» : Droit social 1973, 354 s., spéc. 360 s.).
11G. Lyon-Caen, « Du rôle des principes généraux du droit civil en droit du travail » : Rev. trim. dr. civ. 1974, 229 s., spéc., p. 241 no 16.
12G. Ripert, « Les règles du droit civil applicables aux rapports internationaux » : Cours La Haye 1933, t. 44, p. 569 s.G. Ripert, « Les règles du droit civil applicables aux rapports internationaux » : Cours La Haye 1933, t. 44, p. 569 s. , spéc, no 35, p. 606 (l'auteur parvenait à cette conclusion au terme d'une recherche s'efforçant de préciser le contenu d'un ordre juridique commun correspondant aux principes généraux du droit visés par le statut de la Cour permanente de justice internationale).
13La thèse de la mutabilité essentielle du contrat a même été soutenue lorsque le contrat unit un Etat à une personne privée (V. Cohen-Jonathan, Les concessions en droit international public, Thèse, dactyl., Paris, 1966). Selon une opinion plus nuancée, si la transposition des solutions les plus rigides du droit civil au droit international des contrats paraît impossible, en revanche les techniques du droit administratif français pourraient apporter des réponses utiles dans notre matière, notamment pour aménager le principe de la force obligatoire du contrat (cf. P. Weil, « Un nouveau champ d'influence pour le droit administratif français : le droit international des contrats » : Etudes et Documents 1970, 13 s., spéc. 24-25).
14On ne saurait d'ailleurs manquer de relever que, dans ce même contrat Ekofisk, la force majeure y est définie exactement dans les mêmes termes que le changement générateur de « hardship ». Cf. art. 12, sect. 12-2: « The expression "force majeure" shall mean circumstances which mere beyond the control of the party concerned exercising the standard of care of a reasonable and prudent operator ».
15Ph. Kahn et collaborateurs, loc. cit., p. 274.
16René David, Les contrats en droit anglais, L.G.D.J., 1973, no 410, et les autorités citées.
17Cf. Paris 13 janvier 1971, loc. cit. (motifs).
18Fouchard, note préc.
19G. Cornu, obs. Rev. trim. dr. civ. 1966, 312: ... « La distinction est nette. Mécanisme complet, autonome, la clause d'indexation remplace positivement, par un nouveau prix certain, le prix que la variation de l'indice rend caduc. Elle procède automatiquement, sans intervention des parties ou du juge. Son escalade va, par bonds, d'un point déterminé de l'échelle à un autre. Dispositif de sécurité, la clause de révision ne produit, de plein droit, qu'un effet négatif. Elle fait sauter le prix convenu, lorsque la variation de l'indice a atteint le point de révisibilité, mais elle n'a pas d'effet déterminateur automatique. Elle ouvre de nouvelles négociations entre les parties, à moins que celles-ci n'aient eu la précaution de prévoir d'autres modes de détermination... ».
20P. Level : J.-Cl. proc. civ., art. 1003-1028, Fasc. III, no 70, et la jurisprudence citée. Cpr. : Henri Motulsky, Ecrits, t. II, Notes et Etudes sur l'arbitrage (Dalloz, 1974, Préface B. Goldman et Ph. Fouchard), p. 47 : l'éminent processualiste préférait au critère du litige celui de l'acte juridictionnel et estimait que la fixation d'un prix par un tiers ne constituait pas, en principe, un acte juridictionnel, dans la mesure où les parties invitent le tiers, non pas à apprécier le bien-fondé de deux prétentions antagonistes et à opter pour l'une d'elles, mais « à procéder à une fixation, donc à un acte exclusivement créateur ».
21P. Level, loc. cit., no 72.
22P. Level, loc. cit., no 77, et la jurisprudence citée.
23H. Motulsky, op. cit., p. 24, in fine.
24Ce sujet a été abordé par quelques intervenants au IVe Congrès international de l'Arbitrage (Moscou, 3-6 octobre 1972), qui s'est tenu sur le thème « Arbitrage et coopération internationale en vue du développement industriel, scientifique et technique » ; certains même (E. Bagliano et G. d'Amely Melodie, « Une nouvelle image de l'arbitrage », in Recueil des matériaux du IVe Congrès, p. 246 s.) n'ont pas hésité â prôner une fonction arbitrale « collaborative » ou « coparticipante » qui, intégrée dans le processus même de formation du contrat, serait ainsi à même de prévenir toutes les difficultés d'exécution.
25Sur ce point, V. René David, « L'arbitrage commercial international en droit comparé » : Cours de Droit Privé comparé de Doctorat, Faculté de Droit de Paris 1968-69 (Cours de Droit polyc.), p. 131.
26On sait que la jurisprudence maintient fermement cette règle de la vente et a eu l'occasion d'en faire application récemment aux clauses d'exclusivité d'approvisionnement des contrats conclus entre pompistes de marque et compagnies pétrolières, en exigeant la stipulation d'un prix déterminé ou déterminable en dehors de toute expression nouvelle de la volonté des parties (Cf. Cass. com. 27 avril 1971, 3 arrêts: J.C.P. 72, II, 16975, note Boré).