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32 Le droit comparé révèle ainsi que tous les systèmes de droit ont reçu la règle romaine actori incumbit probatio, même si les présomptions légales varient parfois énormément d'un pays à l'autre115. De ce consensus, une grande partie de la doctrine considère, avec des différences de vocabulaire mineures, qu'il s'agit d'une norme appartenant à la lex mercatoria116. L'existence de celle-ci dans l'ar-
bitrage commercial international semble ne faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, même s'il a pu être observé qu'elle n'appartient pas à ce qu'il est convenu d'appeler l'ordre public transnational117.
33 Plusieurs sentences ont d'ailleurs constaté que la règle plaçant le fardeau de la preuve des faits sur celui qui entend en déduire des conséquences de droit appartient à la lex mercatoria.
Déjà, dans une sentence C.C.I. n° 3344 en 1981, un tribunal arbitral avait retenu, par une formule très générale, que « le respect de cette règle de procédure, communément admise dans les diverses législations nationales - selon laquelle chaque partie doit prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit - s'impose aux juges arbitres, sous peine d'arbitraire »118.
De manière plus explicite dans la sentence AAPL rendue sous l'égide du C.I.R.D.I, le 27 juin 1990119, les arbitres ont énoncé plusieurs règles transnationales dans le domaine de la preuve, constatant notamment qu'il « existe un principe général de droit plaçant le fardeau de la preuve à la charge du demandeur (Bin Cheng, General principles of law as Applied by International Courts and Tribunals, Grotius Publications, Cambridge, 1987, p. 327 et les références citées) ».
Mais c'est très certainement d'une sentence C.C.I. n° 6653 en 1993 qu'il ressort le plus clairement que pour les arbitres, la règle qui place le fardeau de la preuve des faits correspondant aux éléments générateurs du droit invoqué sur les épaules de celui qui entend en bénéficier est une règle transnationale120. Le tribunal arbitral a ainsi estimé que l'article 1315 du Code civil français « reprend la règle actori incumbit probatio : c'est à la partie qui allègue un fait d'en rapporter la preuve. Cette règle est également, selon le Tribunal arbitral, constitutive d'un principe du commerce international »121.
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43 Si, ainsi que l'a constaté M. Dominique Bureau, ces décisions peuvent au moins être analysées comme confirmant directement la juridicité des principes généraux du droit, et plus particulièrement du principe de bonne foi139, l'on peut également penser qu'elles consacrent aussi, de manière certes plus indirecte, les solutions positives découlant de ce principe exprimées sous forme de règles : en l'occurrence l'obligation pour la partie qui a commis une faute dans la rupture du contrat d'indemniser son cocontractant, notamment de l'atteinte à la réputation commerciale140, mais aussi la sujétion de la réparation à l'existence d'un dommage.
Comme l'a relevé la Cour suprême d'Autriche, il s'agit là en définitive d'un « principe immanent de droit privé ». Si le fondement de la règle paraît quelque33
peu contestable, puisqu'il procède en réalité d'un renversement de l'ordre des facteurs141, il n'en demeure pas moins que des décisions précitées il peut être conclu que la règle transnationale de l'arbitrage commercial international qui subordonne la réparation à l'exigence de certitude du dommage, ou en d'autres termes, qui fait du dommage un élément générateur de la réparation, est bien une règle de droit.
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54 La jurisprudence arbitrale internationale exclut donc la réparation du dommage éventuel ou hypothétique. Et, il est aujourd'hui établi que ce refus découle de l'application d'une règle transnationale. Il s'agit en effet de celle qui fait du dommage un élément générateur du droit à réparation. Le refus d'indemniser le préjudice hypothétique résulte donc tout simplement de la mise en œuvre de l'exigence de certitude du dommage dans l'arbitrage commercial international.
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79 Conclusion. L'exigence de certitude du dommage constitue une règle transnationale de l'arbitrage commercial international, dont l'on peut penser que la juridicité a déjà été indirectement reconnue par des juridictions étatiques. Sa mise en œuvre par les arbitres est emprunte de souplesse puisque la réparation n'est pas subordonnée à la certitude absolue de l'existence du préjudice. Ainsi, si l'indemnisation du dommage éventuel est exclue, en revanche, le souci de réparer des préjudices dont la réalité est par nature difficile à saisir devrait naturellement conduire les arbitres à tenir compte de dommages dont l'existence est raisonnablement certaine.
Mais pour être réparable dans l'arbitrage commercial international, le dommage ne doit pas seulement être certain. En dehors même des particularités propres aux systèmes juridiques étatiques, lorsqu'est sollicitée l'indemnisation d'un préjudice résultant de l'inexécution d'une obligation contractuelle, il doit aussi avoir été prévisible.
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94 Le consensus des systèmes juridiques, éclairé par des travaux qui expriment des normes largement reçues en matière contractuelle, et la reconnaissance par les États, au travers de conventions internationales, du bien-fondé de la règle limi-51
tant la réparation au dommage contractuel prévisible dans les relations commerciales internationales, expliquent certainement que la jurisprudence arbitrale internationale ait considéré qu'elle constituait une règle transnationale.
95 La règle selon laquelle, le débiteur n'est tenu qu'aux conséquences prévisibles de son inexécution, au moment de la formation du contrat, est régulièrement rappelée par la jurisprudence arbitrale internationale. Pour les arbitres, comme pour la doctrine236, il s'agit d'une règle transnationale. Ce constat n'est d'ailleurs pas récent.
96 Dans une sentence C.C.I. n° 1526 en 1968, le tribunal arbitral a en effet déclaré, en des termes très généraux, qu'il « convient, selon la pratique générale des tribunaux, que confirment certaines lois écrites (par exemple, Code suisse des obligations, art. 42), et selon la doctrine (notamment Encycl. Dalloz Dr. civ., 1952, v° Dommages-intérêts, n° 47-51), de faire une évaluation du dommage en considération du cours ordinaire des choses et de ce qui était prévisible »237. La formule employée, en ce qu'elle fait référence à la pratique arbitrale et au droit comparé, montre bien que l'arbitre unique ne s'est pas appuyé sur un droit étatique particulier mais a entendu attribuer à ses constatations une signification dépassant largement le cadre de l'espèce. La démarche consistant à justifier le bienfondé de la règle de la prévisibilité du dommage contractuel par l'observation d'une convergence des systèmes n'est d'ailleurs pas isolée238.
97 Si la reconnaissance du caractère transnational de la règle peut être implicite, comme dans la sentence C.C.I. n° 3493 en 1983 qui a appliqué l'article 221 du Code civil égyptien limitant la réparation au dommage contractuel prévisible après avoir relevé que ne seraient mises en œuvre que les dispositions de ce droit qui n'étaient pas contraires aux principes du droit international239, elle est par fois explicite.
Dans la première sentence Amco rendue sous l'égide du C.I.R.D.I, le 20 novembre 1984, le tribunal arbitral a relevé en ce sens que « selon les principes et les règles communes aux principaux systèmes juridiques, les dommages-52
intérêts doivent être limités à la réparation du seul dommage direct et prévisible... L'exigence de prévisibilité se retrouve pratiquement partout (art. 1150 C. civ. fr ; en droit anglais Hadley v. Baxendale (1854) 9 Exch 341 ; Anson's Law of Contract, précité, p. 555 ; et en droit international, D.P. O'Connel, International Law, 2e éd., vol. 2, p. 117 s. et la jurisprudence citée note 24) »240. De même, dans la seconde sentence Amco du 31 mai 1990, les arbitres ont constaté que « en droit international... [comme en droit indonésien], le préjudice doit avoir été causé par l'acte fautif et avoir été prévisible »241.
98 Ces sentences méritent d'être approuvées. Le consensus des systèmes juridiques est large en ce domaine, même si demeurent des divergences sur l'objet de la prévisibilité et sur les exceptions à la règle. Ce sont d'ailleurs celles-ci qui, au delà même du principe de l'existence d'une règle transnationale de prévisibilité du dommage contractuel dans l'arbitrage commercial international, rendent délicate la détermination de sa portée.
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122 Dans l'arbitrage commercial international, à côté des spécificités propres aux systèmes juridiques étatiques, seul le dommage qui présente certains caractères peut être réparé. La jurisprudence arbitrale internationale révèle ainsi deux règles transnationales en ce domaine268 : la première subordonne la réparation au caractère certain du dommage ; la seconde limite l'indemnisation au dommage contractuel prévisible. Ces règles transnationales, que l'on retrouve donc dans la majorité des systèmes de droit, présentent des spécificités propres aux relations commerciales internationales. D'abord, l'exigence de certitude du dommage n'est pas appréciée de manière stricte. Elle devrait être analysée à l'aune du standard du raisonnable qui permet de moduler la règle aux circonstances particulières à chaque espèce. Ensuite, eu égard à sa raison d'être, la règle de prévisibilité du dommage ne paraît connaître aucune exception. En contrepartie, son objet ne porte que sur la cause du préjudice et non sur son étendue.
Une fois constaté que tous les préjudices ne sont pas réparables, que le tri est opéré entre ceux qui peuvent être indemnisés et ceux qui ne réunissent pas les conditions requises, il faut alors rechercher quelle est l'étendue de la réparation. Là encore, la jurisprudence arbitrale internationale révèle un principe transnational : celui de l'indemnisation intégrale du dommage réparable.
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146 Conclusion. La jurisprudence arbitrale internationale considère que la réparation a pour fonction de rétablir la partie lésée dans la situation dans laquelle elle eût été en l'absence d'événement dommageable, dans les litiges commerciaux strictement privés comme dans ceux mettant en cause des personnes publiques. C'est de cette fonction particulière de la réparation que l'on tire la raison d'être du principe transnational selon lequel c'est l'intégralité du dommage réparable qui doit être indemnisée.
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158 Eu égard à la position des grandes familles de systèmes en ce domaine et à leur attachement au principe de l'indemnisation intégrale du dommage dans les relations commerciales internationales, l'affirmation par la jurisprudence arbitrale internationale de ce qu'il constitue une norme transnationale paraît parfaitement justifiée, même si l'exigence qu'il renferme n'appartient pas nécessairement à l'ordre public international des États344. Que la norme soit un principe général et non pas une simple règle découle simplement de ce que sa généralité permet de soutenir une large série de solutions positives345.
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223 De l'analyse de droit comparé, il se dégage donc, selon la méthode proposée, que le principe suivant lequel la partie lésée doit minimiser son dommage appartient à la lex mercatoria. Cette constatation est d'ailleurs fréquente dans la jurisprudence arbitrale commerciale internationale.
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227 D'ailleurs, la jurisprudence arbitrale internationale a déjà directement admis que l'obligation de minimiser le dommage constituait l'une des composantes de la lex mercatoria. À cet égard, deux courants jurisprudentiels complémentaires coexistent.
228 Tout d'abord, certaines sentences se fondent exclusivement sur la pratique arbitrale pour reconnaître l'existence de l'obligation.
La sentence C.C.I. n° 3344 en 1981 illustre bien ce courant490. Dans un litige portant sur l'exécution d'un contrat soumis à un droit proche du droit français, le tribunal arbitral a rejeté la demande reconventionnelle de la défenderesse au motif que celle-ci n'avait « apporté aucune preuve du préjudice qu'elle allègue ni a fortiori du fait requis par la jurisprudence arbitrale internationale qu'elle avait pris toute mesure pour limiter son préjudice ». Pour justifier cette obligation, le tribunal arbitral s'est donc uniquement appuyé sur des précédents, ce qui constitue, parmi d'autres, l'un des aspects de la méthode permettant de dégager des principes et règles transnationaux491. Pour assurer la crédibilité de leur constatation, il est regrettable que les arbitres se soient contentés d'une simple affirmation et n'aient pas pris le soin de citer expressément les sentences auxquelles ils se référaient.
La sentence C.C.I. n° 2404 en 1975, qui a motivé la mise en œuvre de l'obligation de minimiser le dommage de manière presque identique, s'expose également à un tel reproche492. Le tribunal arbitral a en effet constaté que « tout tribunal appelé à juger un différend doit "prendre en considération toute possibilité de minimiser le préjudice. En effet, il arrive souvent que la partie lésée tâche de mettre toute la responsabilité du préjudice subi sur son co-contractant, alors qu'il lui aurait de toute évidence été possible de la réduire en agissant sans tarder dès qu'elle avait eu connaissance de la défaillance de celui-ci (Journal du droit international, 1974, 894)"... ». Après avoir clairement affirmé que l'obligation devait toujours être prise en compte dans l'arbitrage, le tribunal arbitral a pris le parti de justifier de son bien-fondé en reproduisant simplement le commentaire doctrinal annexé à la sentence C.C.I. n° 2142 en 1974493. Il aurait été certainement préférable que les arbitres s'emploient à justifier juridiquement le principe posé par une analyse, même sommaire, de précédents.
C'est justement ce à quoi s'est attachée la sentence C.C.I. n° 4761 en 1987494. Le tribunal arbitral, qui a d'abord précisé que le droit libyen serait appliqué à titre principal et les principes généraux du droit à titre subsidiaire, a rappelé les dispositions du droit étatique obligeant la partie lésée à minimiser son dommage et a justifié l'existence d'une telle obligation au sein de la lex mercatoria, citant pour cela six sentences arbitrales internationales l'ayant mise en œuvre.
229 À ce courant jurisprudentiel, s'en ajoute un autre qui, tirant directement les conséquences du consensus des systèmes juridiques, affirme nettement que l'obligation de minimiser le dommage est un principe transnational.
Cette constatation n'apparaît qu'en filigrane dans la sentence C.C.I. n° 2013 en 1972495, dans laquelle, par référence aux « règles et usages généralement admis en matière commerciale et plus spécialement dans les relations commerciales internationales », l'arbitre unique a réduit le montant des dommages-intérêts accordés à la victime de la résiliation fautive d'un contrat, faute pour celle-ci d'avoir tenté de nouer de nouvelles relations pour essayer de compenser le dommage résultant de la rupture. Elle est en revanche très explicite dans la sentence C.C.I. n° 2478 en 1974 où il a été reproché à un acheteur de n'avoir pas accepté l'augmentation de prix proposée par le vendeur qui refusait de livrer au prix convenu et d'avoir ainsi souffert un dommage plus important, au motif « qu'en vertu des principes généraux du droit, qui trouvent d'ailleurs leur reflet dans les articles 42, al. 2 et 44, al. 1 du Code fédéral des obligations, il appartient à la partie lésée de prendre toutes les mesures raisonnables pour ne pas augmenter son dommage »496.
La constatation directe de la réalité de ce principe transnational ressort également de la sentence Amco rendue sous l'égide du C.I.R.D.L le 31 mai 1990497 et de la sentence C.C.I. n° 5514 prononcée en 1990, cette dernière ayant affirmé très clairement que « le devoir d'une partie de minimiser son préjudice est bien établi dans le droit international et dans la plupart des droits internes »498.
230 L'obligation pour la partie lésée de modérer son dommage est donc bien « l'un des principes les mieux établis de la jurisprudence arbitrale »499. Pour pouvoir apprécier correctement la portée de ce principe, duquel les arbitres ont déjà dégagé plusieurs règles précises relatives aux modalités de l'exécution de l'obligation, il faut d'abord déterminer son fondement et son objet dans l'arbitrage commercial international.
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336 La jurisprudence arbitrale internationale révèle que la part du préjudice qui aurait pu être évitée ne peut être réparée. C'est de cette façon qu'est sanctionnée l'obligation de minimiser le dommage (a). S'il est impossible de déterminer avec exactitude les critères permettant d'évaluer, dans chaque hypothèse, le préjudice qui peut être évité par la mise en œuvre de mesures raisonnables, le travail de l'arbitre se trouve considérablement facilité lorsqu'au moment de l'inexécution du contrat, il existait un prix de marché pour la prestation promise. Dans cette situation, l'arbitre peut alors se référer à ce prix pour déterminer le dommage réparable (b).
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477 L'évaluation de la perte née de l'expropriation d'une entreprise selon sa valeur résultant d'une actualisation de ses flux futurs de liquidités est couramment pratiquée par les arbitres.
Déjà dans la sentence Aminoil rendue le 24 mars 1982, le tribunal arbitral avait admis qu'elle puisse être utilisée889. Après avoir constaté que le demandeur calculait son indemnité en s'appuyant sur deux méthodes d'évaluation différentes, dont l'une était « basée sur la somme des profits anticipés, calculés jusqu'à la fin naturelle de la concession, mais avec déduction d'un taux annuel d'intérêt, afin d'exprimer cette somme en terme de sa "valeur actuelle" au jour où l'indemnité est due, sans tenir compte de la valeur des avoirs qui auraient été transférés à l'autorité concédante sans indemnité, lors de l'expropriation du contrat », les arbitres avaient en effet relevé « que les deux méthodes suggérées par [la demanderesse] sont acceptables ». Le tribunal arbitral avait cependant refusé de les employer au motif qu'il ne pouvait « accepter les calculs quant à l'avenir de l'industrie pétrolière fondés sur les expertises que la Société a invoqué », précisant toutefois que s'il ne les acceptait pas, « ce n'est pas parce qu'elles contiennent des éléments spéculatifs, puisque toute méthode d'évaluation quelle qu'elle soit en contiendra. C'est parce que le Tribunal estime que dans le présent cas, ainsi qu'il le sera démontré plus tard, les Parties ont adopté une conception différente au cours de leurs relations et de leurs négociations, à savoir celle du taux raisonnable de profit. C'est donc ce principe qui doit guider le Tribunal ».
478 Deux des trois chambres composant le Tribunal chargé de statuer sur le règlement des différends irano-américains ont aussi reconnu l'intérêt qu'il y avait à évaluer une entreprise en actualisant ses flux futurs de liquidités.
Dans la sentence Starrett rendue par la Chambre une du Tribunal le 14 août 1987, les arbitres avaient désigné un expert pour évaluer l'indemnité qui devait être versée au propriétaire exproprié et l'avait autorisé à procéder à l'exécution de sa mission en actualisant les flux futurs de liquidités de l'entreprise890. L'expert a déterminé la valeur de marché de celle-ci en appliquant cette méthode. Après avoir relevé qu'aucune des parties n'était opposée à l'analyse adoptée par l'expert, qu'il a estimée « logique et appropriée », le tribunal arbitral, en désaccord avec certains des éléments retenus par ce dernier dans son calcul, a réduit l'évaluation proposée et reprise par le demandeur de la somme de 41059341 dollars américains à celle de 36689342 dollars américains.
Dans la sentence Phillips du 29 juin 1989, la Chambre deux du Tribunal a fixé le montant d'une indemnité compensatoire en fonction de la valeur de l'entreprise déterminée par application de deux méthodes d'évaluation, dont l'une consistait à actualiser les flux futurs de liquidités891. Les arbitres ont cependant estimé que cette méthode d'évaluation pouvait ne pas être exclusive. Ils ont ainsi relevé que « le Tribunal reconnaît qu'un acheteur potentiel utiliserait presque certainement une telle analyse DCF pour l'aider à déterminer le prix qu'il serait prêt à payer et que les calculs DCF sont, dès lors, un élément que le Tribunal est218
justifié à prendre en compte dans sa décision sur l'évaluation. Dans la sentence Starrett, ... le Tribunal a procédé à différents ajustements des résultats et montants résultant de son application. Le besoin d'ajustements est compréhensible, parce que la détermination par un tribunal doit prendre en compte toutes les circonstances pertinentes, y compris les considérations équitables. Même si une analyse DGF peut, et devrait souvent, être un élément essentiel et même central dans la détermination de la valeur, elle ne doit pas exclure d'autres considérations pertinentes ». Partant de ces considérations, le tribunal arbitral a accordé environ 35 % du montant de l'indemnité sollicitée.
479 Le Tribunal chargé de statuer sur le règlement des différends irano-américains n'est pas isolé dans ce recours à la méthode consistant à actualiser les flux futurs de liquidités de l'entreprise pour établir la perte subie par le propriétaire exproprié. Les arbitres ont également employé ce procédé dans des litiges tranchés sous l'égide du C.I.R.D.I. La méthode d'évaluation a en effet été utilisée dans les deux sentences Amco.
Dans la première sentence Amco en date du 20 novembre 1984, les deux parties en conflit ont présenté aux arbitres leurs propres évaluations par actualisation des flux de liquidités892. Si elles parvenaient à des résultats différents, c'est parce qu'elles s'opposaient principalement sur le niveau de rentabilité de l'hôtel et la période de temps sur laquelle il convenait d'effectuer les projections. Le tribunal arbitral a accepté les revenus projetés et, semble-t-il, le taux d'escompte proposés par la République d'Indonésie, mais en revanche, il fait droit à la demanderesse s'agissant du dies ad quem de la projection, retenant une période de 19 ans.
Dans la seconde sentence Amco rendue le 31 mai 1990, les parties ont à nouveau procédé à l'évaluation de la valeur des droits perdus en raison de l'acte illicite de la République d'Indonésie par une actualisation des flux futurs de liqui dités893. Le tribunal arbitral a relevé que le droit indonésien ne s'opposait pas à l'emploi d'une telle méthode et, citant les sentences Starrett et Phillips, que la pratique arbitrale internationale y avait déjà eu recours. Dans leur évaluation des flux de liquidités nets, les arbitres n'ont pas tenu compte de ceux générés par l'exploitation de l'hôtel depuis l'entrée en fonction de la nouvelle direction après l'acte étatique illicite. Comme dans la première sentence, le tribunal arbitral a donc utilisé les flux des 15 mois précédant le transfert de propriété pour effectuer les projections appropriées. S'agissant du taux d'escompte, on peut encore relever que les arbitres ont adopté un taux moyen par rapport à celui invoqué par chacune des parties, ce qui confirme l'idée que la méthode d'évaluation permet souvent d'arriver à une forme de compromis.
480 Les méthodes d'évaluation de la perte subie par le propriétaire exproprié fondées sur une analyse strictement patrimoniale de l'entreprise, dont certaines sont déjà impropres à établir la valeur d'une entreprise dont la situation est obérée à la date de l'expropriation, ne tiennent pas suffisamment compte des perspectives commerciales de l'entreprise. De plus, quand les arbitres y font appel et ajoutent à la perte ainsi déterminée une somme destinée à indemniser le lucrum cessans, ils opèrent alors une distinction artificielle entre, d'une part, la valeur des actifs corporels de l'entreprise et, d'autre part, ses perspectives de rentabilité.
481 Il n'est dès lors pas surprenant qu'au cours des vingt dernières années, après avoir admis que le propriétaire exproprié devait être indemnisé de la valeur économique de son entreprise telle qu'elle résulte du marché, la jurisprudence arbitrale internationale a progressivement consenti à employer une méthode d'évaluation fondée sur une analyse prospective, à laquelle les investisseurs ont généralement recours pour fixer le prix d'une entreprise dans une opération d'acquisition. La méthode consistant à actualiser les flux futurs de liquidités d'une entreprise est en effet parfaitement appropriée pour déterminer la perte effectivement subie par le propriétaire exproprié, et plus particulière ment lorsque l'exploitation de celle-ci générait des revenus au moment de l'expropriation.
Bien entendu, les données nécessaires à la mise en œuvre de ce mode d'évaluation ne sont pas toujours aisément accessibles, notamment lorsque c'est la valeur d'une petite ou moyenne entreprise que l'arbitre est conduit à déterminer894. La comptabilité, qu'elle soit générale ou analytique, peut être incomplète ou même inexistante. Il est donc parfois indispensable de faire procéder à un audit de l'entreprise expropriée, ce qui peut être plus ou moins difficile selon le contexte de la mesure d'expropriation.
Ce n'est que lorsque l'exploitation de l'entreprise n'a pas débuté depuis suffisamment longtemps pour engendrer les données nécessaires à un calcul significatif que l'on peut préférer à cette méthode d'évaluation celles qui tiennent compte de la valeur comptable nette, de la valeur de remplacement ou de la valeur de liquidation de l'entreprise895.
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504 De manière plus générale, en marge même de l'application de la Convention de Vienne et indépendamment de toute règle d'un droit étatique en ce sens, la jurisprudence arbitrale internationale considère également que les intérêts moratoires indemnisent le gain manqué par le créancier sans que ce dernier ne soit tenu d'en rapporter la preuve.
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516 En définitive, comme l'énonce le tribunal arbitral dans la sentence C.C.I. n° 6653 en 1993, « en matière de commerce international, le taux [des intérêts moratoires] qui doit être retenu est celui qui correspond à l'utilisation que le créancier aurait pu faire de la somme qui doit lui revenir »967. La jurisprudence arbitrale internationale reprend donc la théorie classique des intérêts moratoires : la fonction des intérêts consiste à indemniser le gain manqué par le créancier privé des revenus du placement qu'il aurait pu faire si le débiteur avait correctement exécuté son obligation monétaire. Dès lors, il n'est pas surprenant de constater que les arbitres ont également consacré la présomption de dommage historiquement attachée à cette théorie.
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520 Pour la jurisprudence arbitrale internationale, la présomption du dommage résultant de l'inexécution d'une obligation monétaire constitue donc une véritable règle transnationale. Selon la méthode précédemment définie988, le large consensus des systèmes juridiques autorise d'ailleurs cette conclusion.
La conception classique des intérêts moratoires dans les systèmes de droit, comme dans l'arbitrage commercial international, devrait avoir une incidence pratique importante : si le rôle des intérêts est correctement confiné, le créancier devrait toujours pouvoir obtenir, en sus de ceux-ci, des dommages-intérêts pour tous les autres préjudices qui lui ont été causés par l'inexécution de l'obligation monétaire989. En toute hypothèse, cette conception exerce déjà une influence prépondérante sur le régime des intérêts moratoires.
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551 En l'absence de taux des intérêts moratoires homogène entre les ordres juridiques, la jurisprudence arbitrale internationale considère que les arbitres disposent d'un véritable pouvoir discrétionnaire pour fixer ce taux (1). En pratique, l'exercice de ce pouvoir les conduit à choisir une grande diversité de taux (2).
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562 Pratiquement, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les arbitres du commerce international appliquent couramment le taux légal de l'État qui présente des liens avec la situation litigieuse (a). Toutefois, parce que les taux légaux n'ont parfois aucun rapport avec le dommage effectivement subi par le créancier, ils choisissent de plus en plus souvent de fixer directement le taux des intérêts moratoires (b).
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115En ce sens : H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, T. II, 7e éd., n° 706, p. 540 ; G.A.L. Droz, « Les droits de la demande dans les relations privées internationales », in Travaux du Comité français de droit international privé, Années 1993-1994, Pédone, 1996, sp. p. 108 ; B. Hanotiau, « Satisfying the Burden of Proof : The Viewpoint of a Civil Law Lawyer », préc. note 112, sp. p. 342 ; A. Huet, Les conflits de lois en matière de preuve, Dalloz, 1965, n° 115 ; P. Mayer, Droit international privé, préc. note 89, n° 501, p. 323.
116En ce sens : S. A Baker et D. Davis, The Uncitral Arbitration Rules in Practice. The Experience of the Iran-United States Claims Tribunal, Kluwer law and Taxation publishers, p. 109; K. P. Berger, p. 446 ; The Creeping Codification of the Lex Mercatoria, préc. note 12, sp. n° 56, p. 302 ; G. Flécheux, « La preuve dans les arbitrages internationaux », Études Plantey, p. 321, sp. p. 324 ; Ph. Fouchard, L'arbitrage commercial international, Dalloz 1965 , n° 621, 424, in limine ; B. Goldman, « Instance judiciaire et instance internationale », préc. note 110, sp. n° 29, p. 234 ; J. Paulsson, « La Lex mercatoria dans l'arbitrage C.C.I. », prec. note 12, sp. p. 90 ; A. Reiner, « Burden and General Standards of Proof », préc. note 96, sp. p. 333 ; J. Robert, n° 303, p. 270 ; R. B. Von Mehren, « Burden of Proof in International Arbitration », XIIe Congrès ICCA à Vienne, 3-6 novembre 1984, Kluwer Law International, p. 123 et s. La règle est également appliquée dans les contentieux entre États et notamment par l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce (en ce sens : R.S.J. Martha, « Presumptions and Burden of Proof in Worl Trade Law », JIA, 1997, p. 67, sp. p.82 et s.).
117En ce sens : P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », préc. note 12, sp. n° 50, p. 349 . Dans l'ordre juridique français, il a en revanche été soutenu qu'elle serait d'ordre public international : J. Pellerin, obs. sous Paris, 29 novembre 1990 Rev. arb., 1991, p. 659 ; v. toutefois les réserves émises par Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman note 355, p. 973.
118C.C.I. n° 3344 en 1981, JDI, 1982, note Y. Derains.
119Asian Agricultural Products Ltd (AAPL) c/République du Sri Lanka, 27 juin 1990, préc. note 84.
120C.C.I. n° 6653 en 1993, JDI, 1993, p. 1040, obs. J.-J. Arnaldez. Cette sentence a été partiellement annulée par la Cour d'appel de Paris le 6 avril 1995, parce que les arbitres n'avaient pas respecté le principe de la contradiction en fixant les intérêts moratoires à un taux qui n'avait fait l'objet d'aucune discussion entre les parties (Paris, 6 avril 1995, JDI, 1995, p. 971, note E. Loquin).
121V. aussi la sentence rendue sous l'égide de l'Association Américaine d'Arbitrage le 4 novembre 1980, YCA VU (1983), p. 166.
139D. Bureau, Les sources informelles du droit dans les relations privées internationales, préc. note 135.
140Sur la réparation de ce type de préjudice dans l'arbitrage commercial international, v. infra n° 162 et s.
141R Mayer, « Le principe de bonne foi devant les arbitres du commerce international », préc. note 40, sp. obs. préc. note 130 .
236En ce sens : K. P. Berger, The Creeping Codification of the Lex Mereatoria, préc. note 12, sp. n° 63, p. 305; Y. Derains, obs. sous C.C.I. n° 2404 en 1975, JDI, 1976, p. 995 ; Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, n° 1495, p. 846 ; B. Hanotiau, « La détermination et l'évaluation du dommage réparable : principes généraux et principes en émergence », in Transnational Rules in International Commercial Arbitration, ICC/Dossier of the Institute of International Business Law and Practice (1993), p. 210, sp. p. 214 ; Lord. J. Mustill, « The New Lex Mercatoria : The First Twenty-five Years", préc. note 12, sp. p. 113 ; F. Osman, Les principes généraux de la Lex Mercatoria , préc. note 12, p. 180 ; B. Goldman, « Nouvelles réflexions sur la Lex Mercatoria », préc. note 12, sp. p. 244 ; J. Paulsson, « La Lex Mercatoria dans l'arbitrage C.C.I. », préc. note 12, sp. p. 93 .
237C.C.I. n° 1526 en 1968, préc. note 68.
238V. notamment : C.C.I. n° 5759 en 1989, préc. note 68, qui constate que cette règle, consacrée par le droit libyen, est partagée par les droits de tradition écrite.
239C.C.I. n° 3493 en 1983, Rev. arb. 1986, p. 105.
240Amco Asia et autre c/ La République d’Indonésie, 20 décembre 1984, préc. note 68.
268Encore une fois, par souci de simplification et eu égard à la place qu'elle occupe dans l'arbitrage commercial international, l'obligation de minimiser le préjudice, qui dans son aspect négatif participe aussi à la définition du dommage réparable, sera envisagée ultérieurement, dans le Titre II de la Première partie de cette étude.
344V. notamment pour le droit français; v. en ce sens : Crim. 16 juin 1993 (Bull. crim., n° 214, p. 537), qui relève que « n'est pas contraire à l'ordre public, au sens du droit international privé, l'exclusion par la loi étrangère de la réparation intégrale du préjudice et notamment celle du préjudice moral ». Dans le même sens, v. aussi : Civ. 1re, 4 avril 1991, JDI, 1991, p. 990, obs. G. Legier; Civ.1re, 6 janvier 1971, JDl, 1972, p. 47, note B. Goldman ; Civ. 1re, 15 décembre 1969, RCDIP, 1971, p. 512, note P. Bourel ; Civ. 1re, 30 mai 1967, RCDIP, 1967, p. 729, note P. Bourel ; D. 1967, Jurisp., p. 626, note Ph. Malaurie ; JDI, 1967, p. 623, note B. Goldman ; Rouen, 9 mai 1967, JDI, 1967, p. 899, note R. Dayant.
345Sur la définition des principes généraux, v. supra n° 8.
490C.C.I. n° 3344 en 1981, préc. note 118.
491V. supra n° 13.
492C.C.I. n° 2404 en 1975, préc. note 236.
494C.C.I. n° 4761 en 1987, préc. note 484.
495C.C.I. n° 2103 en 1972, JDI, 1974, p. 902, obs. Y. Derains.
496C.C.I. n° 2478 en 1974, JDI, 1975, p. 925, obs. Y. Derains.
497Amco Asia et autres c/ République d'Indonésie, 31 mai 1990, préc. note 149.
498C.C.I. n° 5514 en 1990 , JDI, 1992, p. 1022, obs. Y. Derains. V. aussi : C.C.I. n° 5865 en 1989 , préc. note 449, qui énonce que « le tribunal retiendra aussi, pour la fixation de la réparation à allouer à [la demanderesse], le principe qui veut que le créancier soit tenu de minimiser son dommage, de manière à limiter, dans toute la mesure du possible, la réparation réclamée par le débiteur, très généralement admis dans le droit du commerce international... ».
499Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, n° 1491, p. 832 .
889Aminoil c/Koweit, 24 mars 1982, préc. note 388.
890Starrett Housing Corp. et a. c/The Government of the Islamic Republic of Iran, 14 août 1987, préc. note 392.
891Phillips Petroleum Company of Iran c/The Government of the Islamic Republic of Iran, 29 juin 1989 , préc. note 394.
892Amco Asia et autres c/ la République d'Indonésie, 20 novembre 1984, préc. note 340.
893Amco Asia et autres c/ la République d'Indonésie, 31 mai 1990, préc. note 149, dans le même sens, v. aussi Liberian Eastern Timber Corporation (Letco) c/Gouvernement de la Republique du Libéria, 31 mars 1986, préc. note 322.
894Dans la sentence Biloune, (Antoine Biloune & Marine Drive Complex Ltd. c/Ghana Investments centre and the Government of Ghana, 27 octobre 1989 et 30 juin 1990, préc. note 254), les arbitres ont écarté la méthode de l'actualisation des flux de liquidité en raison de la carence du demandeur à établir la profitabilité de l'entreprise dans l'avenir.
895En ce sens, v. notamment : Southern Pacific properties Ltd (SPP) c/ La République arabe d'Égypte, 20 mai 1992, préc. note 127; Asian Agricultural Products Ltd (AAPL) c/République du Sri Lanka, 27 juin 1990, préc. note 84 ; [...].
967C.C.I. n° 6653 en 1993, préc. note 120; Dans le même sens : C.C.I. n° 6219 en 1990, préc. note 672 ; C.C.I. n° 6360 en 1990, Bull. C.C.I., 1992, vol. 3, p. 54 ; R. J. Reynolds Tobacco Company c/The Government of the Islamic Republic of Iran and Iranian Tobacco Company, 1er mars 1985, YCA XI (1986), p. 280.
988V. supra n° 7 et s.
989En ce sens : G. Balis, « Des dommages et intérêts dus à raison du retard dans l'exécution d'une obligation ayant pour objet une somme d'argent », préc. note 907, sp. p. 104 ; v. aussi : J. G. Wetter, in « Interest as an Element of Damages in The Arbitral Process », préc. note 899, sp. p. 23 , qui indique que le créancier devrait pouvoir être indemnisé de la perte effectivement subie, celle-ci étant en principe égale au coût supporté pour obtenir des fonds de substitution.