Dans cette affaire, le Tribunal arbitral siégeant à Genève, était saisi d'une demande introduite par une société européenne à l'encontre de deux personnes morales X USA et X Egypte, ainsi que contre une personne physique M. Z, président de X USA.
La demanderesse alléguait en effet que, désignée en qualité de sous-traitant par le maître de l'ouvrage, elle avait en juin 1983 conclu avec X Egypte - qui s'était présentée comme filiale en cours de constitution en Egypte d'une société X USA représentée par son Président M. Z - deux contrats de sous-traitance pour respectivement la fourniture de biens et la réalisation de divers travaux dans une usine en construction située dans la banlieue du Caire. M. Z avait signé les deux contrats pour le compte de X Egypte.
Au[x] termes des contrats, X Egypte, à qui incombait en qualité d'entrepreneur général un rôle de coordination technique et administrative, devait réaliser les travaux de génie civil et le gros œuvre, et fournir à la demanderesse des installations lui permettant d'exécuter ses propres obligations.
La demanderesse affirmait avoir rencontré de graves difficultés, X Egypte n'exécutant pas les obligations auxquelles elle s'était engagée. Cette situation aurait alors conduit le maître de l'ouvrage à expulser X Egypte du site et à confier à la demanderesse la responsabilité directe du marché.
X Egypte ayant en particulier tenté d'appeler plusieurs garanties à première demande relatives les unes à la restitution de l'acompte à la commande et les autres à la bonne fin des travaux qui lui avaient été fournies par la demanderesse, celle-ci demandait au Tribunal arbitral, entre autres, de constater la résiliation des contrats et de prononcer la caducité des lettres de garantie.
Les deux contrats précisent qu'ils sont expressément soumis au droit égyptien, les arbitres ayant les pouvoirs d'amiable compositeur.
Dans le cadre de la procédure arbitrale, l'ensemble des défenderesses avaient désigné conjointement un arbitre. Ce n'est que par la suite - alors que X Egypte admettait seule être liée par la clause compromissoire - que X USA et M. Z ont en particulier soulevé une exception d'incompétence au motif qu'ils ne sont pas soumis à la procédure d'arbitrage.
[...]
Ayant décidé d'englober les activités de la succursale X Egypte dans les activités de la société X USA (qui sera dorénavant identifiée dans les extraits de la sentence sous la lettre X) il restait encore au Tribunal arbitral à se prononcer sur l'éventuelle opposabilité de la clause d'arbitrage à M. Z qui était attrait à la procédure d'arbitrage ès qualité de Président de X :
« La clause compromissoire qui établit la compétence du Tribunal arbitral est contenue dans les contrats du 21 juin 1983. La demanderesse entend étendre la portée de cette clause à M. Z, troisième défendeur. Elle veut, de ce fait, percer ou lever le voile social...
Translation Le Tribunal arbitral n'examinera pas cette délicate question à la lumière du seul droit applicable au fond du litige, le droit égyptien (voir l'arrêt Isover Saint-Gobain v. Dow Chemical France et autres, CA Paris 21 oct. 1983 : Rev. arb., 1984, 98). L'article 13, paragraphe 5 du Règlement d'arbitrage de la CCI invite le Tribunal à tenir compte des usages du commerce et des textes contractuels. Dans cette perspective, le Tribunal est en droit de se référer à la lex mercatoria. L'autonomie de la clause d'arbitrage, largement reconnue aujourd'hui, justifie cette référence à une règle non étatique déduite des seuls usages du commerce international. En particulier, il se justifie de dissocier le fond du contrat de la validité et la portée de la clause d'arbitrage Ce sera donc en vertu de la notion générale de la bonne foi en affaires, et des usages du commerce international que le Tribunal arbitral se prononcera. Cela étant, il est intéressant de constater que les divers droits nationaux concernés par la présente cause conduisent à un résultat similaire. Il s'agit du droit américain, comme droit d'incorporation de la société X, du droit suisse, du lieu du siège du tribunal et du droit égyptien applicable au fond du litige.
Le problème posé par la levée du voile social n'est pas tout à fait récent, mais il a pris de l'importance notamment en raison du grand développement du droit des groupes de sociétés dès les années 1950.
Aux Etats-Unis, lieu d'incorporation de la défenderesse X et lieu de domicile de M. Z, le principe est, comme en droit continental, celui de la responsabilité de la société sur ses propres biens, à l'exclusion de celles de ses actionnaires (voir Rudolf Tschäni, Amerikanische Lehren für schweizerisches Konzernrecht ? in La Société anonyme suisse, 1980, p. 65 s.). En règle générale, ce principe n'est pas évincé par le seul fait que le capital d'une société est en main d'une autre et que les " officers " ou " directors " sont les mêmes pour la société mère et pour la société fille. Cependant, il est permis de s'éloigner de cette règle dans des circonstances particulières. C'est le cas lorsque la société fille est un " mere instrument " de la société mère, c'est-à-dire que l'une des parties est en réalité un simple représentant ou un simple instrument dans les mains de l'autre... La théorie de la levée du voile social... se justifie toutes les fois que le principe de la responsabilité limitée permet de conduire à des situations totalement injustes.
En droit suisse, lieu du siège du Tribunal d'arbitral, la doctrine et la jurisprudence se sont également prononcées sur la question de la levée du voile social (E. Homburger, Zum Durchgriff im schweizerischen Gesellschaftsrecht, Revue suisse de jurisprudence, 1951, p. 253 s.). Translation La théorie du " Durchgriff " est fondée sur la prohibition de l'abus de droit. Dans cette optique, il faut toujours examiner concrètement si l'institution de la personne morale (et l'indépendance juridique qui s'y attache) est détournée de son but par les personnes qui en ont la maîtrise (ATF 112, II, 1, en matière immobilière par exemple). Il ne faut donc accepter l'exception de la levée du voile social qu'avec une prudente réserve. Il n'est fait abstraction de cette indépendance qu'exceptionnellement, lorsqu'elle est invoquée dolosivement, c'est-à-dire contrairement au principe de la bonne foi...
1024Le droit égyptien ne contredit pas ces règles générales. Il accorde lui aussi une importance décisive au principe de la bonne foi et sanctionne toute attitude abusive de droit (cf. les art. 5 et 148 CCE).
Il faut ajouter que l'essentiel de l'arbitrage est fondé sur le principe consensuel. De même, l'extension de la clause d'arbitrage doit avoir un fondement volontaire. Certes, cette volonté peut être implicite seulement, sinon la discussion sur l'extension n'aurait aucun sens. Cette extension ne doit en revanche pas intervenir au titre de sanction du comportement d'un tiers. Une telle intervention doit être réservée aux tribunaux ordinaires devant lesquels une partie pourra toujours faire valoir l'argument tiré de la levée du voile social.
En résumé, l'appartenance de deux sociétés à un même groupe ou la domination d'un actionnaire ne sont jamais, à elles seules, des raisons suffisantes justifiant de plein droit la levée du voile social. Cependant, lorsqu'une société ou une personne individuelle apparaît comme étant le pivot des rapports contractuels intervenus dans une affaire particulière, il convient d'examiner avec soin si l'indépendance juridique des parties ne doit pas, exceptionnellement, être écartée au profit d'un jugement global. On acceptera une telle exception lorsque apparaît une confusion entretenue par le groupe ou l'actionnaire majoritaire. »
[...]
S'étant déterminé sur sa compétence au regard de chacune des parties défenderesses telles qu'attraites à la procédure, le Tribunal arbitral en abordant le fond se prononce tout d'abord sur la résiliation des contrats conclus entre la demande- 1025 resse et X. Estimant que la dégradation de la situation invoquée par la demanderesse qui a conduit à la décision du maître de l'ouvrage, est due exclusivement à l'attitude fautive de X, le Tribunal aboutit à la conclusion que le contrat entre le maître de l'ouvrage et X est résilié, puis poursuit :
[«...]
La conclusion d'un protocole d'accord suivi de deux contrats entre le maître de l'ouvrage et la demanderesse ne change pas la situation sinon... au bénéfice de X. Translation En effet, la reprise par le maître de l'ouvrage des grandes lignes des contrats X/demanderesse ont permis de diminuer le dommage qu'aurait subi la demanderesse si la poursuite de la réalisation d'ouvrage ne lui avait pas été confiée. Si donc un dommage existe pour la demanderesse, et qu'il n'a pas été supprimé par le nouveau contrat demanderesse/maître de l'ouvrage, X doit en assumer la réparation. »
[...]
Original The arbitral tribunal does not examine this delicate question from the perspective of the applicable law only, i.e. Egyptian law ... Art. 13 (5) of the ICC Arbitration Rules invites the tribunal to take account of the trade usages and the contractual stipulations. From that perspective, the tribunal is allowed to make reference to the lex mercatoria ... the tribunal therefore bases its decision on the general notion of good faith in business and the usages of international trade.
Original The theory of "Durchgriff" (piercing the corporate veil) is grounded on the prohibition of the abuse of rights. From that perspective one always has to examine in a given case whether the institution of the juridic person (and the juridic independence that is attached to it) has been deprived of its very purpose by the persons who are behind that juridic person ... therefore, the exceptional principle of piercing the corporate veil may only be applied with great caution. The independence [of the juridic person from the physical persons behind it] may only be ignored in exceptional cases when this independence is invoked with an intention to cause damages, i.e. in a way that is contrary to the principle of good faith ...
Original In effect, reducing the general framework of the contracts between X and the claimant by the project manager has allowed to reduce the damage which would have arisen to the claimant if the realization of the project would have not been awarded to it.