Un arbitre unique, siégeant à Paris, était saisi d'un litige portant sur les conséquences des difficultés rencontrées par un Etat africain X pour rembourser un crédit fournisseur relatif à la vente de matériel de travaux publics par une société Y incorporée à Barhein. Le crédit était matérialisé par des billets à ordre libellés en Yens.
Ces difficultés apparurent avec la troisième échéance. Seul le billet à ordre représentant les intérêts de cette échéance fut honoré. Ni le billet à ordre portant sur le principal de cette échéance, ni aucun des billets à ordre des échéances suivantes ne devaient être payés.
Par un accord amiable Y et ses débiteurs de l'Etat X s'entendirent pour que les sommes dues à la date de l'accord portent intérêt au taux de 10,5 %, le paiement de ces intérêts devant intervenir, si possible, dans un délai d'un mois. Pour la période intérimaire comprise entre la date de l'accord amiable et de nouvelles négociations, X proposa que le taux d'intérêts soit le prime rate Japon à 6 mois, augmenté d'une marge de 1.7/8 % par an. Y s'engagea à examiner cette proposition.
Aucun nouveau paiement n'étant intervenu, Y en qualité de demanderesse a introduit une action en arbitrage contre ses débiteurs de l'Etat X, y compris l'Etat lui-même, en qualité de défenderesses. Devant l'arbitre les défenderesses ne contestaient pas leurs obligations de payer les sommes dues à Y. Elles invoquaient la situation financière difficile dans laquelle se trouvait la République de X et faisait valoir que ses créanciers étrangers, publics et privés, avaient consenti, respectivement dans le cadre du Club de Paris et du Club de Londres, des rééchelonnements de sa dette et que, tenue de traiter également tous ses créanciers, X avait conduit avec ceux qui n'étaient pas concernés par ces premiers arrangements, d'autres négociations au sein du « Club de Z » (capitale de X). Une telle négociation avait été engagée avec Y, comme en témoignait l'accord amiable, mais Y ne l'aurait pas poursuivie. Les défenderesses en concluaient que Y ne pouvait réclamer par voie d'arbitrage l'intégralité des sommes qui lui étaient dues sans que de réelles négociations, menées de bonne foi, et en accord avec les pratiques internationales reconnues, aient permis de rechercher les bases d'une solution à l'amiable.
L'arbitre commença par déterminer le montant des sommes impayées, et pour ce faire dut se prononcer sur le taux d'intérêt.
Il le fit dans les termes suivants :
« Le principal (c'est-à-dire le montant des billets à ordre impayés), sur la base duquel sont calculés les intérêts de retard, n'est pas contesté. Ne le sont pas davantage les dates à partir desquelles ont couru ces intérêts, et qui correspondent aux dates d'exigibilité des billets à ordre. Et comme enfin Y n'a jamais demandé que ces intérêts moratoires soient capitalisés et produisent eux-mêmes des intérêts avant la sentence, la seule question qui reste discutée est le taux qu'il convient de retenir.
[...]
1048[...]
Dans le cadre d'un arbitrage international, cette détermination n'est pas gouvernée par des règles rigoureuses et précises.
La tendance générale qui se dégage, en doctrine et dans la pratique arbitrale internationale, est de laisser à l'arbitre une grande liberté dans la fixation de ce taux 1049 (V. notamment J. Gillis Wetter, " Interest for an element of damages in the arbitral process ", International Financial Law Review, dec. 1986, p. 20-25 ; S. Boyd, " Interest for the late payment of money ", Arbitration international, july 1985, p. 153 : Sentence [h]ad hoc Liamco c/ Libye, Genève, 12 juillet 1977, Revue de l'arbitrage, 1980.132, spéc. p. 187 et s. ; Sentence CIRDI AGIP c/ Gouvernement de la RP du Congo, 30 novembre 1979, Rev. crit. dr. int. pr., 1982.92, spéc. p. 104, Yearbook Commercial Arbitration, 1983.133, spéc. p. 142 ; Sentence CIRDI Benvenuti et Bonfante c/ Gouvernement de la RP du Congo, 8 août 1980, Yearbook Commercial Arbitration, 1983.144, spéc. p. 151 ; Sentence CCI 17 février 1984, nº 4237, Yearbook Commercial Arbitration, 1985.52, spéc. p. 59 ; Sentence du Tribunal irano-américain, MGCollough & Company, Inc., 22 avril 1986, citée par T. G., Bulletin de l'Association suisse d'arbitrage, 1987.55, spéc. p. 57). Celui-ci n'est pas tenu de se référer au taux légal d'un système juridique national, qu'il s'agisse de celui de la loi contractuelle ou de celui du lieu de l'arbitrage.
En l'espèce, il convient d'ailleurs de constater que les parties n'ont soumis le contrat a aucune loi étatique déterminée, et que l'acte de mission ne précise pas davantage quel est le droit applicable au fond du litige. Bien plus, aucune partie ne sollicite, pour régler cette question, l'application d'un droit national déterminé, ni du taux légal en vigueur soit dans la République de X, soit dans le pays de Y.
Quant au taux légal français, s'il doit naturellement s'appliquer aux sommes qui seront allouées dans la sentence, à partir de celle-ci et jusqu'à leur paiement effectif, il n'a pas de titre particulier pour s'appliquer aux retards contractuels. Il n'est cependant pas inutile d'en rappeler l'évolution : fixé pendant longtemps à 9,50 % (loi du Il juillet 1975), il est descendu à 7,82 % à partir du 15 juillet 1989 (loi du 29 juin 1989, article 12). Pour toute l'année 1990, il est de 9,36 % (décret du 4 janvier 1990).
Translation Comme le relèvent de nombreuses sentences arbitrales, les intérêts moratoires sont alloués pour réparer le dommage résultant du fait que le créancier a été privé, pendant un certain délai, de l'usage et de la disposition de sommes qu'il aurait dû recevoir. Leur taux doit être raisonnable, et fixé en tenant compte de toutes circonstances pertinentes, et notamment de toute stipulation contractuelle significative..., de la nature des faits ayant engendré ce dommage... des taux en vigueur sur le marché de la monnaie concernée et du taux d'inflation de cette monnaie...
Dans la présente affaire, l'arbitre prend d'abord en considération le taux retenu dans le contrat, soit 8,5 %. Certes, ce taux était celui d'un crédit fournisseur d'une durée de 4 ans et demi, matérialisé par des billets à ordre à échéance déterminée... mais il était également stipulé " qu'à défaut de paiement à sa date d'une seule échéance..., le solde du montant contractuel majoré des intérêts accumulés ainsi que des frais et accessoires deviendra immédiatement et de plein droit exigible, si bon semble au vendeur ". Comme aucun autre taux d'intérêt n'était prévu, il est permis de déduire de cette clause qu'à tout le moins les parties n'avaient pas exclu l'éventualité de l'application du même taux de 8,5 % en cas de non-paiement des échéances. Certes, comme il a été dit plus haut, c'est un taux de 10,25 % qui a été ensuite convenu par accord amiable, mais il ne l'a été que jusqu'à la date de l'accord. Pour les retards ultérieurs, un autre taux devait être négocié, les défenderesses proposant le prime rate Japon à 6 mois majoré de 1.7/8 %.
Ce taux de 8,5 % ayant été accepté par les débitrices, l'origine et l'étendue des difficultés financières de l'Etat congolais sont telles que l'aggravation de sa dette en devises par l'augmentation des taux d'intérêt serait à la fois irréaliste et injustifiée...
Enfin, ce taux paraît d'autant plus raisonnable que, si les taux d'intérêts sur le yen se sont progressivement élevés de 1985 à ce jour, ils n'étaient encore que de 4 à 5 % en 1988 et une bonne partie de l'année 1989 (v. l'étude de l'OCDE : Tendances des marchés des capitaux, nº 44, octobre 1989, p. 99, 103). Aujourd'hui, quelle que soit leur durée, les prêts en euro-yens ne dépassent pas 8 %. Enfin, 1050 l'inflation au Japon, nulle en 1987 et 1988, est inférieure à 2 % en 1989, et reste de beaucoup la plus faible de tous les pays industrialisés : en d'autres termes, depuis la défaillance des défenderesses, à la fin de 1985, jusqu'à aujourd'hui, la dépréciation de la monnaie japonaise, en valeur absolue ou relative est - sinon insignifiante - du moins extrêmement modérée : un taux de 8,5 % la dépasse largement, et rémunère de manière raisonnable les capitaux dont la demanderesse a été privée pendant cette période. »
[...]
A) L'obligation de négocier de bonne foi
Translation En présence de la quasi-cessation des paiements extérieurs de l'Etat X, Y était tenue de rechercher de bonne foi, avec sa débitrice publique, les voies et moyens d'un aménagement des échéances de sa créance.
Cette obligation résultait d'abord des termes du contrat, puisque l'article 19 de celui-ci stipulait que " tout désaccord entre les parties concernant l'interprétation du 1051 présent contrat et son exécution sera autant que possible réglé à l'amiable ", et que c'était seulement à défaut d'une telle solution que la contestation sera it soumise à l'arbitrage.
Cette obligation découle en outre des principes généraux du droit du commerce international (V. notamment S. Jarvin, L'obligation de coopérer de bonne foi ; exemples d'application au plan de l'arbitrage international, L'apport de la jurisprudence arbitrale, les dossiers de l'Institut, CCI, publication nº 440/1, 1986, p. 157 ; L. J. Mustill, The New Lex mercatoria : the first twenty-five years, Arbitration international, april 1988, p. 86, spéc. p. 111 ; E. Loquin, La réalité des usages du commerce international, Revue internationale de droit économique, 1989.163, spéc. p. 175 et s.), qui imposent aux parties, lorsque l'exécution du contrat se heurte à de graves difficultés, de se concerter et de coopérer activement pour rechercher les moyens de les surmonter. La grave crise de l'endettement international, qui affecte, depuis le début des années 80, un certain nombre de pays en voie de développement, a engendré, chez leurs créanciers, quelles que soient leur qualité et la nature de leur créance, un tel comportement, et a donné lieu, avec des succès divers, à de nombreuses renégociations et à plusieurs accords de rééchelonnement de leurs dettes.
L'arbitre estime que Y a satisfait à cette obligation de négocier de bonne foi le rééchelonnement de sa créance. En effet, après les nombreuses réclamations présentées à partir du début de 1986, c'est seulement par une lettre du... 1987 que X faisait officiellement état des difficultés financières du pays et ajoutait :
" ... Il est préconisé un rééchelonnement de cette dette pour le Club de Z. Une convocation vous sera adressée le moment venu lorsque la tenue de ce Club aura été décidée par le Ministère des Finances et du Budget. "
C'est en réalité par une négociation de gré à gré entre les défenderesses et Y que l'accord (amiable) fut conclu. X n'effectua pas les paiements promis ; Y ne fit pas connaître son avis sur le taux des intérêts moratoires proposé pour les défaillances à venir, mais ne fut jamais convoqué au sein du " Club de Z " envisagé par les défenderesses.
Après une ultime réclamation en janvier 1988, Y engagea la procédure arbitrale en avril 1988... Tout au long de cette procédure, depuis la préparation de l'acte de mission et jusqu'à l'audience..., soit pendant deux ans, l'arbitre s'efforça de chercher les bases d'un éventuel accord de rééchelonnement. Les deux parties ont effectivement coopéré avec la plus grande bonne foi, dans la recherche d'une transaction. Malheureusement, les propositions qu'elles ont présentées, chacune de leur côté, étaient si éloignées qu'il a fallu prendre acte de l'échec de ces efforts...
[...]
Original It is reflected in numerous arbitral awards that interest for sums in arrears are awarded to compensate for the damage resulting from the fact that the creditor is deprived for a certain period of time of the use of and disposition over the sums to which he is entitled. The interest rate must be reasonable and must be fixed taking into account all relevant circumstances, in particular all relevant contractual stipulations ..., the nature of the facts which have caused the damage ... the interest rates in force on the markets for the relevant currency and the inflation rate of that currency ...
Original A. The duty to negotiate in good faith
In view of the quasi termination of external payments by the State X, Y was under a duty to find in good faith with his public debtor ways and means for a rescheduling of these debts.
This obligation results above all from the terms of the contract ...
This obligation also results from the general principles of international trade law ... which, if the execution of a contract meets with serious difficulties, imposes on the parties a duty to get together and to actively cooperate in finding ways to overcome these problems.